Europe de la réparation-collision: les carrossiers français pas si mal lotis… pour l’instant

Jean-Marc Pierret
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Dans cette étude ICDP sur le marché de la réparation-collision dans 5 pays d'Europe, les carrossiers français se détailleront et se désoleront, mais trouveront aussi motifs à se comparer et se consoler. Une autre évidence transparaît : réparateurs et assureurs sont les deux perdants du marché, quel que soit le pays. Ils n'en sont que plus condamnés à se respecter et s'entendre...
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Elle est intéressante, cette nouvelle étude européenne d'ICDP analysant les interactions carrossiers/assureurs sur fond de baisse des volumes de sinistres. D'autant qu'elle chiffre le poids du marché de la carrosserie : au niveau de l'UE, l'activité réparation-collision pèse, selon la société d'études, la bagatelle du quart du marché après-vente.

Assureurs et réparateurs, perdants du marché

En préambule, ce constat : «Si ce marché est un important générateur de bénéfices pour certains acteurs, en particulier ceux impliqués dans la fourniture de pièces et de peinture, la situation est moins positive pour les réparateurs et les assureurs automobiles», assène ICDP.

Pour les réparateurs, son constat européen souligne que beaucoup d'entre eux «dégagent une faible rentabilité ou sont déficitaires». Pour les assureurs, l'analyse relève que les seules primes d'assurance auto ne suffisent souvent pas à couvrir les coûts de sinistres. Bref : fabricants de pièces (dont évidemment les revendeurs-constructeurs) et de peinture tirent leur épingle d'un jeu où les carrossiers et les assureurs sont perdants...

L'inéluctable décroissance du marché

Autre intéressant constat, hélas peu surprenant : il ne faut pas attendre autre chose qu'une baisse de la sinistralité partout en Europe. Le développement des Adas, ajouté à l'accroissement volontaire ou répressif de la prudence au volant, vont provoquer dans toute l'Europe une baisse de 16% du nombre d'accidents et même d'environ -22% en nombre de réparations d'ici 2030, ose ICDP, malgré la croissance et le vieillissement des parcs nationaux.

Pas de quoi faire rêver les carrosseries françaisesvà des jours meilleurs. Car en regardant la carte de l'évolution du nombre de carrossiers par pays entre 2002 et 2018, une évidence générale s'impose. La baisse se constate dans chaque marché étudié et elle est d'autant plus forte quand elle part d'un nombre élevé. Témoins les chutes constatées en Espagne et en Italie, contrairement à l’Angleterre et l'Allemagne où les marchés sont déjà moins atomisés et plus structurés (voir graphique de gauche ci-dessous).

L'équation délicate entre nombre, taille et profitabilité

A noter également : l'Italie et l'Espagne recèlent très majoritairement des carrossiers indépendants (histogrammes rouges dans le graphique de droite ci-dessous), quand l’équilibre est mieux préservé en France -et tout particulièrement en Allemagne- entre indépendants et carrosseries de réseaux constructeurs.

On peut donc comprendre qu'en Italie comme en Espagne, l'association “nombre élevé d'indépendants/taille moyenne très basse” les rendent particulièrement fragiles. On imagine sans mal l'impact que les confinements européens ont dû avoir au sein de carrosseries aussi atomisées. A l'opposé, l'Allemagne et l'Angleterre, aux structures plus concentrées (et dans une moindre mesure cette France aux indépendants largement drivés par des enseignes), voient leurs populations respectives de carrossiers mieux résister à la décrue.

Évidemment, le nombre restreint de carrosseries allemandes et anglaises montrent que les tailles moyennes sont fatalement plus élevées, donc plus résistantes, que dans les autres pays étudiés. Ce que confirme d'ailleurs ICDP : «La taille des carrossiers varie considérablement d'un marché à l'autre, allant de moins de 300 réparations par an en Italie et en Espagne, jusqu'à moins de 400 en France pour plus de 800 en Allemagne à 1 000 au Royaume-Uni». Mais malgré cela, les grosses carrosseries d'outre-Manche comme d'outre-Rhin subissent aussi leur lot de concentrations depuis 16 ans...

Number of primary body repairers : nombre de carrossiers (en milliers); Number of primary body repairers outlets in 2018: nombre d'ateliers de carrosserie en 2018; OEM dealers/AR: carrossiers RA1 et RA2; Indépendant: carrossiers indépendants "Number of primary body repairers" : nombre de carrossiers (en milliers); "Number of primary body repairers outlets in 2018": nombre d'ateliers de carrosserie en 2018; "OEM dealers/AR": carrossiers RA1 et RA2; "Indépendant": carrossiers indépendants.
La taille ne fait pas tout

Mais que les carrossiers français se consolent. La taille ne fait pas tout, même si un avenir probable transparaît au travers des références allemandes et britanniques. A en croire ces marchés matures en termes de concentration, les carrossiers français ne devraient plus être, à terme, qu'entre 4 000 et 6 000 plus grosses entités, contre quelque 11 000 actuellement.

Reste que la carrosserie, en Europe est aussi un secteur où «big n'est pas nécessairement beautiful, en tout cas en matière de profitabilité», souligne ICDP qui le démontre dans le graphique suivant :

"Body Repairer profit" : profitabilité des carrossiers; "NB: the size...": Nota bene: la taille des cercles traduisent la profitabilité moyenne des carrossiers sur chaque marché; "Average Repair cost (€)": coût moyen de réparation en euros)"; "Labour rate...": taux horaire de main d’œuvre (en euros)" "Body Repairer profit" : profitabilité des carrossiers; "NB: the size...": Nota bene: la taille des cercles traduisent la profitabilité moyenne des carrossiers sur chaque marché; "Average Repair cost (€)": coût moyen de réparation (en euros)"; "Labour rate...": taux horaire de main d’œuvre (tels qu'octroyés par les assureurs - en euros).

Témoins ces grands ateliers de carrosserie britanniques qui génèrent un pourcentage de profit à peine plus élevé que leurs plus petits homologues italiens et espagnols. Et à ce titre, les Français s'en sortent plutôt bien en étant assez nettement plus profitables que les Anglais. Seuls les carrosseries allemandes semblent en fait savoir associer grosse taille, facture moyenne de réparation conséquente et bonne rentabilité.

Le joker du taux de main d’œuvre

Ce n'est peut-être pas si surprenant. Car en fait, «Le principal moteur semble être le taux de main-d'œuvre payé par les assureurs selon les marchés», analyse ICDP qui en fait aussi la preuve dans le même graphique. Les profits semblent en effet s'indexer plus systématiquement sur le taux moyen de main d’œuvre que sur la taille moyenne des carrosseries. Preuve, là encore, est faite par ces ateliers anglais si peu profitables. S'ils sont de taille presque équivalente aux carrossiers allemands, s'ils bénéficient d'une facturation moyenne presque aussi élevée, ils subissent en revanche un taux de main d’œuvre nettement inférieur...

C'est l'autre bonne nouvelle pour les carrossiers français : ils ne sont pas si mal placés, comparés aux Espagnols, Italiens et Anglais, en matière de taux horaires moyens comparés. Et ce graphique est d'autant plus instructif qu'il démontre clairement que, quel que soit le marché et ses spécificités locales, plus le taux horaire est élevé, meilleure est la rentabilité de l'entreprise.

Transmis aux assureurs qui devront probablement finir par le comprendre s'ils veulent continuer à s'appuyer sur un tissu suffisamment large de partenaires-réparateurs (voir aussi sur le sujet : «Arroser enfin l’arbre malingre de la main d’œuvre tout en s’attaquant à la forêt de la pièce ?)». Mais il est vrai aussi qu'à l'inverse, les assureurs qui sont internationaux doivent se demander pourquoi ils paient le taux horaire si cher en France. En tout cas, s'ils font mine d'oublier que les charges en France sont plus élevées que dans le reste de l'Europe...

Difficultés et marottes assurantielles

Mais il semble vrai aussi que les assureurs ont également du mal à fonctionner de manière rentable dans ce secteur, rappelle ICDP, qui souligne qu'en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, les comparateurs web auraient suscité une douloureuse guerre des prix. «Beaucoup restent dans le secteur principalement pour gagner des clients à destination d'autres activités plus rentables telles que l'assurance habitation et l'assurance-vie».

Réalité ou excuse ? L'assurance automobile ne serait-elle donc plus qu'un vulgaire produit d'appel ? On attend tout de même une réelle démonstration de la chose et d'autres arguments que ces comparateurs qui appartiennent d'ailleurs parfois... aux assureurs...

Le reste de l'étude constate ce qui fait effectivement le quotidien anxiogène des carrossiers français, une anxiété suscitée par la baisse des coûts poursuivie par les assureurs, telle que la pression mise par ces derniers pour obtenir des services complémentaires à vil prix, parfois gratuitement (véhicules de courtoisie, service à domicile...), ou encore la maîtrise des flux pour mieux les négocier auprès des carrossiers agréés. Elle aborde aussi cet autre danger qui menace les experts, à savoir l'auto-expertise à distance faite par le conducteur lui-même depuis une appli.

L'assureur, ou l'influencé influenceur....

L'étude considère donc que les assureurs sont à la fois victimes du marché et principaux facteurs d'influence. Ils cherchent même à remplacer les coûteuses pièces d'origine par des pièces adaptables, même si cette approche serait «de plus en plus limitée par la technologie croissante» des véhicules. Comme d'ailleurs ICDP relève que les mêmes assureurs cherchent des remises sur les pièces, auprès des réparateurs et/ou en consolidant les volumes d'achats pièces.

ICDP conclut finalement dans le sens des carrossiers. «Tout cela a un effet encore plus dramatique sur les réparateurs car ils perdent potentiellement toute la marge de pièces, et ne souffrent pas seulement d'une remise plus élevée

Pourtant, il faudra bien trouver un juste équilibre au sein de l'inévitable couple assureur/réparateur, prophétise la société d'études (voir aussi encadré ci-dessous). «Il est clair qu'il doit exister une relation entre les assureurs en tant que principaux apporteurs d'affaires d'une part, et les carrossiers d'autre part, seul canal permettant de restituer un véhicule réparé suite à une collision».

 

Assureurs & réparateurs: destins croisés

L'étude ICDP, dans sa partie payante, quantifie l’influence des assureurs automobiles sur les marchés selon 11 mesures différentes reflétant leur capacité à exercer un contrôle sur chaque marché. parmi elles :

  • le taux de main-d'œuvre payé,
  • le recours à l'approvisionnement direct en pièces,
  • la complexité de la prestation d'assurance (services additionnels) et les contraintes juridiques sur les droits de propriété intellectuelle sur les pièces (clin d’œil à la France),
  • le taux d'orientation vers les carrossiers agréés.

Les 7 autres facteurs d'influence concernent l'environnement concurrentiel des assureurs (concentration du marché), les primes moyennes, l'influence des plateformes Web et le ratio combiné moyen. «L'application d'un score à chacun d'entre eux nous a permis de positionner chaque marché sur une matrice mesurant la maîtrise du marché Vs. l'environnement concurrentiel».

En appliquant les mêmes principes aux réparateurs, ICDP a aussi identifié et analysé quatre facteurs conditionnant la structure du marché :

  • le nombre de réparations par an,
  • le nombre de carrossiers,
  • les réparations par réparateur,
  • et la part de marché des réseaux constructeurs.

ICDP a ensuite mesuré la profitabilité des réparateurs sur la base du taux moyen de main-d'œuvre et du niveau des bénéfices.

La morale de l'étude, c'est qu'en combinant les deux matrices (assureur et réparateurs), les changements de l'une implique des impacts dans l'autre en les faisant évoluer parallèlement, en bien comme en mal. Deux frères ennemis liés par un même destin, en somme. Quand on vous dit qu'ils sont condamnés à s'entendre et donc, à se respecter...

Jean-Marc Pierret
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