Analyse – Pourquoi il faut cesser de condamner le Diesel

Jean-Marc Pierret
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Même si on déteste le Diesel, l'intérêt général veut pourtant que l'on cesse de le condamner trop vite. Car même si on l'interdisait, il resterait là pour de longues années, inertie du parc roulant oblige. Le tuer serait d'autant plus injuste qu'il est devenu, même si c'est aujourd'hui inaudible, un moteur réellement vertueux écologiquement. Il faut donc se battre sur deux fronts : entretenir au mieux les vieux moteurs polluants et laisser sa chance à leur nouvelle génération. Explications...
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La “tricherie VW” n'en finit plus de pourrir la vie de ce bon vieux moteur Diesel. Jusqu'à même risquer d'aboutir à sa mise à mort. Début 2017, une étude de la banque UBS lui a ainsi prédit pour 2025 un misérable strapontin mondial avec 4% seulement des nouveaux VN ! Après une mort politique actée, doit-on préparer l'acte de son décès après 125 ans de bons et loyaux services ? Ce serait d'autant plus injuste que les déclencheurs de son procès ne paient ni ne paieront les pots cassés. Ni VW et ses tripatouillages −à l'origine d'un inédit bashing mondial du Diesel−, encore moins la législation européenne −coupable d'avoir sciemment et sans vergogne édicté des normes qui ont permis beaucoup “d'abus légaux”.Ce veinard de VW souffre à peine du scandale dans ses résultats financiers comme commerciaux et se refait une virginité en proclamant, la main sur le cœur, préparer 30 milliards d'euros pour sa conversion massive à la verte fée électricité. 20 Milliards d'amendes ? Même pas mal... Même absolution tranquille pour les instances européennes prises pourtant en flagrant délit de normes trop compréhensives. Elles ont donc édicté de nouvelles règles en 2017 qui seront, et cette fois c'est promis-juré, intraitables et transparentes. Le tour est joué. Et voilà tous les responsables absous.
Infos matraquées jusqu'à l’écœurement
Reste le lampiste ultime de cette triste histoire, à savoir le moteur Diesel. Peut-on reprocher aux consommateurs de le jeter avec l'eau du bain trouble dans lequel VW et les autres constructeurs concernés l'ont plongé ? Évidemment pas. Il est indiscutablement de bonne foi, l'automobiliste légitimement choqué d'avoir été poussé à l'adoption massive du Diesel, en méconnaissance de cause et pendant de si longues années.Aurait-il d'ailleurs voulu oublier ou au moins pardonner ce festival de scandales qu'il ne l'aurait pas pu. Depuis la révélation des trucages de VW début septembre 2015, l'AFP (Agence France Presse), la première source d'info de toute la presse française, a diffusé quelque 660 dépêches directement liées à ce sujet. Soit l'étourdissante moyenne d'une info VW chaque jour ouvrable depuis 31 mois !Multipliez ça par le nombre de journaux qui reprennent chaque fois sa prose et ce, rien qu'en France, et on pourrait presque s'étonner d'avoir réussi à savoir que Macron officialisait sa candidature en novembre 2016 ou même qu'il était élu en mai 2017...
Après les particules, les NOx...
Pauvre consommateur... Il faut aussi comprendre son aversion nouvelle pour le Diesel. Il venait à peine de digérer l'existence des particules que le scandale VW lui faisait découvrir ces NOx jusqu'alors sagement occultées par des années de ruses lobbyistes. Horreur ultime : on lui a même récemment appris que VW a testé ses émissions Diesel sur des singes et sur des étudiants avant d'en dissimuler les résultats, ses nouveaux moteurs s'étant semble-t-il révélés (et pour cause ?) plus nocifs que les anciens !C'est donc logique. Depuis la révélation du Dieselgate et son cortège d'autres constructeurs pris la main dans le sac des failles organisées afin de s'affranchir des exigences des précédentes normes(*), l'addition est brutalement présentée au Diesel pour ses graves certes, et inavoués re-certes, péchés par omissions comme par émissions.Mais comment dès lors faire entendre et admettre au bon peuple qu'au même moment, depuis septembre 2017, le Diesel est pourtant devenu réellement vertueux en termes d'émissions de particules, d'émissions de NOx tout en restant le meilleur moteur thermique possible en termes de bilan CO2(**) ? Difficile de la lui refaire, au consommateur trahi. Trop suspect, tout ça. Totalement inaudible. Presque blasphématoire...
Le Diesel reste pourtant le meilleur moteur thermique
Pourtant, il faudra bien entendre cette contradictoire évidence : si l'on veut moins de CO2, il faut plus de Diesel, puisque cette motorisation consomme 20% de moins que l'essence. PSA, qui était le champion du CO2 minimisé, vient d'ailleurs de perdre sa première place européenne à cause de la chute de ses ventes Diesel ! En 2017, ses véhicules produits émettaient en moyenne 108,1 grammes du gaz à effets de serre au kilomètre sur le Vieux Continent, contre une moyenne européenne toutes marques confondues de 118,6 g/km...Deuxième évidence : pendant que le Diesel réglait technologiquement son problème de NOx et de particules, les moteurs essence que les anti-diesels favorisent à l'envi se retrouvaient forcés de s'adjoindre des FAP... car ils se mettent aussi à générer des particules... tout comme le Diesel dont ils ont copié les solutions pour émettre moins de CO2 !En quelques évidences chiffrées et autant de constats de bon sens, Fabrice Godefroy, président de l'association Diéselistes de France, vient expliquer pourquoi il faut compter avec -et sur- le Diesel... En quelques évidences chiffrées et autant de constats de bon sens, Fabrice Godefroy, président de l'association Diéseliste de France, vient expliquer pourquoi il faut compter sur le Diesel...Troisième évidence que rappelle Fabrice Godefroy, le président de l'association Diéséliste de France : l'alternative de la voiture électrique n'a d'intérêt que si le bilan environnemental de la production de son électricité est bon. Or, là aussi, des questions méritent d'être mieux explorées. Quel impact CO2 affiche une électricité produite par des centrales thermiques ? Et on ne fait que commencer à s'interroger sur l'impact environnemental douteux de l'extraction du lithium, du cobalt et du nickel nécessaires à la fabrication des batteries, pendant qu'il nous reste encore à découvrir les coûts exorbitants de leur problématique recyclage.Pour parler clair : ce n'est pas parce que les voitures électriques purifieront localement l'air des villes que l'atmosphère générale ne sera pas polluée par le CO2 généré par l'électricité qui les meut ou par le mode d’extraction des matières premières nécessaires à leur fonctionnement...
Diesel responsable de tout et de n'importe quoi
Mais restons-en pour l'instant au Diesel. Au nom de son passé effectivement constitué de lobbying abusif et de solutions techniques tordues, il reste donc coupable et responsable de tous les maux. Jusqu'à l'absurde. Il en devient aujourd'hui le presque seul prévenu convoqué au banc populaire des accusés −avec les pourtant marginales cheminées domestiques au bois !− chaque fois qu'une alerte aux particules traverse notre beau pays avide d'air pur.Et cela aussi, c'est injuste comme le démontrait, le 26 février dernier, l'association Diéséliste de France dans l'un de ses récents communiqués de presse. Les 7 et 8 février derniers, puis les 20, 21 et 22 février suivants, ces particules venaient à nouveau obscurcir notre atmosphère. Mais à bien y regarder, elles ne sortaient pas toutes des pots d'échappement tricolores, loin s'en faut. D'autant que la neige et le verglas réduisaient alors drastiquement le déplacement des voitures.Ces particules envahissantes venaient en fait principalement de l'Est européen où les vagues de froids continentales forçaient les centrales thermiques à charbon et les chauffages d'immeubles à fournir la chaleur nécessaires aux habitations. Les vents d'Est faisaient alors le reste en ramenant chez nous le résultat de toutes ces combustions. A l'appui de la démonstration, les cartes quotidiennes ci-dessous, issues du site de la très officielle "Prev Air", plateforme nationale de surveillance et prévision de la qualité de l’air :
Propagation de la pollution aux particules les 7 et 8 février 2018
De gauche à droite, l'évolution de la vague de pollution aux particules du 7 au 8 février derniers. De gauche à droite, l'évolution de la vague de pollution aux particules du 7 au 8 février derniers (cliquez sur l'image pour l'agrandir).
Propagation de la pollution aux particules les 20, 21 et 22 février 2018
De gauche à droite, l'évolution de la vague de pollution aux particules du 20 au 22 février derniers (cliquez sur l'image pour l'agrandir).
Mais les temps changent. Quand le nuage de Tchernobyl traversait l'Europe d'Est en Ouest, on nous expliquait que la radioactivité s'était poliment arrêtée aux portes de la France. Maintenant qu'il s'agit de particules, on nous laisse croire qu'elles ne naissent qu'à l'intérieur de nos seules frontières gorgées du mortifère Diesel...
Le Diesel était coupable
Qu'on ne nous fasse pas pour autant un procès en hérésie environnementale. Aussi sûrement que les particules “étrangères” sont quand même respirées en France, les vertes performances du Diesel d'aujourd'hui n'effacent évidemment pas par magie ses excès polluants d'hier. Les douteux véhicules Diesel du passé, largement représentés en France, continuent à rouler et à émettre leur lot de particules et de NOx.Mais quand bien même. Il y a loin du rêve de pureté écologique aux réalités pragmatiques du marché. Et sur ce terrain-là encore, l'association Diéséliste de France vient prendre la pensée unique à contrepied. Et avec bon sens.Sa toute récente analyse s'appuie en effet sur une autre réalité que les pourfendeurs du Diesel oublient trop souvent. Aussi définitives soient leurs imprécations contre ce carburant, aussi forte et entendue soit leur exigence de le voir même interdit de production, leur croisade idéologique restera écologiquement vaine. Car tout ce beau monde qui se félicite de la chute des ventes de Diesel ne semble pas conscient que, même si on l'interdisait drastiquement demain matin à force d'imprécations, il faudrait quand même... faire avec.
Ne pas oublier l'inertie du parc roulant
Car le parc automobile a des raisons que le bon cœur écologique ignore. Témoins, ces deux simulations de l'évolution du parc roulant français jusqu'en 2028, produite par le GiPA, cabinet d'étude spécialisé dans l'après-vente. L'analyse part de l'actuel constat de 63,8% de véhicules Diesel circulant dans le parc roulant français en 2017 et aboutit sur deux simulations.Commençons par la plus pessimiste. Si le rejet du Diesel faisait chuter de 70% la présence de cette motorisation dans les nouvelles immatriculations en la ramenant ainsi d'ici 5 ans à seulement 25% des mises en circulation pour la contenir finalement à seulement 14% dans 10 ans, il resterait quand même en 2028 près de... 39% de véhicules Diesel circulant en France :
Évolution et projection du parc VP par type de motorisation sur 11 ans - Baisse de 70% des nouvelles immatriculations de diesel sur la période - (source GIPA)
Cliquez sur l'image pour l'agrandir Cliquez sur l'image pour l'agrandirDeuxième scenario plus probablement réaliste du GiPA : une chute tendancielle de 30% des nouvelles immatriculations Diesel ramènerait la part de cette motorisation à “seulement” 40% des immatriculations en 2028 et à “seulement” 45,5% du nombre total de véhicules roulants !
Évolution et projection du parc VP par type de motorisation sur 10 ans - Baisse de 30% des nouvelles immatriculations de diesel sur la période - (source GIPA)
Cliquez sur l'image pour l'agrandir Cliquez sur l'image pour l'agrandirQu'on le veuille ou pas donc, le Diesel n'est pas éradicable au sens où ses détracteurs le souhaitent. Virez-le des usines de production constructeur qu'il faudra bien continuer à rouler avec ceux déjà achetés par de bons citoyens. Sauf bien sûr à décider, façon Corée du Nord, de faire casser des cailloux à tous les ennemis du “respirer pur” qui s'acharneraient à mettre quotidiennement le contact de leur Diesel pour s'en aller travailler, faire leurs courses ou pire, partir voir leurs proches qui n'habiteraient pourtant pas au bout d'une ligne de métro, de bus ou de chemin de fer...
Ne pas désespérer les Diésélistes... et les réparateurs
Dernière et pertinent constat de Diéséliste de France : puisqu'on ne peut décidément pas faire sans le Diesel, autant éviter de mal faire avec. Cette association regroupant quelque 200 entreprises françaises spécialisées irriguant en pièces, infos techniques et prestations quelque 40 000 ateliers d'entretien-réparation en France, n'est certes pas désintéressée. Elle craint l'effet contre-productif, dévastateur, d'une proclamation irréaliste de la fin annoncée du Diesel.D'ailleurs, les salariés de Bosch-Rodez en savent déjà quelque chose, eux qui sont les premières victimes visibles des emplois sacrifiés par la baisse des immatriculations Diesel... Pour les mêmes raisons, l'association s'inquiète donc pour l'avenir de ses entreprises adhérentes qui fédèrent quelque 3 000 salariés spécialisés en France au rythme moyen de 17 salariés concernés par entreprise.Mais elle dit penser aussi à l'intérêt général. Qui en effet entretiendra demain correctement le parc roulant existant si les pros du secteurs se détournent du Diesel, de sa technologie et de ses spécificités parce qu'on leur martèle qu'ils sont non seulement des assassins indirects, mais que de toute façon, leur activité n'a pas plus d'avenir que le Diesel qui la fait tourner ?Par contagion, le risque est là de voir les moteurs Diesel −et justement les plus anciens d'entre eux, donc les pires en termes d'émissions diverses− mal entretenus car réputés en voie d'extinction par des professionnels qui se chercheront une reconversion et se concentreront sur d'autres formations.Voilà toutes les raisons pour lesquelles il faut arrêter de condamner le Diesel. Laissons-lui donc le temps de tenir ses promesses environnementales avant de le brûler en place publique. D'autant qu'une telle punition expiatoire, sans FAP ni réglages idoines, ne viendrait qu'ajouter particules, NOx et CO2 dans l'atmosphère...(*) Passons sur l'irréaliste cycle de tests dit NEDC, né en 1973, qui mesurait les émissions dans des conditions totalement permissives car impossibles à reproduire en conditions réelles. Souvenons-nous simplement que selon le règlement communautaire 715/2007 qui encadrait les émissions polluantes jusqu'à l'édiction d'Euro 6c en septembre dernier, il était certes interdit aux constructeurs d'utiliser des dispositifs réduisant l'efficacité des systèmes de contrôle des émissions. A une nuance près qui a ouvert la voie à bien des abus constatés dans le sillage du scandale VW : «Cette interdiction ne s'applique pas lorsque le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur» (voir page 6, article 5 alinéa 2 du règlement téléchargeable ici).(**)Pour les sceptiques qui nous croiraient partisans, lire l'excellent article de notre confrère Challenges : «Diesel ou essence, lequel pollue le plus?»
Jean-Marc Pierret
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