Quand les RA1 s’encanaillent dans la distribution indépendante

Jean-Marc Pierret
Image
Inquiets pour leur avenir de distributeur VN, soucieux de ne plus placer tous leurs œufs dans le seul panier constructeur qu'ils trouvent de moins en moins protecteur, les concessionnaires utilisent leur faible marge de manœuvre pour tester des diversifications salvatrices. Parmi elles, l'option distribution indépendante de pièces semble de plus en plus plébiscitée...
Partager sur

« Tous nos véhicules électriques ne seront vendus que sur internet », a récemment déclaré à l’AFP Håkan Samuelsson, le P-dg de Volvo Cars. Il a même ajouté que, « dès 2025, la moitié de nos voitures seront électriques et la moitié de nos ventes se fera en ligne ». La filiale européenne du groupe chinois Geely veut tout bonnement retirer de son catalogue d'ici 2030 tous ses modèles à combustion, y compris les hybrides. 100 % d’électrique d’ici la fin de la décennie, ce sont donc, potentiellement, 100 % des ventes VN en ligne à la même échéance.

L'alerte n’a certainement pas échappé aux concessionnaires et agents de toutes marques et de toutes tailles. Après cette première année de confinements aux vilaines conséquences commerciales VN, une telle décision n'est guère encourageante. D'autant qu'à en croire une récente étude de notre confrère l'Argus, « les annonces des constructeurs se multiplient depuis quelques mois (Volvo, Ford, Link&Co...) ; nombreux sont ceux qui optent pour de nouveaux modes de distribution digitalisés ».

Des concessionnaires pas dupes

Bien sûr, le risque de voir les concessionnaires exclus, au moins partiellement, de la chaîne commerciale constructeur-automobiliste est réelle. Les RA1 et RA2 ne sont évidemment pas dupes.

« Il n’y a plus de tabou, confiait récemment Gérard Mariscal, P-dg de Sima Holding, le distributeur automobile Peugeot, Citroën, DS et plus récemment, Fiat et Hyundai (22 points de vente sur la région des Hauts-de-France, 400 millions d’euros de CA quelque 13 000 VN pour 11 000 VO). Je dirais même que les constructeurs nous encouragent à nous diversifier. Ils savent bien que nous le savons : ils nous demanderont toujours plus d’efforts pour représenter leurs marques ; mais nous avons aussi compris que le digital leur permet de plus en plus d’envisager la vente directe ».

Les concessionnaires pourront évidemment rappeler aux constructeurs trop “digitalisalisateurs” qu'une étude ICDP, publiée fin 2020, souligne que 86 % des clients à la recherche d’un nouveau véhicule considèrent le contact humain en concession comme « important » ou « très important ».

D'autres en profitent pour pré-justifier un inévitable défrichage des effectifs parmi la représentation VN/VO, arguant que la France concentre déjà bien trop de points de vente RA1 et RA2 comparée aux autres grands marchés européens (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni). C'est aussi oublier un peu vite que l'Hexagone compte 34 000 communes contre seulement 11 000 en Allemagne, 10 500 au Royaume-Uni et 8 000 en Espagne et en Italie...

Diversifications salvatrices

Mais aussi légitimes soient-ils en présence comme en nombre, les RA1 l'ont déjà compris : les coûts de distribution sont plus que jamais dans le viseur de constructeurs confrontés à des défis inédits en investissements technologiques et environnementaux. Et la pandémie n'a pas seulement infecté les corps. Elle a aussi converti bien des esprits stratèges aux nouveaux comportements consuméristes que la digitalisation généralisée suscite...

Rien d'étonnant donc à voir les concessionnaires, groupes de distribution en tête, chercher de plus en plus fébrilement des diversifications, tout particulièrement celles proches de leurs autres métiers qui sont plus générateurs de marges que la seule vente VN : la distribution de pièces, l'atelier, le VO, voire la déconstruction...

Exemples à suivre

L'exemple de Sima Holding est révélateur. En s'inventant depuis 2020 un réseau de centres API (Doyen), le distributeur VN d'obédience Stellantis (Hauts-de-France) veut rapidement ajouter à ses 400 millions d'euros de CA 50, voire 100 autres millions issus de la seule distribution indépendante de pièces. API, qui a l'avantage d'une franchise au savoir faire clé en main, est d'ailleurs considéré comme un choix initiatique sécure et donc déjà répandu chez les RA1.

Le Groupe Dubreuil, dont la diversification multisectorielle est tout particulièrement écrite dans ses gènes, s'est depuis longtemps offert Auto Pièces Atlantique/Carmoine, pendant que la plateforme Opal de Vendée (Ouest Pièces Auto Logistique) précède depuis 2003 la stratégie de plaques Distrigo. Elle affiche d'ailleurs « 91 % de taux de service, le plus élevé des plateformes PSA dans l’hexagone », revendique le site du groupe.

Les rares à avoir ouvert la voie sont maintenant regardés comme des exemples à suivre vite.

S'émanciper prudemment

Bien sûr, la relation aux relents de “syndrome de Stockholm” qui lient souvent les concessionnaires à leurs constructeurs n'est pas frontalement remise en cause. Comment raisonne-t-il, le concessionnaire qui veut s'émanciper sans chatouiller la queue du dragon concédant ?

Environ 85 à 90 % de ses achats sont encadrés contractuellement avec le constructeur. Pas question évidemment d'y toucher. Mais les 10 à 15 % restants lui permettent de découvrir librement, sans risque et sans vague, qu'en s'appuyant sur un sourcing indépendant de pièces (mais aussi de services tel l'entretien du matériel de garage), il peut du coup “refaire” des marges dans de bien supérieures proportions qu'habituellement.

Séduisant multimarquisme PR et services

Ceux qui ont goûté à cet élixir d'abondance ne peuvent plus s'en passer. Et leurs exemples font maintenant école. En ces temps où l'avenir de la concession d'antan semble plus précaire que jamais, rien d'étonnant à voir de plus en plus de groupes de concessions racheter, discrètement mais ardemment, des entreprises de distribution PR indépendantes. Mais aussi des centres autos, des pneumaticiens, des spécialistes. Et même des simples garages...

Certains s'offrent de solides affaires de distribution PR arborant de très grosses enseignes. Lesquelles apprécient d'ailleurs leur culture, voire leur culte de la discipline réseau. D'autres, déjà implantés via ces différents réseaux de distribution PR, commencent même à étudier comment les fusionner pour peser plus sur les conditions d'achat et faire fructifier ce qui leur apparaît, en comparaison de leurs expériences constructeurs, comme des rentes de situation providentielles.

On l'a compris, tout ce qui ouvre sur le très stable et pérenne multimarquisme de la pièce est à l'étude pour relativiser les risques de la monoculture constructeurs. Les concessionnaires sont en passe de devenir de nouveaux investisseurs dans la distribution PR indépendante. De toute évidence, il va falloir compter avec eux.

Jean-Marc Pierret
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire