Contrôle technique : les consommateurs victimes de vol en… Réunion !

Romain Thirion
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Douze sociétés de contrôle technique du département de La Réunion viennent d’être condamnées à 174 360 euros d’amende pour entente sur les prix. Ce faisant, ce sont la quasi-totalité des centres de l’île qui sont concernés… et la quasi-totalité de ses automobilistes qui ont été victimes de ces pratiques anticoncurrentielles puisque la première –et massive– hausse de prix date de 2011 !
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Il ne fait pas bon posséder un véhicule à La Réunion. Du moins, depuis 2011. 2011-2015 : quatre ans au cours desquels la grande majorité des véhicules particuliers ou professionnels du département d’outre-mer (DOM) ont dû passer par la case contrôle technique puisque celui-ci devient obligatoire à partir de… quatre ans. Car 2011, c’est l’année à partir de laquelle douze sociétés détentrices de centres de contrôle technique sur l’île –sous enseigne ou non– ont commencé à s’entendre sur les prix et fait bondir les tarifs moyens de 22% par rapport à l’année 2010. Ceux-ci ont, en effet, convergé vers 85 euros pour les particuliers et 60 euros pour les professionnels suite aux petites réunions entre amis des gérants des différentes sociétés fautives.C’est ce que rapporte la préfecture de la région Réunion qui, le 4 mai dernier, a rendu public la conclusion de l’enquête effectuée par le pôle C de la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIECCTE) locale, lequel a permis à la DGCCRF, administration de tutelle des DIECCTE, de condamner à 174 360 euros d’amende lesdites entreprises. Parmi ces douze sociétés, certaines disposent de plusieurs sites, ce qui explique l’ampleur du préjudice subi par les automobilistes réunionnais, mais qui allège aussi le montant de l’amende concédée par chacune d’elles. En effet, divisé par 12, le montant de cette amende ne s’élève qu’à… 14 530 euros !
Amende non contestée
C’est la raison pour laquelle les clients des centres fautifs seraient mécontents, selon Mickaël Barbosa, co-fondateur du site comparateur de tarifs de contrôle technique, Simplauto.com. Bien qu’annoncé comme un montant « record » par la préfecture de région, l’amende ne paraît pas peser lourd par rapport aux bénéfices engrangés en quatre ans d’entente sur les prix par les sociétés condamnées. « Les sociétés n’ont visiblement pas contesté l’amende », souligne d’ailleurs Mickaël Barbosa, la condamnation ressemblant ainsi plus à un coup de règle sur les doigts qu’à un véritable coup dur.Pourtant, ces automobilistes ont toutes les raisons de se sentir floués sur une île où les prix du contrôle technique sont 26,75% supérieurs à la moyenne nationale, selon le baromètre 2014 de Simplauto.com ! Un baromètre lancé en 2013, ce qui coïncide avec le début de l’enquête lancée par la DIECCTE réunionnaise, mais qui ne permet pas de remonter jusqu’aux fameux tarifs "normaux" de 2010, ceux d’avant la flambée, que l’on peut imaginer déjà supérieurs à la moyenne des prix du contrôle technique en France.
Tendance contre-nature
Si l’on prend en compte les seuls chiffres du baromètre 2014, le constat est accablant pour les sociétés de contrôle technique de La Réunion. Le tarif minimum relevé par Simplauto.com n’y était que de 83,50 euros et le tarif maximum de 87 euros, soit un écart de 2,50 euros à peine ! Alors que la différence nationale entre prix minimum et prix maximum est de… 50 euros ! Et encore, ces prix s’avèrent-ils plus élevés de 0,90% par rapport à l’année 2013, pourcentage certes mesuré par rapport à d’autres départements qui ont vu leurs prix croître fortement, comme le Puy-de-Dôme (+4,67%) ou le Cher (+4,14%), mais qui reste plus important que dans 41 autres départements, tous moins chers.« La France a ceci de particulier que les tarifs du contrôle technique y sont librement concurrencés et ne sont pas fixes et réglementés comme ils peuvent l’être dans certains pays voisins du nôtre, rappelle Mickaël Barbosa. Or les gens l’ignorent, parfois, et ne se rendent pas compte à quel point ils évoluent : les en informer est la raison d’être de Simplauto.com », soutient-il en sus. Et celui-ci de rappeler que les tarifs réunionnais vont à l’encontre de la tendance naturelle d’un marché concurrencé. « Chaque année, il y a davantage de centres qui s’ouvrent, ce qui a pour effet de diminuer le nombre de contrôles par centre, précise-t-il. Et plus de concurrence dit, généralement, baisse ou maintien des prix. Les ventes flash se multiplient, les créneaux horaires à prix réduit aussi, c’est un marché très bataillé au niveau local. »
Un surcoût du contrôle technique justifié ?
Le 20 avril 2013, soit quelques semaines après la parution du tout premier baromètre de Simplauto.com, Alain Aznar, gérant de 22 centres de contrôle technique sous enseigne Dekra, Norisko, Securitest et autres à La Réunion, tentait déjà d’expliquer les tarifs étonnamment élevés pratiqués sur l’île. C’était sur Clicanoo.re, site web du supplément hebdomadaire gratuit du Journal de l’île de La Réunion, principal quotidien du département. Celui-ci affirmait alors que, « quand un confrère de métropole achète une ligne de contrôle 100 000 euros posée-montée-étalonnée, elle nous coûte 130 000 euros arrivée à La Réunion en comptant le transport, les douanes, l’octroi de mer. Sans le montage et l’étalonnage ».Concernant ces deux derniers points, Alain Aznar affirmait également que le matériel devant « être étalonné deux fois par an », cela nécessite de faire venir un technicien dédié. « En métropole le technicien est sur place. Nous, [...] nous devons le faire venir de métropole, payer le billet d’avion, l’hôtel et sa prestation (…) Sans parler du surcoût des pièces (fret, douanes, octroi de mer) plus élevé, affirmait-il alors. Et si une grosse panne arrive, parfois il faut faire venir un technicien dans l’urgence, en classe affaire parce qu’il n’y a plus de place en éco. Nos appareils sont aussi de plus en plus chers, de plus en plus sophistiqués, sont reliés entre eux par l’informatique et demandent aussi d’avoir quelques cartes en stock au cas où, histoire de ne pas fermer un centre pour cause de panne. »
Des excuses irrecevables…
Alain Aznar justifiait aussi, dans cette même interview, le prix conséquent des bouteilles de gaz nécessaires aux contrôles par rapport aux tarifs de métropole. « Nous avons besoin de quatre bouteilles d’un gaz différent, avec des additifs spéciaux pour les opacimètres, que l’on ne trouve qu’en métropole. [Ce ne sont pas des produits] dangereux mais [ils nécessitent] un voyage par bateau dans un conditionnement spécial. [C’est] 5 000 euros le jeu en métropole [mais] 9 000 à La Réunion avec les taxes », insistait-il.  Et l’entrepreneur n’omettait pas non plus de brocarder les prix de l’immobilier, « relativement chers à La Réunion, encore plus pour les centres de contrôle technique qui doivent répondre à des normes particulières. Par exemple une hauteur minimum de cinq mètres. Parfois on ne trouve pas ces bâtiments, d’où l’obligation d’une construction particulière. Et vu le prix des terrains… »Des excuses jugées partiellement irrecevables par Mickaël Barbosa, à en juger par son expérience des tarifs du contrôle technique. Si celui-ci ne préjuge pas des prix de l’immobilier réunionnais, il avoue en revanche ne pas comprendre les arguments du surcoût lié aux réglementations d’usage en matière de montage, d’étalonnage ou, tout simplement, au transport du matériel et des techniciens. Surtout en comparaison d’autres départements d’outre-mer comme La Martinique, deuxième département le moins cher dans le baromètre 2014 (-12,05% par rapport à la moyenne nationale) et où les tarifs ont baissé (-7,55%) par rapport à 2013 !
La suite au prochain baromètre
Plus chers, avec des tarifs moyens supérieurs de 4,06% et de 8,22% à la moyenne nationale, la Guyane et la Guadeloupe ont, eux aussi, vu leurs tarifs baisser de 2013 à 2014 (-6,88% et -1,82%, respectivement). Seul Mayotte fait figure de mauvais élève, avec des prix 26,36% plus élevés que la moyenne nationale et une évolution parfaitement nulle (+0,00%) des tarifs du contrôle technique entre 2013 et 2014. « Mais Mayotte est un tout petit département où le nombre d’opérateurs est réduit et la concurrence quasi nulle », tempère Mickaël Barbosa. Ces prix forts y relèveraient davantage d’un abus de position dominante que d’une entente sur les prix entre sociétés concurrentes, mais il ne nous appartient pas, ici, de le démontrer.Ainsi, l’argument du transport des techniciens et du matériel ne résiste pas vraiment à la comparaison avec d’autres DOM. La DGCCRF en ayant parfaitement conscience, elle n’a donc pas hésité à sévir après deux ans d’enquête portant sur quatre exercices successifs. Reste à voir si la sanction prise à l’encontre des douze sociétés fautives donnera lieu à un assouplissement effectif des tarifs du contrôle technique à La Réunion. Pour cela, nous attendons avec impatience le prochain baromètre de Simplauto.com, annoncé pour la fin de l’été. Et nous tâcherons de vous en donner la primeur.
Romain Thirion
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