Eco Entretien : les secrets dangers de l’eco diag par les experts

Romain Thirion
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Entrée dans l’Association Eco Entretien (AEE), l’Alliance nationale des experts en automobile (ANEA) souhaite voir ses experts devenir tiers de confiance en s'appropriant l'eco diag, préalable à toute future prestation d'éco entretien. Les organisations professionnelles de réparateurs sont vent debout. Ont-elles compris qu'un tel précédent pourrait effectivement importer dans la mécanique le même contrôle économique que le couple expert/assureur a durement imposé à la réparation-collision ? Probablement...
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«Par leur côté “tiers de confiance” et leur indépendance vis-à-vis du secteur économique, les experts en automobile ont une place légitime aux côtés de l’AEE […] pour inciter les citoyens automobilistes à adopter un comportement éco responsable plus vertueux face à l’accroissement généralisé de la pollution.» La phrase  est de Jacques Rifflart, président de l’Association Eco Entretien (AEE). Prononcée le 30 mars dernier en conclusion du 1er Symposium de l'ANEA consacré à l’Eco Entretien et gravée en page 2 du dossier remis à l’ensemble des invités du premier Symposium ANEA, elle n'est pas passée inaperçue. Ce faisant, et en dépit de son historique au sein de la distribution de pièces automobiles chez Genelec, Jacques Rifflart venait effectivement de reprendre mot pour mot la rhétorique de l’ANEA elle-même.
L'irritation de la FNA...
“Tiers de confiance”... L'expression est aussi forte qu'elle était mal reçue par les principales fédérations de réparateurs, forces motrices au sein de l’AEE où l'ANEA a pris un strapontin en rejoignant le Comité consultatif de l’association.«L’AEE a pour vocation de créer une chaîne de compétences entre ses différents membres et cultive la complémentarité, souligne Aliou Sow, secrétaire général de la Fédération nationale de l’automobile (FNA). Mais en affirmant l’expert comme “tiers de confiance”, l’ANEA accrédite l’idée que ladite confiance serait rompue entre l’automobiliste et le réparateur».Pour lui, «c’est une posture de la part de l’ANEA, une façon de souligner que le réparateur serait juge et partie en diagnostiquant les problèmes de combustion et de dépollution du véhicule et en réparant en conséquence. Mais soyons clair et logique : quand on va chez le médecin, c’est pourtant autant pour le diagnostic que pour le traitement.»
... l'irritation du CNPA...
Si la confiance des automobilistes envers les réparateurs n’a pas toujours été au beau fixe, le président du CNPA, Francis Bartholomé n'a pas non plus l'intention d'en sous-traiter la restauration à d'autres. Il souligne «les efforts que nous faisons pour nous réapproprier ce rôle de tiers de confiance entre le client automobiliste et l’État», qui l’oblige sur le plan de la sécurité routière à garder son véhicule en bon état de fonctionnement.«J’insiste depuis longtemps sur ce rôle auprès des adhérents du CNPA. Et même s’il reste encore beaucoup de travail pour restaurer pleinement la confiance des automobilistes, je crois que les experts ont un travail au moins aussi important à effectuer pour la retrouver, eux aussi», tacle-t-il en remettant de fait les experts à leur place. Car l’automobiliste n’est pas dupe, lui qui n’entend généralement parler de l’expert qu’au moment d’un sinistre, lorsque son assureur mandate un expert qu’il “agrée” pour examiner son véhicule.
... l'irritation de la FFC
Même position chez Patrick Nardou, président de la FFC-Réparateurs et présent lors du Symposium ANEA. Il se souvient avoir entendu «François Mondello, président de l’ANEA, déplorer dans son introduction de l’événement que l’expert soit encore trop considéré comme un chiffreur ; or, c’est ce qu’il est pourtant devenu», s'agace-t-il.«Les experts en assument même pleinement la responsabilité en s’étant inscrit dans la tête des automobilistes comme les prestataires des assureurs. Alors que pour ceux qui, comme moi, ont connu l’époque où l’expert disposait de plus de marge de manœuvre par rapport aux compagnies d’assurance, un temps où il était moins soumis aux outils de chiffrage informatique, le rôle de référent technique de l’expert primait sur tout le reste. »
L’expert en quête de visibilité…
Aujourd’hui, la place qu’a pris le chiffrage informatique y compris chez les réparateurs, au travers notamment d’applications comme le Chiffrage Autonome du Réparateur (CAR) de Covéa, rend il est vrai encore plus précaire la position de référent économique de l’expert.Il lui faut donc trouver des pistes pour renouer pleinement avec le rôle d’expert technique qui est le sien. Et à ce propos, l’Eco Entretien semble tomber à pic : «L’expert cherche ainsi à retrouver une légitimité qu’il a perdue : celle de technicien», ose Patrick Nardou, qui reconnaît à l’ANEA une volonté de renouer avec l’un des fondamentaux du métier d’expert, trop négligé par la prépondérance donnée aux arbitrages économiques ces dernières décennies.«L’entrée de l’ANEA dans le Comité consultatif de l’AEE n’a pas de conséquence sur le plan opérationnel et décisionnel de l’association, donc ça ne pose pas de problème de fond : toutes les opinions qui peuvent faire avancer l’assainissement du parc sont les bienvenues, concède Francis Bartholomé. Le métier d’expert bouge et oblige ces professionnels à se resituer, ainsi qu’à resituer leurs compétences.»Pour Aliou Sow, «le Comité consultatif de l’AEE est conçu pour que toutes les instances intéressées par la thématique de l’Eco Entretien puissent participer aux grandes orientations dans ce domaine ; en cela il peut accueillir beaucoup de monde et les experts y ont leur place aussi».
…ou en quête d’un marché ?
Bien sûr, parler d’Eco entretien nécessite des compétences à jour en matière de thermodynamique moteur. «Il est évident que c’est une compétence dont il nous faut disposer aujourd’hui au sein de nos cabinets. Cela passe par la formation des hommes et le développement d’un matériel d’analyse adapté, se défend Christophe Theuil, président délégué de l’ANEA. Nous y travaillons actuellement et c’est ce qui a justifié notre rapprochement avec l’AEE.»Oui, mais quand effectuer cet “eco diag d’expert” ? «Le bilan énergétique d’un moteur peut être réalisé à tout moment. […] Ceci peut être particulièrement utile dans le cadre des transactions entre particuliers, de la remise sur le marché des véhicules en leasing, où encore à titre d’information lors d’un chiffrage de réparation», ajoute Christophe Theuil.
Qui paie et qui est payé ?
Et voilà précisément où l'offensive de l'ANEA vient agacer frontalement les représentants des réparateurs. Dans ce dernier cadre du contrôle économique d'un chiffrage de réparation, les fédérations de réparateurs ne semblent pas des plus enthousiastes à voir l’expert s’immiscer dans une prestation eco diag que leurs adhérents sont censés fournir.«Il n’y a aucune raison de pratiquer un eco diag au moment d’une expertise collision si le sinistre ne concerne pas la thermodynamique moteur, insiste Aliou Sow. Sur l’expertise d’une panne liée, pourquoi pas ; mais dans le cadre d’un sinistre autre, c’est hors mission.»D’autant que si l’assureur exige un eco diag de l’expert, comment accepterait-il de payer aussi le réparateur pour la même prestation ? Et à l'inverse, pourquoi imposer un diag tiers à un réparateur qui est au moins aussi légitime à le pratiquer lui-même ? «Que l’expert fasse pratiquer un eco diag par le réparateur lors de l’expertise, OK ; mais pas qu’il le fasse lui-même. Nous ne le concevons pas», affirme Patrick Nardou.
Un eco diag est-il une réparation ?
A priori, une prestation eco diag prodiguée par l'expert pourrait contrevenir à l'article L326-6 du Code de la route. Il dispose en effet qu'est «incompatible avec l'exercice de la profession d'expert en automobile l'exercice d'activités touchant à la production, la vente, la location, la réparation et la représentation de véhicules à moteur et des pièces accessoires».Mais a priori seulement. Car un diagnostic est-il à proprement parler un acte de réparation ? Les réparateurs en sont visiblement convaincus, eux qui voient mal l’expert prodiguer un eco diag en passant ainsi d’une position consultative à une position active. Mais la question est pourtant dorénavant posée par les experts, qui comptent probablement sur ce trou de souris rhétorique pour s'estimer légitimes à vouloir le proposer.
Le vrai danger de l'eco diag n'est-il pas ailleurs ?
Et là est peut-être bien le vrai enjeu majeur que personne n'ose même verbaliser. Car dans cette niche presque anodine de l'eco diag “made in experts”, les fédérations de réparateurs ont évidemment entr'aperçu le potentiel chien dangereux. Un chien de garde qui, zélé et soumis comme un expert habitué à servir la main assurantielle qui le nourrit, saurait encadrer demain le coût des prestations classiques d'atelier pour des assureurs qui réfléchissent déjà à la meilleure façon d'assurer l'entretien-réparation mécanique.Car compagnies et mutuelles sont en train de le comprendre : deux courbes se croisent qui ne sont pas bonnes pour leur rentabilité, à savoir la baisse tendancielle du nombre de sinistres auto et celles, incontrôlable, de la hausse exponentielle de leur coût moyen. Et sur ce marché en récession constante, il n'y a plus grand chose à récupérer chez les carrossiers déjà économiquement essorés...Après le précédent de la mise sous coupe réglée de la réparation-collision, les organisations professionnelles de réparateurs n'ont évidemment guère envie de voir le couple expert/assureur s'adjuger cet eco diag. Il ferait dangereusement jurisprudence en permettant au diagnostic par expert de prouver qu'il peut s'imposer en amont de toute prestation de réparation mécanique...
La faim justifie tous les moyens
Pour toutes ces raisons, les réparateurs sont effectivement bien placés pour exprimer une prudence mesurée envers les appétits de l'expertise auto. Ils ont compris que les experts ont, il est vrai, pris depuis longtemps l'habitude d’accommoder leurs règles à la sauce de leurs dures réalités.Car après tout, le même article L326-6 précité ne précise-t-il pas aussi que «les conditions dans lesquelles un expert en automobile exerce sa profession ne doivent pas porter atteinte à son indépendance» ? Et ce, alors même pourtant que les missions en réparation-collision que leur confient les assureurs sont de plus en plus prioritairement assujetties à leur capacité de réduire les coûts assumés par leurs donneurs d'ordres ?Car plaire d'abord et surtout à l'assureur constitue un vital Sésame pour que leurs cabinets restent en Cour auprès de donneurs d'ordres qui instrumentalisent à l'envi la raréfaction structurelle des missions d'expertise. La faim, comme la fin, justifie bien des moyens.Décidément, le libre choix du réparateur a encore bien des fronts à combattre. Comme d'habitude, on vous tiendra au courant...
Romain Thirion
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