Nexus Automotive International : <em>« n’exclure aucun des futurs post-crise possibles »</em>

Jean-Marc Pierret
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«C'est maintenant qu'il faut penser à la sortie de crise, pour que tout l'écosystème soit prêt à se relancer». Gaël Escribe, CEO du groupement mondial Nexus Automotive (27 milliards d'euros d'achats cumulés) explique comment la structure s'adapte à cette crise mondial, sans exclure tous les futurs possiblement issus de cette situation planétaire inédite...
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«Cette situation inédite, aux conséquences considérables, doit aussi produire son lot de possibilités nouvelles. A commencer par le temps que nous donne le confinement pour repenser le modèle de la distribution de pièces». Gaël Escribe, CEO du groupement international Nexus Automotive International, ne se résigne décidément pas à la crise. «Nous travaillons continuellement sur de nouveaux projets, mais nous n'avons pas toujours le temps de les approfondir, de les affiner, précise-t-il. Beaucoup n'avançaient pas nécessairement vite ou bien avec la pression du quotidien. Le temps que cette pandémie nous a forcé à prendre, nous l'avons orienté vers la gestion accrue de ces projets».

Dossiers stratégiques et humanitaires

Il avoue ainsi une trentaine de dossiers stratégiques que le confinement a permis de remettre sur le haut de la pile, sans bien sûr vouloir nous les détailler. Mais une chose est d'ores et déjà sûr pour lui : «C'est maintenant qu'il faut penser à la sortie de crise, pour que tout l'écosystème soit prêt à se relancer». Et ne rien exclure pour l'avenir.

Bien sûr, préparer demain n'exclut pas de réagir au présent. «Nous avons identifié et traiter toutes les baisses de coûts possibles. Au niveau de notre groupement, nous avons réduits les charges qui nous incombent de 30% en quelques jours». L'urgence est également à la solidarité. Avec l'initiative «Nexus United», «nous avons fait don, avec l'appui de Brembo, de 20 000 masques chirurgicaux à l'hôpital de Bergame. Des initiatives similaires sont déployées dans d'autres pays d'Europe».

Car des défis, il va y en avoir à relever. A commencer par une sortie de déconfinement qui ne sera sûrement pas aussi rapide ou spectaculaire qu'espérée. «En Asie, nous constatons ce qui va probablement arriver en Europe ou aux États-Unis. Les déconfinements, et par voie d'extension la reprise dans chaque pays, sont progressifs. En Chine, même si les usines refonctionnent en grande majorité, la distribution de pièces est plus lente à redémarrer». Il ne s'attend donc vraiment à une reprise tangible qu'à partir de septembre...

La rechange, plus sûre que la 1ère monte...

Il s'inquiète aussi de la violence des mesures prises par les géants nord-américains de l'automobile. «Les constructeurs américains ont déployé des mesures pour le moins vigoureuses, comme la baisse de 25% des salaires. Ces décisions vont logiquement impacter les équipementiers. Et on peut craindre que des mesures drastiques de licenciements massifs ne viennent surinfecter la reprise outre-Atlantique et les résultats de nos fournisseurs les plus concernés par le marché américain

Sans vouloir garantir ce chiffre, il s'attend à ce que l'activité, sur l'année, soit impactée de 30% en après-vente au plan mondial, avec de fortes craintes d'effondrement en VN et VO. «Cet état de fait va générer des tensions chez les constructeurs et chez les équipementiers impliqués en 1ère monte», prédit-il sans grand risque de se tromper. On peut donc s'attendre à voir le tissu des fournisseurs automobiles particulièrement bousculé, fussent-ils mondiaux.

Faire rimer “Compliance” avec confiance...

Jusqu'à vouloir renégocier les conditions qu'ils accordent en rechange aux distributeurs et groupements, nationaux comme mondiaux ? «Nous n'en sommes pas là, rassure-t-il. Mais il faut effectivement repenser notre relation. C'est par exemple le moment pour nous de réfléchir à un renforcement de la compliance avec tous nos adhérents (NdlR : la compliance est l'anglicisme qui traduit la fidélité dans les achats et l'engagement sur des volumes). Un vieux reproche que les fournisseurs font à leurs distributeurs, à savoir leur promptitude à négocier des conditions sans nécessairement les assortir d'une garantie ferme de retours “volumiques” (voir notre article de 2017 «Groupements internationaux : suprématie menacée ?».

Pour Gaël Escribe, la sortie ne peut s'imaginer que “gagnant-gagnant”. Et si la distribution de pièces va devoir penser à accroître inévitablement sa discipline d'achat, les équipementiers vont aussi devoir compter sur la distribution. «Il n'y a guère d'autres moyens de sortir de la crise par le haut. Soutenir nos fournisseurs par des engagements renforcés fait partie de nos réflexions au niveau mondial ; nos fournisseurs, eux, devront s'appuyer sur nous qui seront en amont de la reprise, puisque la mobilité redémarrera fatalement plus rapidement que l'industrie de la 1ère monte», prophétise-t-il.

Cette meilleure collaboration entre équipementiers et distributeurs n'est d'ailleurs pas seulement imaginable au niveau mondial ou nationale. Les distributeurs régionaux et départementaux devraient aussi peut-être se demander s'il n'est pas temps de rationaliser leurs stocks et leur sourcing pour résister à des demandes pressentes de fournisseurs pressés à tous les sens du terme...

Revisiter les modes de fonctionnement

Nexus repense d'ailleurs aussi l'annualité des RFA (Remises de fin d'année). «En ce moment, nous préconisons une trimestrialisation de ces remises à nos adhérents de la part des équipementiers», explique-t-il. Là aussi, il s'agit d'imaginer une approche nouvelle qui soit utile à tous. L'équipementier n'a pas à “sortir” des sommes conséquentes une fois par an et les distributeurs bénéficient d'un ballon d'oxygène financier plus régulier.» Et en creux, ces rendez-vous trimestriels permettent aussi de rappeler plus souvent les engagements pris. Quatre rendez-vous annuels au lieu d'un, un aide-mémoire utile à cette meilleure compliance qui ne peut guère déplaire aux équipementiers ?

Dans l'immédiat, Gaël Escribe constate que les distributeurs -mais aussi les équipementiers- utilisent leur temps disponible à revisiter leurs stocks, un vieux réflexe «mécanique» quand il faut réduire le poids sur les trésoreries. «À cet égard, Marketparts (NdlR : startup issue de la pouponnière digitale de Nexus et rodée avec succès auprès d'adhérents internationaux du groupement) joue en ce moment parfaitement son rôle, elle qui est dévolue à l'échange et l'optimisation des stocks entre acteurs de la pièce du monde entier».

Ne pas insulter l'avenir

Une certitude : «nous devons travailler avec nos fournisseurs pour réussir la sortie de crise», martèle un Gaël Escribe qui ne veut rien exclure. «Cette crise est inédite. On se doit de n'exclure aucun des futurs possibles». Même ceux qui paraissaient encore impensables il y a quelques semaines. Une façon de revisiter le vieux dicton interdisant d'insulter l'avenir, surtout quand il est particulièrement incertain.

Face à la violence d'un effondrement de l'offre comme des achats, il pense que le monde de la pièce pourrait vivre des rapprochements inédits. Mais pas nécessairement sous les seuls aspects financiers qui ont jusqu'alors présidé aux grandes concentrations : «Le monde de la finance et des investisseurs va être très impacté. Il l'est d'ailleurs déjà : parmi les startups que nous suivons, certaines ont déjà subi des désengagements. Nous n'excluons pas de devoir nous substituer à certains investisseurs», précise-t-il.

En attendant, même les ennemis d'hier pourraient avoir intérêt à mutualiser leurs qualités pour ne pas se retrouver en grave défaut. Même des rapprochements entre groupements internationaux ? On devine le silencieux sourire de Gaël Escribe au téléphone, lui qui nous a habitué à ne jamais rien écarter. Mais ne trouve-t-on pas parfois une piste nouvelle en défrichant les taillis les plus touffus ?

De cette période noire, des stratégies de page blanche comme on n'en imaginait pas pourraient bien émerger...

Jean-Marc Pierret
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