Pièces: premières tensions sur les approvisionnements

Jean-Marc Pierret
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Va-t-on voir apparaître des difficultés d'approvisionnements du fait de productions de pièces erratiques chez les grands équipementiers ? Si des premiers signes apparaissent dans l'approvisionnement amont des grands distributeurs, ces derniers ne sont pas encore inquiets, mais déjà vigilants...
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Ce n'est pas encore une alerte. Juste un soupçon d'inquiétude qui grandit dans la chaîne logistique de la pièce de rechange. Les tensions sont encore légères et se limitent pour l'heure à l'amont des approvisionnements. Malmenés par les interruptions de production d'un marché VN mondialement grippé par le Covid et par les “profit warning” (alertes à la rentabilité) qui bloquent tout ce qui peut être économisé dans les entreprises, les équipementiers semblent avoir encore du mal à sanctuariser leurs livraisons en pièces de rechange et leurs taux de service.

En septembre dernier, nous avions déjà souligné que, si la distribution disposait de stocks rassurants en central comme dans les plateformes régionales, le maillon logistique commençait à faiblir chez les équipementiers (voir « Comment le Covid-19 accélère le grand basculement de l’équipementier vers la distribution »).

Quatre mois plus tard, les taux de service de beaucoup de fournisseurs de pièces demeurent toujours erratiques. Ce commercial désespéré d'un pourtant grand fournisseur mondial constatait fin décembre n'avoir pu livrer, de longues semaines après une commande passée par un distributeur, que 30 % des références promises. Et ce, sans réelle visibilité sur les délais concernant les 70 % restants. Pire : il ne réussissait parfois même plus à obtenir un simple feu vert de sa hiérarchie pour pouvoir valider et signer de pourtant importantes commandes !

Premières tensions palpables

« Nous commençons à avoir des problèmes de dispos sur certaines gammes, confirme Fabrice Godefroy, directeur général d'IDLP et du groupement Alternative Autoparts ; et ce, autant en pièces de grandes ventes qu'en pièces techniques ». Il n'est certes pas encore inquiet : « Nous n'en sommes pas à avoir des problèmes de disponibilités locales ». Mais il reste vigilant, lui qui constate que des gammes aussi banales que des bougies d'allumage sont aussi concernées...

Pour l'instant, ces tensions restent à la marge. « Le circuit long et ses divers niveaux de stocks ont des capacités d'amortissement que les circuits plus courts n'ont pas », rassure Frédéric Gaillard, DG des activités de distribution VL d'Autodistribution. Pour l'heure, il ne constate pas encore d'impact dans le réseau des quelque 375 points de distribution et plateformes animés par PHE, dont le taux de service atteint, « voire dépasse », le niveau d'avant-crise. « C'est un indicateur que l'on surveille comme le lait sur le feu, précise-t-il ; si nous subissions des ruptures inquiétantes, nous les aurions déjà identifiées ».

Un seul composant manque et tout est dépeuplé...

Un état des lieux que confirme également Laurent Attal, directeur commercial d'Alliance Automotive Group France. Les quelque 900 points de distribution et de stockage des 4 enseignes de distribution (Groupauto, Precisium, Partners, Gef'Auto et les plateformes Préférence) affichent aussi d'excellents taux de service. « Nous sommes même suffisamment sereins pour pouvoir si besoin nous substituer aux stocks de nos distributeurs afin d'alléger leurs trésoreries et de leur permettre d'encaisser les effets du marché 2020 », rassure-t-il...

Si la distribution peut revendiquer plusieurs mois de stocks, reste que les complexes intrications industrielles et géographiques des pièces de rechange, confrontées aux désordres industriels mondiaux, ne lassent pas d'inquiéter.

Il ne faut par exemple pas confondre les pièces fabriquées par un équipementier avec celles assemblées par lui, souligne F. Godefroy. Il n'est effectivement pas simple, pour un équipementier notamment premium, de sécuriser suffisamment ses multiples et exigeants approvisionnements industriels venus de tous pays pour relancer ses chaînes ou, à tout le moins, pour éviter de coûteux “stop and go” de production.

Car le diable de l'indisponibilité peut venir se nicher à tout moment dans de très agaçants détails. Pour des pièces techniques devenues parfois des fonctions complexes à elles seules, manquer d'un seul sous-composant misérablement anodin peut bloquer toute une ligne fabrication, surtout quand on est contraint d'alléger au maximum les stocks pour préserver du cash. Just-in-time et confinements aussi aléatoires qu'internationaux font un bien piètre ménage...

Diversifier les appros

Mais si le circuit long de la distribution dite traditionnelle dispose de “stocks amortisseurs”, qu'en est-il dans le retail et son circuit plus court, donc plus directement connecté sur les fournisseurs-équipementiers ?

Christophe Rollet, DG de Point S, confirme des problèmes émergents en matière de dispos, liés effectivement à des difficultés logistiques d'équipementiers. Mais il les corrige par la diversification des sources. « C'est par la variété des approvisionnements que nous sécurisons le problème », résume-t-il.

Sans ignorer toutefois les effets “kiss pas cool” de cet exercice imposé. Car l'accroissement nécessaire des dépannages fait sûrement l'affaire des distributeurs et des plateformes, mais pas nécessairement la rentabilité de leurs clients, explique-t-il en substance. « Nous l'avons vécu dans le pneu depuis de début de l'année dernière ; il a fallu diversifier les sources d'approvisionnement et de fait, laisser grossir les prix d'achat pour pouvoir servir nos clients automobilistes. Nous faisons la même chose dans la pièce, où les marges plus confortables rendent certes moins problématiques les augmentations de prix liées aux dépannages. Mais ces prix d'achat moins bien contrôlés auront tout de même un impact certain sur les profitabilités qu'il ne faut pas sous-estimer », prévient-il.

Cette tendance à la multiplication des dépannages est telle que Point S dit réfléchir à des stocks ciblés qui permettraient d'éviter autant les rupture de disponibilité que de trop grosses dérives tarifaires...

Bonus aux “dépanneurs”, malus aux équipementiers

C'est en fait ce que confirme Fabrice Godefroy. « Nous bouclons une année à -2,7 % par rapport à 2019 et nous aurions même pu être positifs s'il n'y avait pas eu de reconfinement en novembre. Nous devons ce résultat satisfaisant au fait que nous avons su rester ouverts et disponibles dès les premiers jours du premier confinement. Nous avons pu saisir l'accroissement des demandes de dépannage de la part de clients en mal d'approvisionnement en pièces », détaille-t-il.

Cette prime aux dépanneurs a probablement permis aux distributeurs méritants de compenser en partie, en valeur, ce que le marché a perdu en volumes. Et de grignoter des parts de marché. Mais cela ne fait évidemment pas que des heureux. A commencer par les équipementiers premium écartelés entre problématiques 1ère monte et rechange car confrontés à une double peine : des rentabilités massacrées par la chute des volumes VN, des productions fatalement compliquées, pendant que chez les grandes centrales des grands distributeurs, une “optimisation” du nombre de fournisseurs avance avec une constance de rouleau-compresseur qui écrase et lamine beaucoup de référencements historiques.

Nous ne saurons évidemment rien de la toujours discrète “saison des contrats” ni de celle dite “des RFA” qui ont déjà commencé entre équipementiers et centrales de distribution. Mais dans le secret des services achats des distributeurs de pièces, la liste des équipementiers en difficulté financière et/ou logistique va sans doute s'affiner en ce début 2021...

Jean-Marc Pierret
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