Renault a-t-il seulement une stratégie aftermarket multimarque?

Jean-Marc Pierret
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Montées successives au capital d'Exadis, rachat d'un distributeur italien indépendant... puis plus rien. Renault a-t-il vraiment décidé d'ébaucher ainsi une stratégie pièces et services multimarque ou s'est-il seulement contenté de réagir face à des impératifs immédiats ?
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Depuis que PSA Aftermarket a émergé avec Distrigo en septembre 2016 et se déploie tous azimuts en BtoB comme en BtoC (plaques PR, gammes équipementières, vente en ligne, etc.), on guette une logique similaire chez les autres constructeurs, tous supposés réfléchir à la même extension de leurs activités pièces et services. A commencer bien sûr par Renault.

L'ébauche multimarque de Renault

L'autre constructeur français semblait en effet s'ébrouer peu de temps après en prenant, en décembre 2016, une participation initiale dans Exadis, le réseau de 9 plateformes de l'ex-Groupe Laurent. Il s'y renforçait même capitalistiquement en septembre 2019, aux côtés cette fois de Mobivia.

Cette stratégie franco-française paraissait certes encore anecdotique comparée à l'armada voulue nativement mondiale de PSA Aftermarket (Distrigo/Eurorepar Car Service/Mister-Auto/Buttler). Mais on pouvait aussi concéder à Renault un début de couleur internationale quand, en 2016 encore, Renault s'offrait PiVi, un distributeur indépendant italien. Le constructeur jetait-il donc ainsi les bases d'une stratégie au moins paneuropéenne de distribution de pièces multimarque ?

En intégrant également le Groupement des Concessionnaires Renault (GCR) au capital d'Exadis, il semblait même vouloir opposer une concertation douce à la stratégie plus autoritaire de PSA qui venait alors de confisquer le business de la distribution de pièces de ses DOPR pour le confier à ses seules 40 plateformes PR françaises en déploiement. Renault, lui, préférait apparemment embarquer ses concessionnaires dans la logistique de son business PR multimarque plutôt que de les en écarter...

Exadis : stratégie offensive ou défensive ?

Mais rien d'autre ne s'est passé depuis, ni en Italie, ni ailleurs en Europe. Même son réseau multimarque Motrio semble passivement regarder Eurorepar Car Service s'envoler vers son objectif de 5 000 adhérents mondiaux. Le doute s'est donc installé. Et côté PR, à bien y réfléchir, l'entrée dans le capital d'Exadis pourrait au final s'avérer plus conservatoire qu'offensivement pensé.

Quand pourtant Renault prenait en 2016 cette première participation de 23,5% (+11,5% via Ciscar, la centrale d'achat du GCR), l'option semblait pourtant claire, voire visionnaire. Grâce au débouché commercial ouvert ainsi par le potentiel des achats du réseau français de 600 sites RA1 et de près de 3 000 RA2, la démarche était a priori gagnant-gagnant. Exadis sécurisait son destin immédiat avec des ventes supplémentaires, pendant que Renault y gagnait un approvisionnement et une culture en pièces équipementières multimarque.

Mais l'attelage Exadis-réseau Renault n'a pas tenu ses promesses. Le volume des achats PR par le réseau au Losange, supposé relancer Exadis, n'a pas été atteint. Loin s'en faut : fin 2018 selon certaines sources, il aurait pu être 4 à 6 fois inférieur aux espérances initiales et guère plus encourageant en 2019.

Renault et Mobivia, voisins par obligation

Les résultats d'Exadis continuant à se dégrader, une autre et désagréable question risquait de s'imposer à Renault en fin d'année dernière, sur fond d’effondrement du Groupe Laurent. Si Exadis devait fondre les plombs en sombrant avec le Groupe Laurent, le constructeur ne risquerait-il pas de se retrouver impliqué dans les causes mêmes du naufrage, voire même accusé d'en être l'un des artisans majeurs ?

C'est là que Mobivia entrait en jeu. D'abord en soustrayant Exadis au “risque Laurent”, puisque cet actionnaire sortait ainsi du capital. Parallèlement, le groupe avait déjà fondé une business unit BtoB, après avoir acquis Autopass (Originauto). Sur le papier au moins, Exadis fournissait l'occasion là encore d'acquérir un sourcing multimarque équipementier, via un réseau de plateformes clés en main. Et là aussi, l'option avait au moins l'apparence de la cohérence : si l'on veut vendre des pièces aux acteurs du B2B, il faut être capable de proposer des gammes équipementières larges et profondes, ce que le retailer ne sait pas nécessairement faire en bon spécialiste des seules grandes ventes et autres MDD.

Mais Comme Renault, d'autres raisons ont pu conduire Mobivia à inventer dans l'urgence une stratégie plus défensive. La possible disparition d'Exadis risquait de priver Mobivia et ses enseignes d'un réseau de dépannage très présent auprès de ses divers centres franchisés et succursales.

Conclusion 1 : Renault et Mobivia sont peut-être bien plus voisins par obligation que frères en stratégie. Dans ce cas, ceux qui en extrapolent en creux une possible stratégie inédite de rapprochement entre les deux nouveaux copropriétaires d'Exadis devraient penser à changer de théorie.

Conclusion 2 : si Renault s'est bien retrouvé en situation d'avoir plus à éviter le pire que de tirer le meilleur de ses investissements successifs dans Exadis, la question de son absence de stratégie multimarque lisible reste encore sans réponse...

Jean-Marc Pierret
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