Groupements internationaux : suprématie menacée?

Jean-Marc Pierret
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AD International, ATR International, Global One Automotive, Groupauto International, Nexus Automotive International, Temot International... Historiques ou récents, les groupements internationaux de distributeurs indépendants trônent au sommet de la distribution de pièces multimarque. Mais ont-ils encore un avenir à la hauteur de leur glorieux passé, à l'heure où les distributeurs intégrés de tailles mondiales deviennent aussi gros qu'eux ? Et même potentiellement plus puissants en termes de concentrations d'achats ?
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Certes, on peut immédiatement nous opposer qu'ATR, le groupement allemand leader du domaine, revendiquait 20,1 milliards d'achats fin 2016, fort d'une progression qui semble en outre exponentielle depuis 2010 (graphique ci-contre). Et sur le papier, on aura raison.

Mais sur le papier seulement. Car face aux 14,5 milliards d’euros intégrés d’un GPC, face même aux 8,5 milliards intégrés d’un LKQ, ces 20,1 milliards issus de 37 membres indépendants permettent-ils toujours à ATR de revendiquer sereinement le sommet de la chaîne alimentaire de la distribution de pièces ? Les certitudes ne s’effritent-elles pas depuis que Stator-Van Heck Interpièces, son adhérent belge (180 millions d’euros au moins), a été racheté par LKQ, lequel est devenu par ailleurs le seul adhérent ATR d’Angleterre ? Depuis que le même LKQ a racheté l’adhérent ATR italien Rhiag (900 millions d’euros), requalifié en outre comme centrale d’achat européenne du distributeur américain ? Ou depuis que l’adhérent ATR suédois Mekonomen (615 millions d’euros) est passé sous contrôle du décidément incontournable LKQ ?

Et ce n’est pas le rachat prochain du géant allemand Stahlgruber, autre adhérent ATR déterminant en Allemagne, Autriche, Croatie, Slovénie, République Tchèque (et même en Italie de manière plus anecdotique) qui risque d'inverser la tendance. Quel que soit son tout prochain repreneur, il hypothèquera d’un coup le destin du 1,5 milliard d’euros de CA que stahlgruber apporte à ATR.

Nouveaux rapports de force

Un rapide calcul et le constat tombe : si le seul LKQ retirait toutes ses filiales du groupement ATR et si le repreneur imminent de Stahlgruber faisait de même, ATR ne pèserait plus “que” 18 milliards d'euros de CA.

Et encore ce CA théorique mériterait-il quelques révisions complémentaires à la baisse. On sait en effet que l'agglomération des chiffres d'affaires d'adhérents locaux, eux-mêmes membres de groupements nationaux, eux aussi adhérents de groupements internationaux, hypertrophie artificiellement le total officiellement proclamé par la pointe de cette indéchiffrable pyramide. Et ce, quel que soit le groupement international ou d'ailleurs national. Certains estiment même que le chiffre sous enseignes minore en général le total annoncé de 20 à 40% ! Retenons seulement 20% de moins sur les 18 milliards résiduels d'ATR et l'on débouche à peu près sur les 14,5 milliards de GPC. CQFD...

Évidemment, les apparences peuvent être sauvegardées. Rien n’empêche en effet le plus gros des distributeurs mondiaux de rester adhérent d’un groupement international. Mais en matière de rapport de force, une page se tourne tout de même aussi discrètement qu'inéluctablement.

Le pouvoir du volume de ventes garanti

Pas besoin en effet d’être grand clerc pour le comprendre : au fur et à mesure des rachats, le pouvoir de négociation avec les fournisseurs équipementiers bascule lentement mais sûrement. Il glisse de ces groupements internationaux agrégeant des chiffres d’affaires disparates vers ces distributeurs gigantesques capables d'aligner des divisions d'acheteurs zélés et obéissants.

Des distributeurs d'autant plus puissants qu'ils sont en position, eux, d’associer des prix d’achat à des volumes de vente garantis par des vendeurs de pièces soumis à leurs directives, où qu'ils soient dans le monde. L'intégration leur permet effectivement de faire appliquer par leurs distributeurs-filiales une discipline de référencement et de ventes infiniment plus efficace que toutes les promesses souvent mal tenues par les conglomérats de distributeurs indépendants.

La fin des faux-semblants

Et ça, n'importe quel équipementier habitué des grand'messes internationales de groupements vous le confirmera volontiers. Une fois tus les flonflons de la fête, de retour dans leurs territoires nationaux respectifs, leurs distributeurs adhérents ne se départissent jamais complètement de leurs intérêts et de leurs fournisseurs locaux. Au détriment des engagements de volumes évoqués dans lesdites grand'messes planétaires...

Car dans ces regroupements internationaux de groupements et de distributeurs nationaux et régionaux, il y a encore loin des stratégies mondiales aux réalités locales. Et c'est somme toute très humain. Aucun de ces distributeurs adhérents, surtout quand ils sont puissants −et a fortiori depuis qu'ils veulent se revendre les uns aux autres− n'a envie d'abdiquer son propre pouvoir local en renforçant de fait celui de ses homologues ou celui du groupement auquel il a adhéré.

Pour presque les mêmes raisons, aucune structure aftermarket d'équipementier, surtout si elle n'est pas référencée par le groupement en question, n'a non plus envie de disparaître faute de chiffre d'affaires local. Ses forces de ventes vont donc, elles aussi, s'aligner peu ou prou pour combattre localement les tarifs négociés au niveau international par le fournisseur concurrent...

L'indispensable réforme des groupements

Est-ce donc la fin annoncée des groupements internationaux dont le business model semble se démoder un peu plus chaque fois qu'un LKQ rachète un Van Heck, qu'un GPC gobe un AAG ou qu'un Uni-Select s'offre un Parts Alliance ? Beaucoup d'équipementiers le pensent. Certains l'espèrent même secrètement, après des années et des années de frustrations face aux volumes souvent théoriques mais toujours âprement négociés d'avance.

Rancuniers ou pas, ces fournisseurs considèrent de toute façon que les jeux sont faits. D'autant qu'ils en subissent déjà la nouvelle règle : à chaque rachat, le distributeur repreneur se refait financièrement, en partie au moins, en exhibant logiquement des volumes accrus d'achats qu'il transcende immédiatement en ristournes supplémentaires. Soumis à cette inévitable logique, les équipementiers n'ont pas vraiment tort d'expliquer qu'ils ne pourront pas rétribuer tout le monde éternellement...

Et même s'ils peuvent provisoirement résister −les effets attendus des intégrations, encore en cours en Europe, restent à venir−, ils savent qu'un LKQ ou un GPC, forts de leurs bases américaines solides, sont déjà en mesure de demander et d'obtenir au moins un “bonus de consolidation transatlantique”...

Pour garder leur légitimité et conserver une valeur ajoutée face à ces méga-distributeurs en mesure de les concurrencer de l'intérieur comme de l'extérieur ou tout simplement capables de bien vivre seuls, les groupements internationaux ont donc tout intérêt à se réformer. Au risque sinon de voir le sens de l'histoire les réformer d'office. Au sens cette fois militaire du terme...

Jean-Marc Pierret
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