Assureurs et confinement: remettre vite la prime au milieu du village

Jean-Marc Pierret
Image
Effets du confinement obligent, tout le monde lorgne sur les économies faites par les assureurs du fait d'une baisse drastique des sinistres automobiles ou autres. Mais les compagnies et mutuelles ne l'entendent pas de cette oreille : participer à l'effort de solidarité, oui ; mais rembourser des primes, même en partie, ce serait un précédent dont elles ne veulent pas, vient d'argumenter Florence Lustman, la présidente de la puissante Fédération Française de l'Assurance...
Partager sur

On ne peut évidemment reprocher aux assureurs d'être prudents par nature. Ils le sont dans l'évaluation des risques évidemment, dans le chiffrage des dédommagements logiquement et par conséquent, dans leur communication. Eux qui se savent constamment suspectés d'arrière-pensées mercantiles, de lobbyisme addictif et de puissance financière ont évidemment vu le vent se lever dès le début du confinement. Tout le monde allait se tourner vers eux.

A commencer par les assurés professionnels qui ont découvert ou redécouvert que la pandémie est exclue des risques couverts par l'assurance perte d'exploitation, pour des raisons d'ailleurs qui s'imposent aux assureurs, plus qu'elles ne sont choisies par eux (voir «Covid-19 et carrosseries : « de grâce, cessons de réclamer une perte d’exploitation»). Quant aux automobilistes, encouragés récemment par UFC-Que Choisir, ils ont vite compris qu'une voiture qui ne roule pas n'a guère de chance d'avoir un sinistre.

On se précipite au guichet

Entretemps, les carrossiers n'avaient pas tardé à demander aux assureurs un retour sur leurs “investissements” en conditions négociées d'agréés depuis des années. En leur nom, le CNPA a proposé un adoucissement des conditions d'agrément ; la FNA a carrément réclamé que lesdits carrossiers puissent facturer tout sinistre automobile en 2020 à leurs tarifs publics de main d’œuvre. Quant à la FFC, elle voudrait qu'enfin, les clauses volumétriques s'appliquent qui conditionneraient automatiquement les avantages consentis aux assureurs selon les réels volumes de véhicules “agréés” entrés dans les ateliers (voir «Soutien des assureurs : que peuvent espérer les carrossiers ?»).

Quant aux Experts qui viennent de constater un recul de 85% de leur activité, ils ont sûrement aussi compris que les assureurs, eux, ne sont pas nécessairement mécontents de voir l'expertise à distance bénéficier de l'effet confinement afin de réduire, un peu plus et durablement, les coûts des expertises «physiques»...

Non aux “chasseurs de primes”

Les assureurs font effectivement partie des “happy fews” à qui le Covid-19 profite. Moins de sinistres automobiles, moins de cambriolages, moins de sinistres habitation et pas -en tout cas pas encore- de catastrophes climatiques saisonnières, le tout sur fond de primes dimensionnées pour une année “normale”. Il n'en fallait pas plus pour que beaucoup lorgnent sur leurs économies conjoncturelles. On parle de 2 à 3 milliards ainsi non-déboursés faute de sinistres.

La Fédération Française de l'Assurance n'a évidemment pas chômé pour convaincre que les acteurs assurantiels mettent déjà la main à la poche. Elle avait précédemment mis en valeur les engagements exceptionnels de ses adhérents compagnies et mutuelles : abondement au fonds de solidarité, initiatives de tel ou tel assureur, le tout pour une enveloppe qu'elle estime à 3,2 milliards d'euros. Histoire de valoriser l'esprit de solidarité exprimé par la profession, de prouver qu'économies cachées, il n'y a pas vraiment. Et pour ne pas laisser s'installer l'idée d'un opportunisme mal venu.

L'éclaircie n'implique pas le beau temps

Pas question toutefois qu'un événement sans précédent favorise des précédents inédits. Quand UFC-Que Choisir a souhaité voir les assureurs rembourser les semaines que les autos ont passé au garage, le danger s'est un peu plus matérialisé. Il a bien fallu sortir un peu plus du bois. Car si les assurés se mettent à demander leur “money back” chaque fois qu'il n'y a pas sinistre, c'est une porte qui s'ouvre sur un grand n'importe quoi, se sont inquiétés les assureurs. La FFA a donc choisi l'AFP pour remettre la prime au milieu du village.

Certes, la FFA vient -enfin- de chiffrer à -75% le nombre d’accidents sur une période de 2 mois de confinement. Mais «cela entraîne-t-il pour autant un droit ou un intérêt à être remboursé d’une partie de sa prime ?», a tenu à préciser Florence Lustman, la présidente de la fédération professionnelle, dans une réponse rendue publique à Alain Bazot, président de l'UFC-Que Choisir.

«Il est dangereux de faire croire aux assurés que, parce qu'il fait beau un jour, il faudrait se faire rembourser les primes catastrophes naturelles, ou parce que l'on n'a pas subi de dégât des eaux une année, il faudrait se faire rembourser sa prime d'assurance habitation», a ainsi insisté Florence Lustman. La demande de remboursement portée par l'UFC-Que Choisir est, selon la présidente, contraire au principe de mutualisation selon lequel, argumente-t-elle, on «répartit les risques dans l'espace et dans le temps». L'éclaircie n'implique jamais le beau temps, s'empresse-t-elle de marteler : «qui peut raisonnablement anticiper la situation dans les prochains mois ?»

On verra en 2021...

Une fois l'essentiel réaffirmé, il a toutefois fallu lâcher du lest. «Ce n’est qu’à la fin de l’année que nous pourrons juger de la réalité des accidents automobile pour 2020», a édicté la FFA, mais sans insulter l'avenir pour au moins repousser le problème à des périodes plus calmes. «S’il se trouve que les primes perçues ont été supérieures aux sinistres payés, cela se répercutera sur les tarifs de l’année 2021», a presque promis Florence Lustman.

Sans oublier toutefois de rappeler ce vieux constat une fois encore bien utile pour doucher les appétits des uns et des autres : «Je rappelle [...] que depuis de nombreuses années les résultats techniques de l’assurance automobile sont négatifs et que l’équilibre ne peut être atteint que grâce à des produits financiers de nos actifs qui, vous en conviendrez, risquent de nous faire défaut cette année».

Ce pourrait être au moins l'occasion de détailler ces chiffres de la sinistralité auto qui s'autoproclament depuis toujours à la limite de l'équilibre, mais sans jamais avoir été clairement explicités...

Jean-Marc Pierret
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire