Libéralisation des pièces captives : le grand public au parfum

Romain Thirion
Image

Le dépôt de la proposition de loi visant à libéraliser le marché des pièces captives a attiré l'attention des médias grand public sur le sujet. Le Parisien, TF1 et France 3 y sont allés de leurs enquêtes, soigneusement relayées par la Feda.Le 8 avril dernier, le Journal officiel a enfin publié la proposition de loi portée par le député LREM de la Sarthe, Damien Pichereau, visant à libéraliser le marché de la pièce de carrosserie au 1er janvier 2022. Entre autres dispositions relatives à l'automobile, dont la baisse des primes d'assurance. Ajouté à la campagne de communication grand public menée par la Feda depuis le mois de mars dernier, il n'en a pas fallu davantage pour que les médias généralistes, papier ou télévisuels, se penchent sur la problématique.Le 12 avril, le journal Le Parisien faisait carrément sa Une avec le titre “Pièces détachées : pourquoi les prix flambent”. Son directeur de la rédaction, Jean-Michel Salvator, se fendant même d'un édito soulignant « le cas d'école en matière de lobbying » que constitue la défense par les constructeurs de leur monopole sur la distribution des pièces de robe. Historique de la directive Eurodesign, des votes européens sur la question et rappel du rapport sans suite de l'Autorité de la concurrence en 2012 : en quelques lignes, le journaliste y rappelle que le combat de la distribution indépendante pour abattre ce monopole date de plus de vingt ans. Et qu'en ce laps de temps, télécoms, distribution d'énergie et transports publics ont été ouverts à la concurrence.Débouchés pour la pièce d'origine libérée...

Partager sur
Le quotidien relève qu'en dépit des « risques pour l'emploi », cette vieille antienne des constructeurs, le marché de la pièce de carrosserie n'a pas de raison d'échapper à la marche de l'Histoire. Surtout qu'à l'entame de la dernière année d'un quinquennat Macron marqué par la crise des Gilets Jaunes, les enjeux de pouvoir d'achat reviennent en force, comme un écho du coup de semonce du Premier Ministre Edouard Philippe en 2019. Fort d'une infographie percutante présentant « des écarts de tarifs abyssaux » de 26 à 68% entre pièces constructeurs et pièces génériques parmi les éléments les plus remplacés dans l'Hexagone, Le Parisien rappelle par ailleurs que chaque Français dépense en moyenne 500 € chaque année en pièces détachées.

Une libéralisation du marché pourrait, selon la Feda et l'UFC Que Choisir ?, respectivement interrogées par le 20h de TF1 et le 12/13 de France 3, générer 415 millions d'euros d'économie pour les consommateurs. Sollicité, Damien Pichereau rappelle en outre au Parisien que les pièces constructeur ont enregistré des hausses de tarif de 11% entre 2017 et 2019. Et le quotidien de préciser que l'ouverture à la concurrence, au lieu de mettre au chômage les employés des sous-traitants des constructeurs, ferait plutôt leurs affaires. De Valeo à Plastic Omnium en passant par Faurecia, ce sont autant d'équipementiers qui accéderaient librement au marché et trouveraient un débouché supplémentaire pour leurs pièces, celles-ci étant « produites à 70% en France » selon le CCFA, cité par TF1, le 12 avril. Des pièces dites génériques qui, comme le précise France 3, sont déjà autorisées à la vente dans la plupart des pays européens.

...mais aussi pour l'adaptable

A côté, ce sont aussi les pièces dites adaptables qui verraient le marché s'ouvrir à elles, comme le rappellent les reporters de la première chaîne. Ceux-ci se sont d'ailleurs rendus en Espagne pour constater, auprès d'un réparateur indépendant, que l'usage de telles pièces pourrait générer des économies d'au moins 300 à 350 euros sur une réparation lourde comprenant capot, pare-chocs, aile et optique de phare. Des pièces adaptables pourtant « à l'avantage de l'Asie » selon ce même CCFA. Le Parisien s'y intéresse aussi dans un autre article, et relève que les sites web européens qui les commercialisent ne manquent pas : Aureliacar en Italie et Carser en Espagne, qui ont leurs déclinaisons en français, voire Autodoc en Allemagne, qui ne va toutefois pas jusqu'à vendre des pièces de robe en France.

Le quotidien sollicite d'ailleurs le témoignage de Vincent Belhandouz, président d'un Aniel qui, bien que distribuant lui-même de la pièce de carrosserie en-dehors du circuit constructeur, met en garde contre « la course au moins cher ». Tout en précisant que la pièce adaptable peut être classée en trois grades de qualité, le dirigeant rappelle que le consommateur qui s'essaierait de s'approvisionner sur des sites étrangers aurait la partie plus difficile au moment de trouver un carrossier pour peindre et monter les pièces commandées en ligne. D'où le recours aux travail au noir, selon Mathieu Séguran, délégué général de la Feda. Et ce, même si, selon un dirigeant d'assurance interrogé par Le Parisien, le risque de non-prise en charge en cas d'accident couvert par le contrat est quasi nul.

La PRE : une demi-alternative

Face à l'hypothèse d'une non-libéralisation, encore possible si la proposition de loi échoue à s'inscrire au calendrier législatif de septembre prochain ou si le texte n'était pas adopté, Le Parisien et TF1 rappellent qu'une réparation moins chère est possible grâce à la pièce d'occasion. Une alternative validée par les constructeurs puisqu'il s'agit généralement de pièces d'origine. Et une alternative d'autant plus réelle qu'elle est soutenue par les compagnies d'assurance et que, depuis 2017, le réparateur est tenu de proposer à son client d'opter pour une remise en état de son véhicule à l'aide de pièces de réemploi.

Citant la MAIF, Le Parisien relève que la facturation moyenne d'une PRE est 40% inférieure à celle d'une pièce neuve et que la marge laissée par l'assureur au réparateur peut être élevée, même si cela profite en premier lieu au client final. « Or, seulement 8,2% des réparations en 2020 a inclus une PRE », souligne le quotidien. TF1, de son côté, rappelle que les PRE représentaient « moins de 3% des pièces de carrosserie remplacées en 2020 ». Comme pour souligner qu'en dépit des opportunités qu'elle offre, la réparation à base de pièces d'occasion ne représente encore, en réalité, qu'une demi-alternative.

Ce que les grands médias n'ont pas relevé

Malgré l'approche plutôt complète de la problématique de la libéralisation des pièces captives dont Le Parisien, TF1 et France 3 ont fait preuve dans leurs différents sujets, les trois médias ont toutefois laissé de côté certains points importants de ce dossier. D'abord, l'importante différenciation entre pièce de qualité équivalente et pièce adaptable : lecteurs et téléspectateurs risquent trop facilement d'assimiler l'une à l'autre. Ensuite, le délai de protection auquel auraient encore droit les constructeurs sur les pièces neuves. 5 ans, 7 ans, 10 ans, 25 ans ? Enfin, le projet de loi européenne qui pourrait, dès la fin de l'année 2021, imposer la clause de réparation de la directive Eurodesign à l'ensemble des Etats membres de l'UE.

Romain Thirion
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire