Plaidoyer pour un contrôle technique auto plus fiable… et deux fois moins cher

Jean-Marc Pierret
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Favoriser une “auto-réforme” du contrôle technique automobile français avant que ses dérives ne l’imposent violemment à lui et à tous les professionnels du secteur, c’est le message que Laurent Bermejo, retraité d’une longue carrière dans les contrôles techniques de toutes natures -dont automobile- a souhaité passer dans nos colonnes. Et à l’écouter, c’est aussi urgent… que possible.
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Lecteur assidu de notre journal, Laurent Bermejo a souhaité réagir à notre article qui vient de souligner les troublantes aberrations statistiques du contrôle technique en France (nouveaux chiffres dans le dernier encadré ci-dessous). Un sujet qui, malgré la torpeur estivale, a déjà soulevé l’intérêt de plus de 20 000 lecteurs et suscité une vingtaine de commentaires !

Aujourd’hui retiré du service actif, L. Bermejo aligne une solide expérience du secteur en France et dans toute l’Europe. Il a été DG de Dekra, de Veritas Automobile, du Bureau Veritas et président du syndicat professionnel des bureaux de contrôle (Coprec). Une trajectoire qui lui donne une vision historique, transversale et même internationale du contrôle technique. Une vision qu’il a accepté de partager avec nous.

Pour commencer, il exclut évidemment toute erreur statistique ou d’interprétation des chiffres que nous avons relevés. «Les statistiques peuvent être mal interprétées, mais elles sont rarement fausses, philosophe-t-il. Et j’ai encore assez de contacts dans ce secteur pour penser que le problème que vous soulevez est réel. L’OTC  (Ndlr : Organisme Technique Central, qui supervise le contrôle technique en France) réalise un travail très sérieux, mais il en va de lui comme la Cour des Comptes : les pouvoirs ne tiennent pas compte de ses résultats.»

Un déjà trop ancien constat

Laurent Bermejo se souvient avoir été confronté aux “certificats de complaisance” et ce, dès la mise en place de la législation française en 1992. «C’est d’ailleurs ce qui m’attriste quand je lis votre article : en près de 35 ans, ce problème n’a toujours pas été pris au sérieux. Il serait peut-être temps de ré-évaluer l’approche».

Il sourit aux explications apportées par certains de nos lecteurs évoquant un do it yourself maîtrisé ou cette “auto-réparation” si chère aux éléments de langage d’Oscaro. Si les bricoleurs doués existent, ils n’ont pas le poids statistique qui justifieraient ces chiffres, évacue-t-il en substance.

Il réfute aussi l’argument d’un contrôle technique indiscutable dès lors qu’il serait confié à des fonctionnaires : «C’est un mythe. J’ai exercé le métier dans une trentaine de pays européens et je n’ai pas vu la différence. J’ai aussi pu constater que désigner des organismes à but non lucratif pour réaliser les contrôles n’améliore en rien la situation».

Mais alors, quelle solution préconise-t-il pour redresser le contrôle technique français ? «La fiabilité du contrôle technique est une problématique qu’ont à traiter tous les bureaux de contrôle, quel que soit d’ailleurs le secteur industriel (transports, nucléaire, construction…) et quel que soit le pays. Il faut regarder ce qui se fait à l’étranger ou dans d’autres secteurs en France pour comprendre comment lutter efficacement contre les mauvaises tentations» (voir à ce titre les deux premiers encadrés ci-dessous).

La solution de l’industrialisation

Il cite l’Allemagne et la Belgique, deux pays où l’organisation du contrôle technique automobile limite drastiquement toute tentation de fraude. Comment ? Par l’industrialisation du process, explique-t-il. «Nos voisins allemands, qui ont commencé à contrôler leur parc dès les années 30 (on a compris pourquoi... trop tard !), ont évité le problème -et la Belgique l’a éradiqué- en confiant le contrôle technique à quelques organisations privées territoriales qui sont toutes industrialisées. Leurs centres comptent jusqu’à 8 lignes de contrôle et plus d’une vingtaine de contrôleurs quand en France, la plupart des centres n’ont qu’une ligne et un seul contrôleur. Dès lors, la connivence et l’opportunité de complaisance sont réduites par la taille des centres. En Belgique par exemple, chaque véhicule contrôlé peut être attribué à deux contrôleurs qui, eux-mêmes, ne savent pas toujours à l’avance quelles familles de contrôles leur seront attribués et effectuent des rotations. Les moyens informatiques assurent une parfaite traçabilité».

Pour éliminer la fraude évoquée par certains lecteurs, il est donc crucial que le contrôleur ne puisse pas savoir à l’avance quel véhicule il va inspecter et aussi, «que le client ne sache pas non plus quel inspecteur il aura, ajoute-t-il. C’est d’ailleurs un principe de base pour le contrôle technique dans n’importe quel secteur. C’est notamment par cette double précaution rendue possible par les technologies informatiques que les grands bureaux de contrôle ont réduit l’opportunité de fraudes, dans de nombreux secteurs allant de l’inspection de cargaisons jusqu’à l’examen d’éprouvettes en laboratoire. En la matière, small is not beautiful».

Il voit d’autres vertus dans une telle organisation. A commencer par le coût, donc le prix de la prestation. L. Bermejo souligne que des centres de grande tailles réalisent des gains substantiels de productivité qui se traduisent par une réduction du coût pour les consommateurs. Un contrôle technique belge est facturé environ 40 €, soit la moitié du prix d’un contrôle technique français. «Un prix plus attractif aurait forcément un impact sur l’évasion au contrôle», prédit-il…

L’héritage français

Pourquoi la France n’adopte-t-elle pas une telle organisation ? «Historiquement, le contrôle technique français est né tardivement, imposé par une directive européenne dont on a repoussé l’application au dernier jour possible, le traitant comme un mal nécessaire et rejetant toute transparence. Rappelez-vous l’embargo initial de 10 ans sur la publication... des statistiques du contrôle technique automobile. Qui plus est, il s'est déployé dans un contexte de reconversion, explique-t-il. Dans les années 80, les stations-service disparaissaient déjà et les petits réparateurs étaient menacés par la croissance de ce qu’on appelait alors “la nouvelle distribution” (Ndlr : l’émergence des spécialistes, centres auto et autres réseaux de franchises et succursales). Le contrôle technique leur donnait la possibilité de saisir une nouvelle opportunité de marché pour rester dans la profession. Rappelez-vous également les installations auxiliaires dans les concessions. Il y a alors eu un indiscutable choix politique, pour permettre à des TPE du secteur de se trouver un nouvel avenir et à des PME de consolider le leur. Le tout, en limitant la puissance globales des acteurs.»

Nous hériterions donc d’une approche sociale, d’ailleurs très respectable en soi. Mais dans ce cas, ne serait-il pas possible au moins d’adapter les mesures de “contrôle du contrôle” à la spécificité du tissu des entreprises françaises concernées ?

Les moyens de surveillance et de détection existent évidemment, puisque les résultats de chaque centre et de chaque contrôle remontent quotidiennement à l’Utac-OTC et à leurs têtes de réseaux. «Posez la question au ministère des Transports», évacue-t-il. Les enseignes de contrôle technique ne pourraient-elles pas faire également la police en leur sein ? «Il y a des procédures dans les réseaux. Elles vont de la réprimande à la suspension d’activité pour des durées mortifères pour l’entreprise concernée». Il semble d'ailleurs que depuis début 2019, les sanctions par fermeture administrative commencent à se multiplier...

Compter sur les réseaux ?

Sont-elles fermement appliquées ? Là encore, «posez-leur la question, mais admettez que la statistique n’est pas une preuve, surtout quand tout se passe entre-soi dans un tissu très local et qu’on ne dispose pas du levier “employeur/employé”. Posez-vous aussi la question : comment apporter cette preuve, juridiquement ? Empêcher la complaisance est bien plus efficace que de tenter de la prouver

Nous poserons ces questions. En attendant d’avoir toutes ces réponses que Laurent Bermejo estime ne pas être en position de nous donner, dressons un premier constat. Il faut noter que les enseignes de contrôle technique sont confrontées à l’évasion de leurs adhérents. Alors que le nombre de centres plafonne aux alentours de 6 400, le nombre d’indépendants croît d’une centaine d’entreprises par an. Ils sont ainsi un millier, soit la taille d’un petit réseau, à s’affranchir d’une enseigne. Leur surveillance revient directement à l’Utac-Otc et, comme les autres, aux DREAL (Directions Régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement).

Une première et logique question donc : entre la nécessité pour les réseaux de ne pas perdre trop d’adhérents ou la faiblesse des effectifs au vu du nombre des missions assignées aux DREAL, n’y aurait-il pas des trous opportunément laissés dans la passoire ?

Éviter une violente restructuration

Une autre question s’impose. Si l’industrialisation que Laurent Bermejo évoque s’avérait la seule voie possible pour garantir ordre et probité dans le contrôle technique français, comment gérer au mieux la douloureuse révolution de la concentration des entreprises de contrôle automobile que cette logique appellerait de ses vœux ?

«II faut savoir ce que l’on veut, tranche-t-il. Il n’y a qu’un moyen efficace partout où le problème se présente et encore une fois, quel que soit le secteur. Il passe par un minimum d’industrialisation du contrôle pour limiter les opportunités de triche et, bien sûr, par des sanctions exemplaires dans les quelques cas avérés. En ce qui concerne le contrôle technique français, l’industrialisation n’a pas besoin d’être décrétée, encore moins d’être brutale ou  violente. Elle doit seulement être aidée. Elle pourrait se faire naturellement, en s’accompagnant d’une réduction progressive du nombre de centres, au rythme des départ à la retraite, des reventes et de concentrations capitalistiques régionales, en réduisant le nombre d’agréments ; cette dernière mesure, en valorisant mieux les centres existants, assurerait l’accompagnement social.»

Il sourit en ajoutant : «Si les pouvoirs publics levaient l’interdiction française d’intervention de plusieurs contrôleurs sur un même véhicule, cela aiderait aussi à accélérer le mouvement…»

Transmis évidemment à l’Utac, aux Dreal et aux réseaux de contrôle technique, à qui nous allons demander de nous transmettre, pour tous les départements excédant la moyenne nationale de conformité au contrôle technique, les statistiques -anonymisées bien sûr- des centres de contrôle technique concernés.

Et comme d’habitude, nous vous tiendrons au courant…

 

Les solutions existent déjà

«Quelle que soit l’organisation et quel que soit le secteur, la fraude peut toujours trouver son chemin», martèle Laurent Bermejo qui fourmille d’exemples rencontrés sous toutes les latitudes. Et pas seulement dans le contrôle technique automobile.

Une constante certitude émerge : si on le veut, les moyens existent pour détecter très vite toute dérive ; il faut alors une volonté ferme pour la sanctionner, même quand elle est statistiquement établie mais non prouvée au sens juridique. Et il le rappelle : «Dans d’autres secteurs de l’économie, les grands bureaux de contrôle technique, lorsqu’ils sont confrontés à des dérives en France ou ailleurs (au niveau de leur propre personnel ou des sous-traitants), industrialisent leurs process de la même façon. Les technologies disponibles permettent par exemple d’attribuer au tout dernier moment une mission de contrôle à un individu précis, ou bien de tracer son profil d’intervention et de le recadrer si nécessaire. Mais ça n’est pas applicable si les entreprises sont trop petites

 

S’inspirer du cas d’école du contrôle technique du bâtiment

Avant une profonde réforme de 1978, le contrôle technique des bâtiments et le régime de responsabilités en matière de construction étaient unanimement jugés inefficaces, flous, et occasionnaient trop de dérives. Il a fallu deux événements dramatiques pour forcer le changement et l’imposer à la profession: les tristement célèbres incendies du dancing «5-7» isérois en 70, puis du lycée Pailleron en 73, qui ont causé près de 200 morts, dont celles de nombreux enfants et adolescents.

Leurs fantômes amènent alors la représentation nationale à voter la loi Spinetta en 1978. Elle introduit entre autres la coresponsabilité des acteurs, l’obligation dans certaines circonstances d’une garantie décennale, le tout appuyé par un contrôle technique obligatoire (contrôle technique construction) effectué par des sociétés privées agréées par l’État.

Ces dernières interviennent dès lors pour les structures les plus critiques ou les plus complexes, en industrialisant là encore les phases du contrôle (sur plan, sur site, lors de la réception) et en suivant statistiquement les points d’écart par chantier, par type de technique de construction, par intervenant sous-traitant, et en tirant des enseignements.

A cela s’ajoutent une rotation de personnel autant que possible pour écarter toute connivence et la possible responsabilité pénale des bureaux de contrôle, voire des contrôleurs en ce qui concerne par exemple les missions de contrôle de sécurité sur chantier.

Ces dispositions ont largement réduit (dans leur champ d’action) les à-peu-près qui avaient conduit aux deux incendies dramatiques, mais aussi les possibles fraudes ainsi que les évasions de responsabilité. Avec en outre un effet bénéfique peu connu : «Ces obligations réglementaires de contrôle technique construction ne portent en réalité que sur 30% des bâtiments contrôlés et 40% des activités de contrôle possibles. Au total, tout juste un peu plus de 10% de l’activité a ainsi été règlementairement soumise à contrôle», explique Laurent Bermejo.

Pourtant, cette loi a réformé positivement l’ensemble de l’activité de construction en France. Comment ? Les promoteurs, même dans le cas de chantiers exempts de l’obligation règlementaire, ont systématisé cette garantie décennale pour faciliter la commercialisation de leurs programmes. Et logiquement, les compagnies d’assurance fournissant ces garanties ont exigé l’intervention quasi-systématique d’un bureau agréé de contrôle.

CQFD : «C’est là l’exemple typique d’une réglementation de contrôle vertueuse, même si elle reste naturellement imparfaite», conclut Laurent Bermejo. Quelques années ont suffi pour établir un cercle vertueux, relayé par des acteurs privés pourtant à but lucratif, en couvrant et sécurisant 10 fois plus de champs que ceux imaginés initialement par le législateur. Le tout pour moins de 0,04% (fraction obligatoire) du coût de l’activité économique contrôlée.

Suivez son regard. N’y aurait-il pas moyen de réformer le contrôle technique automobile français d’une même et habile manière ? Sans avoir à accuser, ni à stigmatiser, juste en enclenchant un même vertueux mouvement conduisant l’ensemble du secteur à s’auto-réformer, en douceur ?

Transmis aux organisations professionnelles et aux têtes de réseaux du contrôle technique qui, comme nous l’indiquions dans notre précédent article, auraient tout intérêt à anticiper un tel process pour inverser une situation qui, sinon, à terme, finira tôt ou tard par salir toute une corporation qui ne le mérite évidemment pas…

 

Les instructives moyennes de tous les départements français

Enfin, pour conclure ce nouveau chapitre de notre enquête sur les méandres du contrôle technique français, un complément à notre précédent article. Nous y avions souligné les étonnantes aberrations statistiques du contrôle technique français de quelques emblématiques départements français. Pour élargir le débat et montrer que notre interrogation est d’ordre national, voilà donc ci-dessous, en VP comme en VUL, l’ensemble des résultats de l’ensemble des départements français.

Ils sont classés par pourcentage de conformité, du meilleur au pire taux départemental. Et pour en identifier facilement la cohérence ou l’incohérence, nous avons ajouté deux dernières colonnes. La première indique le taux de pauvreté (selon l’INSEE en 2017) par département et la seconde précise dans quelle proportion elle est en dessus (chiffre positif) ou en dessous (chiffre négatif) du seuil moyen de pauvreté national. Cette dernière ne concerne que la France métropolitaine, excluant donc les départements et territoires d’outre-mer. Mais ces derniers sont cités toutefois ici pour mémoire et donc, pour comparaison instructive.

La corrélation étant théoriquement probable entre revenus des ménages motorisés, vétusté du parc roulant et suivi de l’entretien-réparation, nous vous laissons dès lors juge du profil des départements où, statistiquement parlant, les parcs roulants semblent être spontanément les plus exempts, en proportion, de défauts dits majeurs et même, depuis le durcissement du contrôle technique de 2018, exempts de ces défauts critiques susceptibles d’interdire la circulation des véhicules concernés. Là encore, ces défauts sont quantifiés, en pourcentage, selon qu’ils sont supérieurs (chiffres positifs) ou inférieurs (chiffres négatifs) à la moyenne nationale…

 

Jean-Marc Pierret
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