Quand la Chine s’éveillera à la distribution de ses VN, VO, pièces et services en Europe…

Jean-Marc Pierret
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...cela pourrait bien accélérer une révolution de la distribution de pièces et des services constructeurs dans tous les pays dits matures. Car si les très pressés constructeurs chinois en venaient à casser le modèle de distribution pour investir vite l'Europe et le reste du monde, l'effet pourrait bien hâter l'effondrement des références actuelles en matière de vente VN, VO et des services après-vente qui se fissurent déjà de toutes parts. Au profit de qui ? Très possiblement, des acteurs indépendants avec qui des contacts se prennent...
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Depuis cet article, la prospective est devenue réalité. voir « Le Chinois Aiways s’appuie sur les indépendants Feu Vert, GoMecano, Albax et AD »

Tôt ou tard, c'est un fait auquel il va falloir s'habituer. Comme l'industrie automobile japonaise l'a fait en son temps à la fin des années 70, l'industrie automobile chinoise se sent maintenant assez mature et technologiquement prête pour sortir de ses larges frontières. Elle piaffe de s'attaquer aux autres marchés automobiles continentaux.

Si les Japonais on pu faire vaciller l'industrie auto occidentale...

Dans les années 60/70, la déjà presque centenaire industrie automobile occidentale avait regardé avec mépris ces premières autos nipponnes mal fagotées et mal finies poser timidement leurs premières petites roues sur les sols européens et américains.

Au début des années 80 pourtant, nos constructeurs comprenaient tardivement que ces prétentieux Japonais étaient déjà devenus une référence en prix, en fiabilité comme en volumes. En quelques années, ces bougres de constructeurs avaient poussé comme des bambous jusqu'à venir vitalement les menacer, forts de leur maîtrise industrielle, de leur intégration verticale constructeurs/équipementier, de leur discipline de fer comme de leur culture d'excellence. 

Sans exclure non plus une volonté inébranlable de réussir économiquement une guerre qu'ils avaient perdue militairement 30 ans plus tôt. Les vaincus d'hier étaient encore ceux qui, alors, pilotaient l'offensive planétaire qui devait mondialiser toutes les industries de l'Archipel, celle de l'automobile en tête.

Dès le milieu des années 80, en à peine 15 ans donc, l'automobile japonaise et ses productions de masse étaient devenues incontournables dans l'Amérique de Carter et Reagan (la Honda Accord s'était même durablement hissée best-seller outre-Atlantique). Et suffisamment dangereuses en Europe pour qu'on les emprisonne de force et d'urgence dans des quotas de moins de 5 % des ventes VN continentales.

Parallèlement, on prenait aussi conscience que, silencieusement, les mêmes constructeurs nippons avaient déjà conquis la suprématie PL, VUL et 4X4 dans toute l'Afrique et l'Asie...

...les Chinois pourraient bien faire encore pire

Cette fois, la Chine automobile s'apprête à nous refaire le coup. Et avec une prise d'élan que le Japon n'avait pas.

Prise d'élan du fait de la dimension vertigineuse d'un marché auto intérieur chinois. Il est déjà devenu le premier du monde et probablement pour toujours. Prise d'élan grâce à une population domestique plus de 10 fois supérieure à celle du Japon. La classe moyenne chinoise est suffisamment argentée pour se motoriser et déjà deux fois supérieure en nombre à celle de l'Archipel entier.

Prise d'élan enfin, parce l’État Chinois a structurellement su favoriser l'émergence d'une foultitude de constructeurs locaux dont les meilleurs débutent leur internationalisation. Ils sont maintenant largement sortis de la même phase d'apprentissage qu'ont connue les émergents constructeurs nippons des années 60/70. Aujourd'hui, les productions chinoises ne font effectivement plus sourire nos ingénieurs.

Quelques autres évidences viennent convaincre enfin que la déferlante chinoise s'annonce au moins aussi violente que le Tsunami auto japonais de la fin du siècle dernier. L'électrification du parc auto donne une flopée d'atouts supplémentaires aux constructeurs chinois. Ils sont en effet les rois géo-économiques de la batterie ; le tout électrique a déjà prouvé, avec Tesla mais aussi avec bien d'autres (en hypercars comme en SUV), qu'il est devenu presque enfantin de s'inventer constructeur ; les coûts chinois, notamment de main d’œuvre, les rendent encore plus compétitifs que les constructeurs japonais ne l'étaient lorsqu'ils sortaient de leurs frontières.

Construire vite un schéma logistique de pièces et de services

Ces constats faits, venons-en à la distribution des pièces et des services. En la matière, peu de leçons à tirer des conquérants nippons. Ils ont joué et continuent de jouer le jeu en s'adaptant poliment aux stratégies policées et bien cadrées des réseaux constructeurs occidentaux.

Rien en revanche ne laisse présupposer que les constructeurs de l'Empire du Milieu passeront par les mêmes fourches caudines. Et là encore pour une première raison majeure : la révolution digitale. Les Chinois en sont logiquement les demi-dieux mondiaux, eux qui ont dû et su excellemment exploiter la digitalisation pour doper leur marché intérieur malgré leur manque d'infrastructures physiques.

Mais là n'est pas l'essentiel qui nous fait penser qu'avec l'arrivée des véhicules chinois viendra une remise en question profonde des canons de la distribution VN, VO et des services. Notre analyse est d'abord propre à la mentalité chinoise. A l'inverse de la culture japonaise qui a choisi de s'adapter aux modèles économiques des marchés auxquels ses industries s'attaquaient, les constructeurs chinois ne semblent pas vouloir s’embarrasser autant des prérequis locaux.

L'option “acteurs multimarques”

Cette certitude, ou à tout le moins cette impression, nous vient des premiers contacts discrets que lesdits constructeurs prennent sur nos marchés européens pour tâter le terrain. Il s'interrogent logiquement sur la façon de diffuser et d'entretenir les véhicules qu'ils vendront. Mais très pragmatiquement, il s'intéressent au moins autant à ce qui existe déjà qu'à ce qu'il faudrait pré-bâtir pour y parvenir. Plutôt donc que de seulement benchmarker les stratégies des constructeurs déjà mondialement établis (ou au moins de ceux avec lesquels ils ont déjà de nombreux liens capitalistiques), ils s'intéressent aussi et sans grands préjugés aux diverses offres déjà présentes.

Et parmi elles, celles bien sûr de la rechange et de la distribution indépendantes (au sens très large, traditionnelle comme retail), qui offrent à la fois la compétence logistique et le déploiement de réseaux de réparation multimarque. Les confidences que nous recueillons sur ces premiers contacts sont édifiants. Ils peuvent se résumer à cette simple formule : seul le résultat va compter.

Trouver un raccourci de conquête

Entendre que ces constructeurs nouveaux ne plissent pas le nez en entendant multimarque. Ni ne souhaitent nécessairement, en préalable, construire des réseaux élitistes et dépendants affichant une façade pimpante, un mobilier normé, des stocks VN minimum, des localisations clinquantes ou des garanties bancaires flamboyantes. Non. Ce qu'ils veulent d'abord entendre est bien plus trivial : «c'est possible ou pas ? Vite ou pas ?»

A ce titre, la toute dernière homologation européenne en petite série de la voiture électrique chinoise à 10 000 € Suda SA01 en Allemagne, montre bien que l'industrie auto chinoise est capable de ne s'imposer aucune contrainte, même sécuritaire. Le crash test de l'Allemand ADAC ci-dessous est on ne peut plus édifiant. Et même si vous n'êtes pas germanophone, les images suffisent :

Même si cela ne les excuse pas, on peut les comprendre. Dans cette Chine plurimillénaire, l'histoire automobile n'est qu'un souffle de 30 ans. Elle n'a donc d'autre tradition que celle d'inventer ex-nihilo des solutions pour s'adapter aux attentes exponentielles d'un parc roulant encore jeune qui s'appuie sur une population récente et bigarrée de quelque 400 000 réparateurs.

Nécessité fait donc loi absolue. Quand ils abordent la problématique du déploiement et de l'entretien de leurs véhicules dans des parcs roulants déjà matures, ils adoptent la même approche avant tout pragmatique : comment faire vite et bien. Et le meilleur raccourci qu'il soit possible de trouver et de défricher vite n'est-il pas le tissu omniprésent et de plus en plus omnipotent de la distribution et des réparateurs multimarques dans la très grande majorité des pays dits développés ?

De séduisants acteurs multimarques

Ce futur n'est bien sûr pas encore écrit. Il faudrait d'abord que les pièces de ces futurs véhicules soient disponibles et stockées avant que les véhicules chinois n'arrivent. Et que l'info technique qui les accompagne soit accessible.

Certes. Mais sur ces derniers chapitres, ils devraient pouvoir compter sur les équipementiers occidentaux qui ont déjà investi les lignes de production chinoises. Ces fournisseurs sauront se mettre à la disposition de la rechange et de la réparation pour ces véhicules exotiques. Et c'est de toute façon un fait, même si personne ne vient s'en vanter : les très pressés constructeurs chinois qui cherchent à débarquer en Europe sollicitent déjà les offres, sinon au moins les conseils, des réseaux de distribution et de réparation indépendants de taille européenne, voire intercontinentale.

Des réseaux de plus en plus puissants, organisés, formés, disciplinés. Et donc aptes à accompagner la construction d'une offre de réseaux agréés, low-cost peut-être selon les références actuelles de nos constructeurs, mais agiles et rapides à déployer. Pas besoin d'aller les embarrasser avec nos questions : l'éventualité ne peut les laisser indifférents...

Vers un accélérateur de changements ?

Si les constructeurs chinois en venaient à emprunter ce raccourci multimarque, vous suivez notre pensée. Cette offensive prendrait des allures de révolution. Face à cette nouvelle concurrence à la fois tarifaire, logistique et commerciale, les constructeurs européens n'auraient d'autre choix que de s'adapter, quelle que soit la douleur de la contorsion.

Et ce n'est d'ailleurs plus un secret : ils s'interrogent déjà discrètement sur la façon d'adapter leur coûteux schéma de distribution traditionnel incarné par les RA1 et RA2 actuels (voir « et si les constructeurs pensaient à “labelliser” les indépendants ? »). Mais si lâcher cette proie pour l'ombre n'est plus une pensée taboue, elle n'en demeure pas moins un saut dans l'inconnu, voire dans le vide. Trouver ces économies en distribution VN, pièces et services se ferait au détriment bien sûr des investisseurs-concessionnaires et agents qui sont encore la clé de voûte du système.

L'autre rive d'un historique Rubicon

Car l'autre rive de ce Rubicon que nos constructeurs trouvent encore très périlleux de franchir, c'est un changement radical de stratégie pour réduire drastiquement les coûts de la distribution VN, VO et Services. Même s'ils leur pèsent tellement à l'heure où toutes les économies sont bonnes et seront de plus en plus nécessaires, pour financer les profonds changements technologiques et écologiques qui s'imposent à eux.

Reste le possible détonateur chinois tel qu'évoqué plus haut. Si la cohorte des constructeurs chinois venait envahir nos marchés par la voie nouvelle des acteurs multimarques, la goupille pourrait bien sauter. Une telle concurrence, dangereuse autant en prix VN qu'en prix de prestations, donnerait l'occasion aux constructeurs occidentaux de dynamiter leurs dogmes.

Nécessité vitale ferait alors loi. Si les constructeurs chinois venaient à casser les codes, il feraient office de maîtres-nageurs à l'ancienne pour nos constructeurs. Quand on avait trop peur de se jeter à l'eau sans bouée pour la première fois, il fallait parfois le coup d'épaule qui ne laissait plus le choix...

Jean-Marc Pierret
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