Assurance : quand M6 questionne le coût moyen sinistre…

Romain Thirion
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Dans son édition du dimanche 4 juin dernier, l’émission de M6 spécialisée dans l’auto, “Turbo”, s’est penchée sur le coût moyen sinistre si cher aux assureurs, et sur ses corollaires. “Rôle économique” de l’expert instrumentalisé, pression déontologique sur ces mêmes experts, conventions IRSA, impact sur les primes d’assurance… Tout ou presque y est passé, des problèmes aux solutions, parmi lesquelles l’inévitable procédure de recours direct en cas d’accident non responsable.
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«Être bien assuré ne vous dispense pas de maintenir la garde de votre vigilance» envers l’assureur de votre véhicule et les pratiques des compagnies du secteur. Ainsi s’est exprimé Dominique Chapatte, présentateur de l’émission auto de M6, “Turbo” (cliquez sur le lien pour accéder à l'émission), dans son numéro du dimanche 4 juin dernier, au moment de lancer un sujet sur le fameux –et délétère– coût moyen sinistre. Une façon d’encourager les centaines de milliers de téléspectateurs de l’émission dominicale à ne pas tout passer à leur compagnie d’assurance, s’ils veulent préserver le montant de leur prime annuelle… et leur bon droit de consommateur.«On constate que, de plus en plus, les assureurs se plaignent du coût des sinistres, embraye la voix off. On constate également leur politique de plus en plus sévère à l’encontre de ceux qui génèrent des sinistres… voire qui en sont victimes.» Entendre débuter de cette façon une enquête diffusée sur un programme grand public destiné aux usagers de l’automobile, et donc aux assurés qui recourent à leurs services, a dû ravir les réparateurs et experts qui luttent au quotidien contre la mainmise assurantielle sur les tarifs horaires et les honoraires. Car c’est bien ainsi que se présente le sujet de “Turbo” : comme un avertissement.
Les Affranchis au micro !
Benjamin Labonne, président de la société Les Affranchis et de la FFC Réparateurs Auvergne.«Nous allons décrypter le jeu des compagnies d’assurance et voir comment contourner le système en toute légalité», ajoute l’auteur du sujet. Et le journaliste de revenir sur ce que l’on fixe comme le début des démarches à entreprendre, suite à sinistre auto : le constat amiable. L’occasion pour l’émission de solliciter Benjamin Labonne, président de la FFC Réparateurs d’Auvergne et président également de la société Les Affranchis, établie à Clermont-Ferrand. Lequel y va de quelques conseils en matière de constat. D’abord, le pré-remplir chez soi «pour gagner du temps en situation d’accident». Puis «prendre le temps de faire des photos [des dommages de son véhicule] avec son smartphone», ajoute-t-il, si l’accident met en cause un véhicule tiers.La voix off conseille même aux fidèles de “Turbo” de prendre des photos de la pièce d’identité de l’automobiliste adverse et rappelle l’importance de la signature des deux parties sur le constat. «Dans tous les cas, un expert sera nommé par votre compagnie d’assurance», une fois le constat envoyé. Et la voix off de préciser la mission de l’expert en automobile : fixer le coût des réparations et veiller à ce qu’elles soient réalisées dans les règles de l’art. «Le métier d’expert est réglementé par le Code civil et le Code de la route», poursuit le journaliste, rappelant par là-même le contenu de l’article L326-6 dudit code : «Les conditions dans lesquelles un expert en automobile exerce sa profession ne doivent pas porter atteinte à son indépendance». «Mais qu’en est-il de cette indépendance dans les faits ?» interroge la voix off, avant de nous faire rencontrer Stéphane, expert depuis dix ans dans un gros cabinet «dont les clients sont essentiellement des assureurs».
Un témoignage d’expert «édifiant»
Un expert qui a souhaité garder l’anonymat «de peur des représailles dont il pourrait faire l’objet suite à ce témoignage édifiant». Édifiant, c’est le mot, même si pour les professionnels de la réparation-collision, le refrain est bien connu. «Aujourd’hui, on ne peut pas travailler en toute indépendance, on est forcés de travailler un peu dans le sens de la compagnie d’assurance, de la caresser dans le sens du poil pour qu’effectivement, derrière, on ait la promesse d’avoir un peu plus de missions que le collègue d’à-côté.» Et voilà résumée, en une phrase cinglante, la situation des cabinets d’expertise libéraux, sur un marché où la sinistralité baisse, où la concentration se poursuit et où l’assureur est devenu faiseur de rois.«Cela peut aboutir, au pire, à ce que l’expert omette volontairement quelques éléments endommagés [dans son chiffrage du] sinistre, qu’il favorise l’emploi de pièces douteuses, volées ou de contrefaçon, et que l’on élimine tout ce qui est contrôles de géométrie», ajoute Stéphane. Difficile d’assumer une authentique mission d’exigence vis-à-vis du respect des conditions de sécurité routière, dans cette situation… «Aujourd’hui, poursuit l’expert, dans certains dossiers, on nous demande presque de les enlever, [ces contrôles], pour diminuer le coût total de la réparation finale.»
L’ANEA au rapport
Sylvain Girault, l'ancien vice-président délégué à la communication de l'ANEA.Les journalistes de “Turbo” tendent alors la parole à l’ANEA (Alliance nationale des experts en automobile), «qui représente les cabinets du type de celui qui emploie Stéphane». Et c’est au tour de Sylvain Girault, ex-vice-président délégué à la communication du syndicat d’experts libéraux, bien connu de nos lecteurs, de s’exprimer. Sur un refrain, là encore, bien connu. «Aujourd’hui, les assureurs sont dans un contexte extrêmement concurrentiel, donc l’idée est de trouver le juste équilibre : que l’assureur maîtrise ses dépenses et que le propriétaire du véhicule soit satisfait des réparations», déclare-t-il.A aucun moment, Sylvain Girault n’évoque ici le fait que le réparateur puisse pratiquer son métier sans se voir rogner ses tarifs horaires. Pas plus qu’il n’évoque la nécessité première, pour l’expert, de remettre le véhicule en conformité avec les objectifs de sécurité routière, pourtant la mission numéro 1 de l’expert en automobile, en vertu de la délégation de service public que lui confère son agrément d’État. Même s’il faut ajouter quelques légitimes dizaines ou centaines d’euros au chiffrage. Signe que le “rôle économique” de l’expert est devenu central parmi les enjeux défendus par la principale chambre syndicale d’experts libéraux…
Les primes augmentées sur le dos de l’assuré ?
Le sujet de “Turbo” propose ensuite de voir «comment les assureurs jouent sur le montant des primes que nous payons». Et les journalistes invitent alors les téléspectateurs à regarder avec eux «le relevé d’information, ce document qui vous sera demandé au moment où vous souhaitez changer d’assureur». A sa vue, ils s’interrogent : «pourquoi trouve-t-on dans ce relevé des accidents dans lesquels vous n’avez aucune responsabilité ?» Un bris de glace, par exemple, pour lequel le document mentionne bien «non responsable». Mais il n’est pas rare non plus –les remontées terrain nous le confirment régulièrement– que même des sinistres non responsables soient imputés au dossier des assurés…«Il faut savoir qu’une convention signée entre les compagnies d’assurance (NdlR : la convention IRSA) fixe qu’en-dessous d’un montant de réparation de 6 500 euros, c’est votre assureur qui prendra en charge les réparations, même si vous n’y êtes pour rien, avertit la voix off. Cela va donc participer à l’augmentation de votre prime. Nous avons sollicité des explications de la part des représentants des assureurs, qui n’ont pas souhaité s’exprimer.» Bien entendu. Ayant nous-mêmes essuyé à plusieurs reprises le refus des syndicats d’assureurs de commenter les sujets problématiques de la réparation-collision, nous ne pouvons que partager le dépit de nos confrères de “Turbo”.
Le recours direct mis en avant
«Mais savez-vous que si vous n’êtes pas responsable du sinistre, vous n’êtes pas obligé de transmettre le constat à votre compagnie d’assurance ?», interroge la voix off de “Turbo”. L’occasion d’évoquer enfin l’une des principales solutions légales pour obtenir indemnisation au centime près du préjudice subi suite à sinistre non responsable : le recours direct. Malgré l’usage malheureux en illustration de la page d’accueil de la plateforme Recours-direct.org -elle a plus ou moins cessé ses activités récemment), les journalistes de “Turbo” confirment : avec le recours direct, «vous pouvez vous retourner vers la partie adverse, et c’est ce que Carine a fait après avoir été percutée à l’arrière de sa Twingo, poursuivent-ils. Elle s’est rapprochée de la société Les Affranchis pour organiser son recours direct».«J’avais écouté une émission à la radio qui parlait de cette société, explique Carine Savel, évoquant ainsi l’émission “Votre Auto”, diffusée sur RMC. J’ai signé des documents qui donnaient pouvoir aux Affranchis pour me représenter et ma voiture a été réparée, se félicite-t-elle. Pour moi, toute la procédure a été transparente, c’est comme si, finalement, j’étais passée par mon assureur.» Sauf que dans le cas du recours direct, «le sinistre n’a pas été enregistré par l’assurance de la victime et ne va pas impacter le calcul de la future prime d’assurance», souligne Benjamin Labonne. Ce que certains assureurs, toutefois, n’hésitent pas à faire lorsqu’ils sont sollicités dans ce sens par l’assurance de la partie adverse… forçant l’assuré à réclamer expressément à son assureur de retirer ledit sinistre de son dossier. Un cas que “Turbo” n’évoque pas, mais que nos informateurs pratiquant le recours direct ont déjà rencontré…
>>> Nos précédents articles sur le coût moyen sinistre et les tarifs de réparation...
Romain Thirion
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