Repositionnement PSA : les inquiétudes des agents Citroën

Jean-Marc Pierret
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PSA passe de deux marques historiquement concurrentes à trois marques voulues complémentaires. Le challenge est ambitieux mais stressant pour le réseau Citroën, à commencer pour ses agents qui se “bimarquisent” avec Peugeot quand c’est possible et s’inquiètent d’avoir à défricher le marché moins vaste et encore imprécis des voitures dites «essentielles»…
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Inévitablement, la stratégie de repositionnement des deux marques Citroën et Peugeot, voire de la troisième qu’est DS, aura à terme un impact sur les réseaux. Mais peut-être pas celui, comme le craignent d’abord les agents Citroën, d’une généralisation du bimarquisme Peugeot-Citroën, voire d’un trimarquisme encore plus déstabilisant sur fond d'identité diluée. Car on n’en est pas là.
Identités complémentaires
Et ce n’est sûrement pas l’objectif. Le repositionnement des marques de PSA, on le connaît déjà dans les grandes lignes. Longtemps strictement concurrentes, les gammes Peugeot et Citroën s’inventent un avenir plus subtilement complémentaire. PSA a déjà nommé un patron par marque pour synchroniser au mieux les nouvelles identités. Peugeot reste la marque des gammes “généralistes” à volumes. Le couple Citroën-DS prend d'un côté en charge les voitures dites «essentielles» (au sens de spécifiques, à l’essence particulière) via Citroën tandis que le «haut de gamme à la française» est confié à DS.La première de ces voitures essentielles, c’est la Citroën Cactus, pendant que les DS3, DS4 et DS5 ont déjà gravi les trois premières marches de la montée en gamme. Du coup, seule la C5 aura une remplaçante du même nom. Ce sera la seule concession à “Citroën - Canal Historique” : le reste de la gamme aux chevrons, lui, sera “essentiellement” nouveau.
Facile ailleurs…
Sur le papier, c’est certes là une sorte de réconciliation avec le grand passé innovateur et défricheur de la marque Citroën s'exprimant dans le cadre d’une stratégie de groupe plus cohérente façon VW. DS, c’est Audi ; Peugeot devient le vaisseau amiral façon Volkwagen ; et Citroën se charge d’ouvrir une nouvelle voie qui ne soit pas celle du low-cost façon Seat/Skoda mais celle, inédite, des “niches émergentes” populaires pour les uns, “bobos” pour les autres.Sur les marchés de conquête à l’international et tout particulièrement dans les pays émergents, pas de souci : le développement ou la réorientation des réseaux s’y fera facilement en fonction de ce repositionnement. Témoin, cet exemple le plus abouti : la Chine, où DS s’impose dès sa naissance comme une marque Premium à part entière, sans filiation affichée avec sa “vieille mère” Citroën.
…mais plus stressant en France
Dans nos contrées en revanche, cela suppose une logique concomitante en bien des points stressante pour les distributeurs RA1 (il n'y a pas de RA2 chez les agents Citroën) et pour leurs ateliers : plus de spécificité, mais moins de volumes ou du moins, pas ceux d’une marque résolument généraliste.Car dans les pays dits matures, à commencer bien sûr par le berceau français des marques, l’évolution fait logiquement craindre de douloureuses mutations bousculant des positions et des habitudes quasi-séculaires. Cette révolution culturelle –cultuelle, même– semble effectivement peser prioritairement sur les épaules du réseau Citroën qui craint que cette complémentarité ne vienne rimer pour lui avec superposition. Voire même avec dilution.C’est un peu ce que disait Denis Baeza, le président des agents Citroën, en constatant récemment chez notre confrère 7pmTV l’émergence presque hérétique d’agents bimarque Peugeot/Citroën et en craignant que cela ne favorise des contrats de plus en plus similaires entre les sœurs longtemps ennemies du groupe PSA. Il est vrai aussi qu'il y a quelques “+” dans leur contrat Citroën que les agents ne céderaient guère volontiers...
Pas de panique…
Enquête faite, ces agents bimarque sont encore peu nombreux. Et au vu du nombre de points ouverts potentiellement bicéphales chez l’un ou l’autre des deux réseaux d'agents, 100 à 200 “hybrides” seraient à terme un grand maximum. Ce ne serait en fait que le symptôme marginal d’un pragmatisme opportuniste : tant qu'à devoir recruter, autant densifier le réseau en famille.Car il est certain que PSA n’encourage pas de tels rapprochements. Il y en a sûrement encore, chez le constructeur, qui se souviennent du douloureux gâchis, à l'orée des années 80, de l’absorption/disparition du réseau Chrysler-Talbot : 1+1 n’avait pas fait 2, loin s’en faut… Mais la réglementation européenne étant aujourd’hui ce qu’elle est, le constructeur ne peut pas non plus interdire ce bimarquisme Peugeot-Citroën qui s’est accéléré aussi récemment que spontanément. Il y a même des concessionnaires qui découvrent que leurs agents sont devenus bimarque sans même les en avoir prévenus !Rien pourtant de bien surprenant. Il peut paraître logique que des agents Citroën, conscients d’un avenir à s’inventer sans les mêmes volumes “chevronnés”, soient logiquement les premiers à saisir des opportunités locales de représentation Peugeot pour sécuriser leurs entreprises. Et que d’autres agents de la marque aux Chevrons s’interrogent sur la façon de tirer leur épingle d’un jeu qui doit les rendre  plus “essentiels” donc, mais sans encore bien en connaître les règles ou/et les potentialités. Et comme le confirmera n’importe quel psychologue, le changement, c’est rarement sérénisant, a fortiori pour des chefs d'entreprises déjà malmenés par le triste marché général automobile, VN, VO comme après-vente…
Le temps au temps
Reste que le réseau Citroën ne porte pas seul l'impliquant privilège d’avoir à muter. La feuille de route du réseau Peugeot, si elle ne bifurque pas autant que celle des Chevrons, n’en demeure pas moins exigeante. Les standards de qualité croissante s’imposent et s’imposeront plus encore, même pour des raisons différentes, aux trois réseaux de PSA. Citroën doit certes “s’essentialiser” en défrichant un avenir inédit. Mais Peugeot doit aussi se hisser au niveau international d'un dominateur VW pendant que DS a pour mission, elle, de s'imaginer déjà poussant Audi du coude sur le podium des marques Premium.Des challenges ambitieux, des vraies voies d’avenir, mais qui demanderont du temps. Et le temps, c’est souvent aussi l’allié des réseaux qui subissent les grands changements. Le “temps au temps” finit toujours par s'imposer aux stratégies des États-majors constructeurs. Aussi pressées et stratosphériques soient-elles nées, elle finissent par revenir aux réalités du terrain dans lequel sont enfichés les distributeurs et réparateurs des marques concernées.Dans le passé c'est vrai, beaucoup de grandes décisions ont attendu d'avoir dévasté bien des réseaux avant de devoir s'amender, contraintes et forcées et parfois, trop tard. Mais aujourd'hui, tout va plus vite ; il y a beaucoup moins de distance, donc plus de visibilité, entre une décision et ses premiers effets. Et rien n'indique en outre que cette nouvelle complémentarité entre marques, après des décennies de concurrence anthropophage, chronophage et budgétivore au sein de PSA, ne se révèle pas une sage et visionnaire décision dont les réseaux, une fois mis en mouvement, ne seront pas les derniers à profiter...
Jean-Marc Pierret
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