Décès de Noël Goutard : l’efficace atypisme d’un patron historique

Jean-Marc Pierret
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Noël Goutard, patron historique et emblématique de Valeo dans les années 90, vient de décéder à 88 ans. Brillant et atypique, rigoureux et exigeant, il a redressé et développé Valeo en le mettant sur des rails qu'il suit encore aujourd'hui...
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C'est une figure de l’équipement automobile -et même de l'Automobile avec un A majuscule- qui vient de nous quitter. Noël Goutard, le P-dg qui a fait le Valeo d'aujourd'hui, vient de mourir à 88 ans.

L'ascension du « Boucher de Montrouge »

Pour ceux qui l'ont connu en pleine gloire, l'homme était impressionnant. Son regard aigu et sa silhouette rigide excluaient toute rondeur. Dans son apparence et sa gestuel, il savait être coupant et déstabilisant et en jouait assurément. Rien ne transparaissait jamais d’émotionnel, ni dans son timbre de voix si personnel, ni dans cette économie de gestes qui achevaient de lui donner toutes les caractéristiques du grand fauve industriel.

Celui qui avait été surnommé « le Boucher de Montrouge » après son peu tendre mais efficace passage de redresseur des Compteurs Schlumberger n'avait donc guère eu besoin d'annoncer la couleur ni la douleur quand, en 1987, il prenait la présidence d'un Valeo bien affaibli. Le groupe qui venait de perdre presque 400 millions de francs pour un chiffre d'affaires annuel de 6 milliards avait urgemment besoin d'un traitement de cheval.

Sauveur de Valeo

Noël Goutard allait se révéler le médecin et le chirurgien idéal de ce patient industriel à réanimer. « Les licenciements font la productivité qui génère des bénéfices qui eux-mêmes financent les investissements », assénait-il alors, ouvrant une période de profonde restructuration. Il allait ainsi sacrifier sans attendre 3 000 des 30 000 emplois au redressement de l'entreprise et l’élaguer sans état d'âme de ses activités hors automobile.

La tendresse n'était pas une fondamentale de son management. Mais il réussissait par sa performance, sa justesse d'analyse et ses résultats à gagner sinon l'amour, au moins le respect. Et même de ses pires et nombreux détracteurs. En cette année 87 où il entreprenait d'inverser au plus vite le pronostic vital de Valeo sans guère d'analgésiques, un délégué syndical se trouvait bien forcé de reconnaître que, « en deux mois, il [avait] mieux compris l'entreprise que ceux qui y travaillent depuis vingt ans ».

Les collaborateurs du Valeo Distribution d'alors (devenu Valeo Service) connaissent aussi la rigueur et l'exigence de sa méthode “5 axes” « pierre angulaire de l’excellence opérationnelle de Valeo, toujours rigoureusement appliquée aujourd’hui dans chaque site du Groupe », vient de rappeler le communiqué de Valeo qui salue « la trace indélébile dans l’histoire du Groupe » qu'a laissé la contribution de Noël Goutard. Même dans cette division non-industrielle, l'emplacement des armoires, des bureaux, des chaises, des bannettes..., tout est nécessairement rangé de telle façon et non d'une autre, au risque sinon de subir le lendemain la visite des services centraux pour y mettre bon ordre.

Un « animal exotique »

Il savait aussi jouer de son cursus atypique, lui que ses études de Droit ne prédestinaient guère au pilotage d'entreprises de plus en plus importantes, de plus en plus problématiques et ce, à une époque qui réservait encore les commandes aux seuls ingénieurs émérites, aux polytechniciens ou aux financiers de haut vol. Il se savait considéré hors du sérail. « Pour l'élite des diplômés, je suis un animal un peu exotique », confirmait-il en 2005 dans une interview à l'Express lors de la sortie de son autobiographie logiquement baptisée «l'outsider».

Il s'en amusait sûrement, lui qui avait été mis en confiance par un cursus opérationnel éclatant. Son université des affaires, il l'a commencée à Wall Street comme analyste chez Warner Lambert (1960-1962), puis directeur Afrique de Pfizer (1962-1966, voir encadré), DG de Gevelot (1966-1976) et de Compteurs Schlumberger (1971-1976), administrateur DG adjoint de Pricel devenu Chargeurs (1976-1983), DG de Thomson (1983-1986), avant donc d'être nommé P-dg, puis président du conseil de surveillance de Valeo de 1987 à 2003.

Le « logophage »

Avec cette main de fer qu'il abat sur Valeo, l'homme va aussi gagner le surnom de « logophage ». Il enterrera ainsi sans émotion une myriade de marques automobiles empilées au fil du temps par Valeo, mais pour imposer un logo visionnairement vert. Et le redressement comme le développement réussis de l'entreprise vont définitivement le consacrer parmi les plus grands capitaines d'industrie.

Il concrétise l'internationalisation de l'équipementier français en n'épargnant d'ailleurs pas ses homologues industriels. Confronté aux exigences financières des constructeurs menacés au milieu des années 80 par le déferlement mondial des automobiles japonaises, il avait compris que l'avenir des équipementiers passait par une croissance à marche forcée pour atteindre une taille critique et par des investissements leur donnant le contrôle de l'innovation.

En 1988, il lancera ainsi une vaine OPA (très) hostile sur Epéda-Bertrand Faure (devenu depuis Faurecia). Il échouera face à la résistance de Renault et PSA, tous deux probablement plus soucieux de l'empêcher de prendre trop de pouvoir industriel que de sauver l'indépendance de leur fabricant de sièges auto fétiche.

« Fondateur du Valeo moderne »

Noël Goutard digèrera l'échec pour en tirer une leçon qui aiguillonnera sa stratégie. « Du jour où ces deux constructeurs m'ont empêché de faire l'OPA que je souhaitais sur Epéda-Bertrand Faure, j'ai décidé de me libérer de leur emprise. Je l'ai fait en lançant Valeo sur les marchés étrangers grâce à une baisse des coûts de 20 à 30 %. A ces prix-là, les constructeurs allemands, qui eux aussi avaient leurs propres fournisseurs d'équipements, ne pouvaient refuser nos offres ».

« Noël Goutard restera dans l’histoire comme le père fondateur du Valeo moderne, a tenu à souligner Jacques Aschenbroich, P-dg de Valeo. Le Groupe continue à bénéficier aujourd’hui encore du formidable héritage qu’il nous a laissé. Capitaine d’industrie visionnaire, il aura profondément transformé et modernisé Valeo, contribuant activement à sa croissance et à son développement international. Grand meneur d’hommes, cet homme brillant a mis Valeo en ordre de marche pour en faire l’un des plus grands équipementiers mondiaux. »

S'il a redressé Valeo et bien d'autres entreprises sans jamais hésiter à trancher dans le vif, on peut au bilan le croire quand il affirmait, lors de la sortie de son livre que, « au total, j'ai créé ou sauvé des centaines de milliers d'emplois, soit au minimum quatre ou cinq fois le nombre de ceux que j'ai dû supprimer ».

Industrie, finances et éthique...

En ces temps où le “big pharma” est appelé en secours des économies mondiales, nous avons retrouvé cet intéressant avis de Noël Goutard sur son expérience chez Pfizer, le puissant laboratoire pharmaceutique propulsé sur le devant de la scène pandémique pour être le premier à proposer un vaccin. Au détour d'une question lors d'une interview donnée à l'Express en 2005, il répond en montrant que si la recherche du profit était évidemment importante pour lui, il conservait une forme d'éthique qui devrait interroger en ces temps d’amoralités financières...

«Lors de votre passage chez Pfizer en Afrique, vous semblez découvrir, vous le libéral, que la motivation des entreprises pharmaceutiques est le profit. Pensez-vous que ce secteur devrait échapper à la loi du marché ?

Non, bien sûr, mais il y avait deux approches. Celle de Pfizer, qui était de pratiquer pour ses antibiotiques des prix très élevés mais d'en vendre moins que ce dont le marché avait besoin. A l'inverse, je proposais de les faire payer moins cher, mais d'en écouler de beaucoup plus grandes quantités, autrement dit une politique de volume rentable, plutôt qu'une politique de vente restreinte « extrêmement » rentable. Ma proposition avait l'avantage de mieux soigner une population africaine qui en avait vraiment besoin, mais j'ai été rapidement renvoyé dans mes buts !»

Jean-Marc Pierret
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