Soutien des assureurs: que peuvent espérer les carrossiers ?

Jean-Marc Pierret
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Moratoire total sur les agréments ou réévaluation de ces derniers, remise en lumière de la clause volumétrique oubliée depuis 2016, reconnaissance de la perte d'exploitation... Les organisations professionnelles concernées se tournent vers les assureurs qui, de leur côté, dépensent déjà en partie les économies que la baisse drastique des sinistralités leur a octroyé. Mais quels soutiens attendent vraiment et peuvent attendre les carrossiers dévastés par une baisse d'activité de 80% ?

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Les assureurs sont en première ligne des demandes des professionnels de la filière des services automobile -et de tous les autres d'ailleurs- sur la question évidemment universellement partagée de la perte d'exploitation liée au confinement pandémique. Mais les compagnies et mutuelles, évidemment et massivement sollicités en la matière, ont d'abord fait savoir -à défaut de le faire comprendre et accepter- que la pandémie était exclue des conditions de déclenchement des garanties perte d'exploitation.

Reste que la perte d'exploitation de l'ensemble des professionnels des services de l'automobile est abyssale tout particulièrement pour ceux dont les activités sont fermées, comme les showrooms VN et VO par exemple ou la lucrative partie “food” des stations-service. D'autant que la situation n'est guère plus satisfaisante pour les autres dont l'activité est autorisée.

Prudentes initiatives des assureurs

Le CNPA vient d'annoncer hier que la demande semble commencer à se faire entendre, via la CMPE qui plaide (avec le CNPA et de nombreuses organisations) pour une prise en charge par les assureurs des pertes d’exploitation des TPE-PME assurées pour ce risque. «Plusieurs compagnies soucieuses de la nécessité d’accompagner et de soutenir leurs clients professionnels dans une période plus que difficile, se sont engagées dans cette voie», souligne le CNPA. Ainsi, le Crédit Mutuel et CIC Assurances verseront à leurs clients ayant souscrit une assurance multirisque professionnelle avec perte d’exploitation, «une somme correspondant à une estimation forfaitaire de perte de revenus de chaque secteur économique pendant cette période».

Le 20H de France 2 du mercredi 22 avril a effectivement confirmé que les deux bancassureurs en question commencent à verser des primes exceptionnelles de perte d'exploitation à 27 000 entreprises, pour un montant moyen de 7 000 €. Le Crédit Agricole annonçait ensuite la même démarche exceptionnelle, à concurrence d'une enveloppe globale de 200 M€.

Des carrossiers à -80%

Mais le reportage se concluait aussi sur le fait que les autres assureurs n'en ont toujours pas l'intention, préférant privilégier d'autres solutions, comme la plus indolore pour eux, à savoir le gel des cotisations.

Pourtant, les assureurs sont du bon côté économique de la pandémie. Selon une source très fiable et proche des assureurs, début avril s'inscrivait dans une tendance de baisse de 80% des sinistres automobiles et d'ailleurs, de -40% en sinistres habitation. Les assureurs dans leur ensemble disposent donc d'un enveloppe nécessairement grandissante, jusqu'au 11 mai au moins, d'économies ainsi réalisées. La FNA l'a estimée à environ 2 milliards d'euros, chiffre que valident aussi les analyses du CNPA. Dans un article récent, nous arrivions pour notre part à 1,75 milliard pour les seuls sinistres automobiles du 16 mars au 11 mai.

Des assureurs fourmis, certes mais aussi cigales

Il faut toutefois reconnaître que lesdits assureurs, évidemment conscients de la situation autant que soucieux de leur image, ne se sont pas non plus assis sur ce pécule croissant. Ils ont entrepris d'autres démarches que le simple gel des cotisations. Comme l'abondement à hauteur de 400 M€ au nouveau fonds de solidarité, ou le remboursement partiel de primes d'assurances durant le confinement.

Le 15 avril dernier, la Fédération Française de l'Assurance (FFA) s'empressait d'ailleurs de souligner dans un communiqué que ses adhérents ont pris «une série de mesures extracontractuelles et solidaires à destination des populations et des entreprises les plus exposées qui se chiffrent au total à 1,75 milliard d’euros.» Le titre du communiqué était même encore plus généreux : «3,2 milliards d’euros de mesures exceptionnelles pour faire face à la crise du COVID-19».

La question complexe des agréments

La question de savoir donc si les assureurs vont entendre les demandes croissantes des organisations professionnelles du secteurs quant au soutien des seuls carrossiers s'annonce aussi complexe que difficile. Le CNPA, la FNA et la FFC-Réparateurs s'appliquent logiquement à relancer la question du coût des agréments signés par les carrossiers. Mais avec des approches et/ou des demandes toutefois différentes.

Dans sa récente proposition de plan de relance, la FNA a jeté très loin l'hameçon. Elle propose ni plus ni moins un moratoire total desdits agréments jusqu'à fin 2020, en demandant que les tarifs publics des carrossiers s'imposent durant la période comme base de facturation du taux horaire. Le CNPA est sur la même voie, mais plus mesurée. Il ne demande pas la neutralisation totale des agréments, mais au moins une renégociation sur l'année, avec effet rétroactif depuis janvier.

Réactiver la clause volumétrique

La FFC-Réparateurs est plus discrète en communication officielle sur le sujet, mais travaille aussi sur le dossier. Sa position est plus légaliste. Elle rappelle notamment l'existence mal reconnue de la clause volumétrique souhaitée par l'avis 16-8 de la CEPC en date du 12 février 2016. Si elle s'appliquait pleinement, la baisse d'exigence des agréments serait dès lors tout bêtement mécanique : moins de volumes = moins d'avantage pour l'apporteur d'affaires, souligne l'organisation professionnelle.

Comme elle prône l'absence d'agrément à ses adhérents pour garantir leur rentabilité, la FFC ne va donc pas s'engager sur cette voie de la renégociation conjoncturelle des conditions. Elle préfère se concentrer sur la remise en lumière de cette clause volumétrique, plus universelle, voire plus juste, puisque s'appuyant juste sur les volumes consentis par les assureurs et leurs plateformes de gestion de sinistres. Et cet avis de la CEPC a une autre vertu : il souligne que si les assureurs ne l'appliquent pas, il en va de leur responsabilité civile.

Mais au fait, qu'attendent les carrossiers ?

Mais la remise en cause des conditions d'agréments obsède-t-elle seulement les carrossiers sinistrés ? Forte d'un panel conséquent de 205 carrossiers indépendants, 105 RA1 et 100 RA2 ayant un atelier de réparation-collision, la toute récente étude commune GiPA/FFC vient de mettre en lumière les attentes des carrossiers eux-mêmes (voir «Etude FFC/GiPA : des carrossiers touchés mais pas coulés»).

Et surprise : l'appui des assureurs (notion plus générale d'ailleurs que la seule question des agrément) arrive seulement en toute dernière position des «mesures souhaitées pour relancer l'activité». Pour seulement 5%. Et même derrière les 10% de carrossiers qui ne demandent rien, sinon attendre que ça reparte. Ce qui, en creux, peut signifier que 10% seulement de cette profession dispose d'une solide trésorerie...

Il est vrai aussi que les carrossiers-réparateurs ont depuis longtemps cessé d'attendre un généreux soutien de leurs apporteurs d'affaires, plus habituellement soucieux de réduire sans cesse leurs coûts de sinistres que de s'inquiéter du confort économique des carrossiers. Il n'en reste pas moins que les priorités du moment pour les professionnels interrogés sont, toutefois, massivement différentes. Par ordre d'importance : la suppression ou à tout le moins le report des charges et taxes (28%), la relance de la consommation (22%), ou des aides financières de l’État ou des banques (18%). Et ils sont plus impatients de toucher effectivement les subsides du chômage partiel ou de bénéficier du retour fluide des approvisionnements en pièces (8% chacun)...

Ne pas demander l'impossible ?

Les assureurs ne vont certainement pas se priver d'exploiter les résultats de cette étude pour calmer les ardeurs révolutionnaires des organisations professionnelles. Et bien sûr, pour rappeler qu'ils n'ont pas joué les Arpagon depuis le début de cette période inédite.

Peut-être les fédérations professionnelles seraient-elles donc bien inspirées de ne pas demander l'impossible aux assureurs, mais de les “travailler” effectivement sur la perte d'exploitation et tout particulièrement sur cette clause volumétrique qui va hélas avoir au moins l'avantage de pouvoir être testée à une échelle nationale. En tout cas, en revendiquant un accompagnement compatible avec les disponibilités du moment et les attentes réelles des professionnels. En cherchant en tout cas le défaut politique ou économique de la cuirasse des assureurs, plutôt que de leur réclamer tout simplement des milliards...

D'autant qu'à en croire le CNPA, Bruno Le Maire vient d'initier, avec la FFA, un groupe de travail sur le développement d’une couverture assurantielle des évènements exceptionnels, tels que les pandémies, en faveur des entreprises.

Car une prochaine fois si elle devait arriver, on ne pourra effectivement plus dire qu'on ne pouvait prévoir...

Jean-Marc Pierret
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