Plaidoyer pour l’après-vente automobile, Après-Vente de toutes les après-ventes et de toutes les logistiques

Jean-Marc Pierret
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Nous avons relayé hier vos commentaires croissants à nos articles tentant de pister les éléments de compréhension et d’action dans la situation inédite qui paralyse la France. Force est de constater que la peur gagne hélas sur le bon sens ; que l’individualisme craintif gangrène le civisme. Mais si l'après-vente ne se hisse pas à la hauteur des défis pandémiques, tout risque bel et bien de s'arrêter...
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Les chefs d’entreprises de notre secteur, du plus petit garage de province au plus massif réseau de réparation, du plus petit jobber au plus gros groupe de distribution, du plus petit débosseleur au plus industrialisé des carrossiers, du plus petit sous-traitant régional au plus mondial des équipementiers, se retrouvent trop souvent contraints, un par un, de fermer.

Il faut aussi comprendre que beaucoup de leurs salariés les soupçonnent de les exposer cyniquement au risque du Covid-19, à tout le moins de ne pas les sécuriser assez. A croire qu’il n’y a pas de geste barrière qui tienne ; à croire que pousser la porte de chez soi condamne immanquablement à la contamination ; à croire que c’est Ebola et la peste noire réunis qui nous guettent à chaque respiration, à chaque déplacement, derrière chaque rencontre, même à un 1,50 m de distance et derrière des masques et des gants.

Nous comprenons bien évidemment les entreprises qui se retrouvent contraintes à une mise en veille. Car il n’y a pas que le difficile arbitrage entre coûts de structure et effondrement du marché, un effondrement d’ailleurs aléatoire selon les régions ou/et les structures de marchés locaux. Il y a aussi cette peur irraisonnable, reptilienne, qui nous fait dangereusement perdre le sens commun -et le sens du Commun- pour nous replier chez nous, entre nous, entre soi.

Car les entreprises qui ferment actuellement le font aussi, trop souvent, faute de combattants. A savoir leurs salariés déjà atteints par un agent pathogène bien plus rapide que le Covid-19 : la crainte d’être contaminé et de devenir contaminant. Sous la pression compréhensible mais parfois violente des salariés et des représentants du personnels, elles ont souvent dû baissé le rideau. Elles réussissent quand même, nombreuses, à maintenir des services d’urgence en place. Le CNPA rappelait aussi dans un point presse du jour que nombreux sont les professionnels qui mettent au moins à disposition des besoins urgents de mobilité leurs véhicules de location ou de courtoisie.

Notre président a-t-il fait l’erreur d’appeler au confinement sécuritaire et «en même temps», mais dans un second temps seulement, au maintien en fonctionnement des infrastructures, des maintenances et des logistiques ? Le gouvernement semble s'en être rendu compte. Comme il semble avoir compris que l'option chômage partiel, doublée de la promesse de tout prendre en compte, a en bien des points suscité trop d'arrêts provisoires d'activité. Les rumeurs enflent sur un rétro-pédalage des largesses en la matière. Le président vient de dire qu'il voulait que la France se remette au travail. Cet après-midi, Bruno Le Maire constatait qu'il commence à manquer de bras dans la grande distribution et le transport. La peur touche même ceux dont les pros de la réparation doivent assurer la mobilité. Le blocage gronde. Son cortège de drames aussi...

Si la tendance à l'ankylose économique est ainsi contrariée, les rangs des professionnels qui résistent, vaille que vaille et surtout, coûte que coûte, vont réenfler. Mais ils vont devoir réussir à rassurer leurs salariés par des mesures sanitaires élémentaires, mais aussi en les fédérant autour d’enjeux allant bien au-delà du moment. Par leur vision de ce que doit être une après-vente digne, au service de tous.

Une vision que, vous l’aurez compris, nous partageons et soutenons. A partir de demain matin, nous allons consacrer nos newsletters en ligne à suivre ceux qui inventent et réinventent l'après-vente de crise. Certains sont exemplaires en la matière et subissent même de violent reproches quand ils sont pourtant volontaires et, oui, désintéressés. Nous allons parler de ceux qui se battent pour maintenir l'activité, ne serait-ce que par un numéro de téléphone ; ou par une seule personne d'astreinte. 

Ne nous trompons d’ailleurs pas de combat ni d’interprétation. Il n'y a pas de jugement de notre part et nous le redisons : dans notre secteur comme dans d’autres, des entreprises sont purement et simplement contraintes à la fermeture. Mais celles qui restent ouvertes ou entr’ouvertes ont un formidable mérite. Car il est beaucoup plus coûteux, beaucoup plus dangereux encore de maintenir l’activité sans même savoir encore de quelles aides et de quels soutiens elles bénéficieront.

Quand le chiffre d’affaires s’effondre mais que les charges continuent à courir, même différées par des reports, le déséquilibre et les risques économiques s’accroissent d'autant. Salariés de l’après-vente, s’il vous plaît donc, cessez de croire que vos patrons -ou ceux de vos concurrents- qui veulent rester ouverts le font par appât du gain et que ceux qui ferment totalement sont les seuls à prendre en compte votre santé et celle de vos proches. Nous avons reçu bien trop de témoignages caricaturaux en ce sens.

Et puisque le temps est aux allégories guerrières, exhumons donc cette phrase de Churchill : «On considère le chef d’entreprise comme un homme à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char». Et il est bien lourd, le char, quand on veut continuer à le tirer en ces temps difficiles. Pour le dire clairement, pensons-y dès maintenant. Quand la guerre sanitaire sera passée -et elle passera- salariés comme patrons, serons-nous fiers d’appartenir au camp de ceux qui ont voulu servir en risquant la mort économique -bien plus imminente que la mort virale- ou de nous compter parmi ceux qui se seront mis à l’abri des bombes ?

Bien sûr, à lire vos commentaires des jours derniers, personne n’oublie évidemment les pompiers, les ambulanciers, les personnels soignants, les policiers qui ont besoin de se déplacer et donc ont besoin de vos pièces et de vos services. Mais pardonnez-nous : à appeler à la fermeture comme vos commentaires transmis à notre rédaction le font trop souvent -et que vous soyons chefs d’entreprises morts d’inquiétude ou salariés craignant la contamination- nous oublions que les réparateurs, carrossiers, distributeurs, du patron au plus récent des apprentis, sont les indispensables maillons d’une bien plus grande chaîne sanitaire.

Derrière un pompier il y a un camion, un VUL, une voiture qui doit pouvoir rouler, c’est vrai. Même chose évidemment pour le personnel soignant. Même chose pour le policier. Mais une France opérationnelle, debout, prête à se relancer à la première éclaircie, se résume-t-elle à sa seule mission d’être au chevet des malades que provoque cette épidémie ?

Va-t-on encore une fois laisser regarder la France au travers de ses seules grandes villes, dont d’ailleurs les transports publics et alternatifs s’assèchent au fil du confinement ? Doit-on encore oublier que les 34 000 communes françaises, dont plus de 90% de moins de 10 000 habitants, sont reliées essentiellement par l’automobile, les bus, les cars ? Doit-on oublier que pour maintenir active la multitude de hubs logistiques aux multiples activités (des centres logistiques qui ne sont évidemment pas situés au cœur des grandes villes), il faut que ceux qui les font tourner s’y rendent aussi en voiture ? Que pour que les centrales thermiques ou nucléaires tournent, il faut très souvent des automobilistes ? Que beaucoup de malades (chimios, dialyses, etc., etc.) vont à leurs soins vitaux en taxis, en VTC ou avec leur voiture personnelle ?

Dans cette brouillonne et obscurcissante montée des terreurs, on n’entend déjà plus ces transporteurs de médicaments qui non seulement subissent la peur de leurs salariés, parfois les contrôles trop zélés des forces de l’ordre, mais aussi de plus en plus, l’impossibilité de trouver les pièces et les ateliers opérationnels qui permettent aux camions d’apporter les remèdes en tous genres à destination. On n’entend déjà plus ces transporteurs du dernier kilomètre qui doivent cesser leur activité pour les mêmes et absurdes raisons. Ceux-là livrent pourtant de tout : des courses, des consommables, des télés, de l’électro-ménager…

Car l’après-vente automobile -au sens large, celle des mobilités- est l’Après-Vente de toutes les après-ventes. L’Après-Vente de toutes les logistiques.

Alors regardons les distributeurs de pièces, les réparateurs, les fournisseurs, les sociétés de services qui restent ouverts, même partiellement. Tous inventent dans l’urgence des méthodes nouvelles : livraisons sans contact avec les réparateurs ; livraisons réduites en nombre, mais garanties au moins une fois par jour ; mise en place de plans de circulations au sein même de leurs entreprises pour limiter les proximités physiques entre collaborateurs ; numéros d'urgence avec liste des points ouverts ; déploiement de nouveaux modes de communication digitaux. Regardons les réparateurs qui maintiennent leurs ateliers, même pour une entrée-atelier/jour. Regardons-les aussi chercher de plus en plus en vain la pièce qui doit leur permettre d’achever une réparation…

Leur reprochera-t-on aussi, après la crise, d’avoir la reconnaissance du ventre de clients qu’ils auront nourris de leurs pièces et de leurs services et qui se détourneront d’anciens fournisseurs qui, eux, leur auront opposé porte close ?

Et surtout, que dirons-nous quand les grands magasins se videront parce que les camions certes, mais aussi les livreurs en VUL, voire les livraisons à domicile en VP, s’arrêteront faute de denrées à livrer, mais aussi de pièces ou de services pour réparer ou entretenir leurs flottes, ou faute de salariés tétanisés par le risque ? Que dirons-nous quand nous ne pourrons plus remplacer un bête frigo en panne ? Que dirons-nous quand notre fuite ou notre panne électrique ne trouvera ni plombier, ni électricien, faute de pouvoir se déplacer ou trouver la pièce qu’il doit changer chez nous ?

Oserons-nous dire, nous tous les pros de l’après-vente auto, à la source de tant d’autres après-vente dépendantes d’outils et de services de mobilité, que l’arrêt des autres après-ventes est un scandale ? En oubliant honteusement que leur défaillance aura peut-être la nôtre pour origine première ? Que dirons-nous quand nous-mêmes, notre voisine ou notre voisin n’auront pu emmener son mari ou sa femme, son père ou sa mère, son fils ou sa fille se faire soigner en urgence dans un hôpital faute de véhicule opérationnel ?

Que l’État n’a pas fait son job ? Mais si nous le poussons à réquisitionner arbitrairement et dans l’urgence certaines entreprises parce que trop d’entreprises après-vente aura déposé les armes, viendrons-nous alors nous plaindre d’une dérive autoritariste ?

Oui, il faut aussi que l’État clarifie ses positions. On ne peut dire que les centres de contrôle technique, au moins pour les indispensables poids lourds, ferment ou ouvrent selon les moments. On ne peut pas rester dans le doute quant aux stations-service, ouvertes ou fermées selon qu’elles distribuent seulement de l’essence ou qu’elles fassent restauration. Mais dans l’urgence d’une situation inédite, les vérités évoluent aussi d’heure en heure et de minute en minute. Soyons compréhensifs et restons attentifs. Et surtout, mobilisés.

En conclusion, pensons aussi à l’après-crise. L’ensemble de l’après-vente souffre déjà indirectement de la désastreuse image de voitures, camionnettes et camions polluants, mortifères, envahissants, étouffants, presque génocidaires… Sommes-nous vraiment prêts à entendre, après la crise, que tous ces véhicules n’auront même pas pu -donc même pas su- se rendre utiles quand on en avait le plus besoin, faute d’avoir pu bénéficier du soutien de tous ceux qui, acteurs de l’après-vente automobile, leur permettent quotidiennement de pouvoir assumer leurs vitales fonctions de mobilité ?

Martelons-le : l’après-vente automobile est l’Après-Vente de toutes les après-ventes et de toutes les logistiques. Le gouvernement semble l’avoir compris. Soyons tous, à nos divers niveaux, acteurs d'un mouvement qui évitera la paralysie.

Jean-Marc Pierret
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