Analyse – Voiture connectée: les grands enjeux du « bcall »

Jean-Marc Pierret
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L'auto de demain sera connectée ou ne sera pas. Parmi les multiples enjeux de ce "bcall", l’après-vente concurrencée n’est pas le moindre : celui qui saura répondre au besoin d’entretien au moment même où la voiture le fera savoir au conducteur aura gagné la bataille. Constructeurs comme indépendants le savent. Sans oublier un troisième larron en embuscade qui peut leur rafler une partie de la mise : l’assureur…
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Cette  nouvelle bataille entre constructeurs et indépendants ne fait que commencer. Une bataille qui se joue sur le gigantesque terrain de l’univers interconnecté. Son inexorable expansion s’impose à tous : plus de 21 millions de Français étaient possesseurs d’un Smartphone en 2013. Bientôt, même les nouveaux-nés finiront par en être dotés...

La voiture ne peut être en reste, qui doit impérativement communiquer en s’interfaçant, au moins avec le smartphone du conducteur : une étonnante étude McKinsey constatait récemment que… 27% des utilisateurs d’Iphone sont prêts à changer de voiture si on leur propose un modèle mieux connecté ! On comprend mieux pourquoi les constructeurs communiquent massivement sur la connectivité de leurs nouveaux modèles.

Et cela va vite : en 2018, toujours à en croire les prévisionnistes, 36 millions de nouveaux véhicules –près de la moitié de ceux vendus dans le monde– seront produits avec une carte Sim intégrée. On l’a compris, la voiture de demain matin sera communicante ou ne sera pas. Pas achetée, en tout cas…

Du “ecall” au “bcall”

Derrière cette évidence qui explique aussi pourquoi Google, Microsoft et autres Apple s’intéressent tant à l’auto, une autre certitude : la voiture connectée est au cœur d’un certain nombre d’enjeux. L’enjeu sécuritaire bien sûr : le “ecall”, qui doit se systématiser à partir d’octobre 2017 sur les véhicules neufs, veut leur permettre d’avertir automatiquement les secours en cas d’accident.

Autre enjeu de sécurité, mais cette fois en termes de protection des flux de communication entre le véhicule et les services liés : hors de question qu’un “hacker” puisse s’y introduire pour prendre le contrôle de véhicules à distance. Et en la matière, le chantier reste immense sur lequel constructeurs et équipementiers travaillent d’arrache-pied. Car il faut affranchir l’automobile de la mauvaise image en la matière qu’ont déjà les autres objets connectés, incapables actuellement qu'ils sont de garantir confidentialité et sécurisation des données qu’ils collectent ou émettent.

Autre enjeu enfin, qui cette fois concerne l’après-vente : les systèmes dit de “bcall” –b pour «Breakdown» (panne)–, cet enfant incontournable de la connectivité des véhicules. Pour faire court, tant qu’à permettre au véhicule de “dialoguer” avec l’extérieur, autant qu’il le fasse aussi avec l’atelier.

Les constructeurs, qui ont investi initialement dans le ecall ou qui doivent maintenant le faire pour respecter l’échéance édictée par Bruxelles, veulent logiquement s’approprier son précieux avatar bcall (voir «Clients ateliers : le Smartphone, arme de captation massive ?»). Encore plus lorsqu’il s’agit d’outils télématiques intégrés dès la première monte du véhicule.

L’interopérabilité” au cœur du débat
Un récent article de notre confrère l’Argus rappelait ainsi l’expérience déjà décennale de PSA en matière de ecall et la volonté affichée de Peugeot de l’utiliser pour cette fois envoyer des messages au véhicule et surtout, à son conducteur : «Ce boîtier télématique est relié à une soixantaine de capteurs qui enregistrent un nombre important d’informations sur le véhicule. Ces données pourront par exemple être utilisées pour informer le conducteur sur les périodes d’entretien», expliquait le constructeur.Bien sûr, un tel avantage concurrentiel peut devenir… anticoncurrentiel. Ce sujet de l'accès au bcall est au centre des combats menés notamment par la FNAA et la Feda et, au niveau européen, par leurs respectifs relais communautaires AESRA et Figiefa. Car les indépendants, réparateurs comme distributeurs de pièces, ont évidemment vu le coup venir en marge des logiciels, équipements et services liés au ecall.Ils ont obtenu un premier succès de principe en faisant adopter par l’Union Européenne le principe «d’interopérabilité», c’est-à-dire la possibilité pour des acteurs indépendants d’accéder aux protocoles de communication des systèmes de bcall. Ils peuvent aussi compter sur les grands équipementiers en la matière, Bosch en tête (voir «Fun2Drive» : la révolution est en marche») qui met ses compétences au service de tous les acteurs.Mais les constructeurs, qui savent leurs réseaux fragiles en termes de rentabilité après-vente, œuvrent évidemment pour garder malgré tout un coup d’avance en matière de «bcall». Dans notre monde d’instantanéité, celui qui a la primo-relation avec le client en sachant proposer à ce dernier une solution pertinente au moment même où il découvre le besoin d’entretien de son véhicule, a et garde l’avantage sur tout autre prestataire.Un peu comme Microsoft qui, en son temps, lors de l’acquisition d’un PC, imposait avec Windows son navigateur internet au détriment de tout autre. Jusqu’à ce qu’une lourde condamnation lui impose de renoncer à cette vilaine pratique…
L’assureur en embuscade…
Mais le bras de fer constructeurs/indépendants pour l’accès à la voiture connectée intéresse évidemment un troisième et puissant acteur plus méconnu : l’assureur. L’assureur qui veut déjà utiliser l'auto communicante pour mieux évaluer le risque en temps réel (contre une réduction de prime, dans certains pays, pour l’automobiliste qui autorise sa voiture “à dire” à l’assureur comment il conduit). L’assureur qui peut aussi en espérer un nouveau produit, moins légitime mais tout aussi lucratif : la full-assurance entretien-réparation sur laquelle il travaille doucement mais sûrement (voir «Les assureurs bientôt sur le marché de l’entretien-réparation ?»).L’assureur est déjà fort de ses réseaux agréés de carrossiers et dépanneurs sous contrôle, a fortiori via ses dévouées plateformes de gestion de sinistres et maintenant, ses trop peu indépendants experts. Et grâce à l'assurance auto légalement obligatoire, il sait qu’à bien des égards –les carrossiers en souffrent assez pour le savoir, qui misent leur va-tout sur le libre choix– il trône en amont de la relation avec le client assuré.Il ne lui manque donc plus que cette voiture qui raconte à qui veut bien l’entendre sa “vie organique” et ses besoins pour s’en aller assurer pleinement la fonction mobilité chère aux marketeurs d’aujourd’hui. Et décider dès lors qui, du réparateur agréé ou indépendant, lui fera la meilleure offre en entretien-réparation…Dans leur combat pour l’ouverture de la voiture communicante à tout prestataire après-vente, les indépendants devraient donc prendre garde à ne pas s’affranchir de l'appétit du constructeur pour venir maladroitement nourrir sans réserve celui de l'assureur, si prompt dès qu'il le peut à confisquer à son seul profit la rentabilité de ses prestataires réparateurs, dépanneurs et experts.Oui, décidément, le «bcall» est au cœur de bien des enjeux…
Jean-Marc Pierret
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