EXCLUSIF – « Allo Mécano », ou l’offensante offensive d’AXA sur la réparation !

Jean-Marc Pierret
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Avec l'arrivée du service Allo Mécano, les assurés d’AXA découvrent un service inédit : des «mécaniciens-experts» de l'assureur peuvent renégocier pour eux le prix des réparations devisées par des réparateurs. Ce n’est plus de la carrosserie : cette fois, c’est la prestation mécanique qui passe par les fourches caudines d'AXA. Et de bien violente façon...
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Lorsque Covéa recrutait en 2013 un “presque réseau” pour orienter vers lui ses clients automobilistes assurés pour les pannes mécaniques, nous nous étions alors interrogés : n’est-ce pas le premier signe tangible de l’arrivée des assureurs dans l’univers de la réparation mécanique, forts de leur expérience en contrôle des coûts carrosserie (voir «Covéa met-il le loup des agréments dans la bergerie mécanique ?») ?De toute évidence, AXA vient de confirmer notre pressentiment : l'assureur qui «réinvente son métier» veut aussi révolutionner celui de réparateur. C’est un lecteur qui vient de nous l’apprendre : l’assureur a lancé un étonnant service baptisé Allo Mécano. Sa spécificité ? Il ne s’agit plus là d’une démarche dite “donnant-donnant” où l’assureur justifie au moins la remise exigée par l’apport d’une affaire à un réparateur agréé réputé consentant. Avec Allo Mécano, AXA peut maintenant s’immiscer à tout moment et sans préavis dans l'intimité de la relation entre un réparateur, quel qu'il soit, et son client automobiliste. Voilà comment s'articule la promesse en 4 étapes :
  1. Votre garagiste vous présente un devis de réparations. Vous contactez nos mécaniciens-experts, au 01 55 92 21 49, qui vous communiquent votre numéro de dossier.
  2. Vous prenez en photo ou vous scannez votre devis. Puis vous l’envoyez à technique@axa-assistance.com, ou par fax au 01 49 65 24 42, en précisant votre numéro de dossier. Votre demande est adressée immédiatement à un mécanicien qui étudiera votre devis sous 24 heures.
  3. Le mécanicien analyse votre devis. Il contacte votre garagiste afin de s’assurer que les réparations envisagées sont justifiées et conformes aux prix du marché. Si besoin, le mécanicien négocie votre devis à la baisse.
  4. Le mécanicien vous rappelle et vous informe de l’économie réalisée, le cas échéant.
allomecano1 AXA illustre l'intérêt de son nouveau service par ce simulacre de négociation entre «l’expert AXA» et le réparateur. Vous noterez en passant les sourcils froncés du justicier déterminé à exiger un -20% que le réparateur lui accorde évidemment derechef. Vous noterez surtout qu'AXA s'attribue toute la satisfaction du client en l'informant lui-même de la bonne nouvelle, laissant le réparateur à sa triste solitude de voleur démasqué...On le voit, l’approche est sans grande ambiguïté : le réparateur est a priori suspect de surfacturer, surtout quand le texte est accompagné des images ci-dessus qui matérialisent un gain potentiel de 20% (facture de 1 000 € ramenée ainsi à 800 €). Avant même d'identifier l'offensive, c'est d'abord la brutalité de l'offense que les réparateurs vont prendre de plein fouet.Bien sûr, AXA prend la précaution de préciser dans ses mentions légales que «les montants et réductions de ce document sont donnés à titre indicatif» et dans son texte d’accompagnement, que le mécanicien AXA n'obtient un meilleur prix que «le cas échéant».Mais quand bien même : quel “automobiliste AXA” ne sera pas tenté d'utiliser cette prometteuse intermédiation, même avec “son” bon vieux réparateur en qui il avait jusque là toute confiance ? Que pensera-t-il et que dira-t-il autour de lui quand ce même réparateur habituel cédera à l’intervention d’AXA, ne serait-ce que d’une poignée d’euros, surtout si ce professionnel se sent par ailleurs tenu par une autre relation d’affaire avec l'assureur ? Les réparateurs concernés qui ont une double activité mécanique et carrosserie, à commencer par les RA1 et RA2, ne pourront évidemment pas ne pas au moins se poser la question. Et le consommateur ne se dira-t-il pas alors que le réparateur rappelé à l'ordre par le justicier AXA en a encore “sous le pied” ? Et que par extension, tous les réparateurs sont bien des voleurs heureusement démasqués par le merveilleux service de l'ami assureur...
Pas seulement pour les pannes...
La porte est grande ouverte sur la caricature stigmatisante. D'autant plus qu'Allo Mécano n'intervient pas dans le seul cas des pannes immobilisantes liées à une assistance déclenchée par l’assureur. Même si c'est ce que laisse entendre le site d’explication −il titre «Votre voiture est en panne et vous avez un devis de réparations ?». Car les automobilistes assurés chez AXA reçoivent actuellement le SMS suivant qui promet un champ d’intervention bien plus vaste :
«Quand votre véhicule nécessite des réparations (suite à panne, révision, contrôle technique…), avec le service Allo Mécano, faites appel à nos mécaniciens experts avant de vous engager. Ils analyseront et renégocieront si besoin le devis proposé par le garagiste.»
Sauf à de très rares exceptions près, la révision comme le contrôle technique n'ont rien d'un sinistre immobilisant justifiant un dépannage sous assistance. A eux seuls, ces deux motifs pèsent plus du tiers des entrées-atelier en France quand la panne pure et dure n'en représente que 5%. Sans oublier les trois petits points de suspension qui suivent cette énumération dans le SMS et encouragent un peu plus l’automobiliste à appeler Allo Mécano à l'occasion de tout devis de réparation. Surtout s’il n’a pas regardé, là encore, les discrètes mentions légales précisant que la prestation de l’ange gardien AXA ne s’applique pas «pour des réparations de carrosserie et/ou pneumatiques»(*).Plus de doute : hormis le pneu donc, Allo Mécano peut et veut aussi superviser toute autre facturation mécanique.
Un succès annoncé
Le service Allo Mécano d’AXA aura-t-il du succès ? Probablement, puisqu’il est gratuit pour l’assuré et que l’entretien et la réparation d’une voiture sont toujours ressentis comme trop chers. Fera-t-il école auprès des autres compagnies et mutuelles ? Tout aussi probablement tant il est vrai que, depuis la possibilité qu’ont les consommateurs de résilier à tout moment leur contrat d’assurance grâce à la loi Hamon, tout service à valeur ajoutée pécuniaire est réputé stratégique car fidélisant. Maintenant que le parc stagne et que les parts de marché assurantiel ne peuvent progresser qu'au détriment des concurrents, les assureurs auront encore moins de raisons de laisser un tel avantage concurrentiel entre les seules mains d'AXA...AXA a donc toutes les bonnes raisons de “pousser” ce service et ses concurrents assureurs, de le cloner. D’autant qu’il va aussi permettre, en passant, d’avoir une idée plus claire des besoins des automobilistes en réparation mécanique. Et du pouvoir de négociation des assureurs en ce domaine potentiellement porteur pour eux.Si AXA maintient son service pour l'essentiel des interventions atelier et que les autres assureurs lui emboîtent le pas, l'onde de choc sera violente, en nombre de clients concernés comme en impact marché. AXA à lui seul revendiquait presque 4 millions de primes automobiles en portefeuille en 2010, dernière année où ces chiffres étaient accessibles. A la même époque, ses 4 principaux concurrents multipliaient alors le nombre de clients captifs par presque 4 : la Macif ajoutait 5 autres millions d'assurés auto, Groupama 4, la Maaf et la Maif chacun 3 millions. Ces seuls 19 millions d'automobilistes assurés par les seuls 5 premiers acteurs représentent plus de la moitié du parc VP roulant. Soit, arithmétiquement et une fois les pneus déduits, une petite moitié des quelque 38 millions d'entrées-atelier VP annuelles en entretien-réparation mécanique.plus de 15 millions de devis par an sont donc susceptibles d'être demain, même en partie, "revisités" par des mécaniciens-experts assurantiels façon Allo Mécano. Le panier moyen de l'entrée-atelier en France va vite commencer à dévisser. On entend déjà les réseaux sociaux bruisser plus ou moins spontanément de témoignages encourageants du type : «grâce à mon assureur, j'ai fait baisser ma réparation de X%»...
Une arme anti-libre choix ?
Évidemment, on nous opposera que si un simple coup de fil suffit à faire baisser un devis de réparateur, c'est qu'il a tendance à abuser naturellement. C'est d'ailleurs là toute la malignité de l'offre. Mais ce serait alors mal connaître la vieille et efficace pratique du quasi-chantage de l'enchère inversée. Les assureurs ont bien rodé le concept dans la réparation-collision sur le thème du «si tu restes plus cher que ton voisin carrossier, c'est donc lui qui profitera à l'avenir de mes belles autos cassées qui te font pourtant vivre». Et comme Allo Mécano intervient dès le devis, une réorientation vers un pro plus conciliant est toujours envisageable.D'accord encore, il y a le libre choix du réparateur qui interdit en théorie une telle pratique. Mais en théorie seulement. En cas de résistance du réparateur, l'assureur peut très bien décider de lancer, au nom de son client automobiliste et dans son environnement géographique, un véritable appel d'offres. Une vue de l'esprit ? En carrosserie, nos lecteurs le savent bien : c'est l'expert qui est maintenant sommé par l'assureur de faire des comparatifs tarifaires entre carrossiers en dépit du libre choix, au grand dam des fédérations professionnelles qui travaillent activement à contrer ce détournement de la loi Hamon. Un détournement initié par la Matmut début 2014 et largement copié depuis.En mécanique, c'est encore plus simple à réaliser. Pas besoin de coûteuse plateforme de gestion de sinistres qui distribue le business aux moins-disants. Les comparateurs de devis en ligne sont matures en matière d'entretien-réparation, à commencer par le puissant Reparmax.com ou son concurrent prédécesseur, VA-France. Il suffira de les solliciter en juges de paix (en “marque blanche” ou même en toute transparence) pour ensuite laisser le consommateur choisir parmi les divers retours collectés. Eh oui : du coup, le libre choix sera (presque) respecté à la lettre...
C'est bel et bien parti
En attendant la très possible contagion et systématisation du service Allo Mécano, il s'annonce déjà en l'état comme un beau terrain d'expérimentation pour l'assureur. Ses “mécaniciens-experts” vont pouvoir “suggérer” de la pièce de réemploi, forts de la menace d'amende fraîchement issue de la loi sur la transition énergétique. Ou remettre en question le temps facturé sur la foi de quelque sous-traitant de bases de données de réparation dont AXA a sûrement dû s'assurer les zélés services. Ou plus simple encore, “comparer” avec les devis que l'assureur a pu obtenir par ailleurs auprès de carrossiers, dociles qu'ils sont par obligation : dans pléthore de ces chocs avant qui dominent les entrées-atelier en carrosserie, il y a de la pure mécanique à faire...Cette fois, le doute n'est plus guère permis : les assureurs ont bel et bien l’intention d'investir le marché de l’entretien-réparation. Et s'ils s'y prennent d'aussi agressive et offensante manière, les fédérations professionnelles vont avoir du boulot. Il ne leur sera pas simple de trouver les mots justes qui feront comprendre aux consommateurs que ce superbe service d'AXA, immédiatement lucratif pour eux, n'est pas néfaste qu'au seul réparateur. Il le sera immanquablement pour l'automobiliste lui-même.Pourquoi ? Parce qu'une généralisation d'Allo Mécano, en forçant les réparateurs à baisser leurs tarifs, les conduira de fait à réduire leurs budgets équipement et formation, les premiers sacrifiés en cas de disette. Et à moyen terme, ils "taperont" malgré eux dans la qualité de leurs réparations pour pouvoir survivre, comme c'est de plus en plus souvent le cas chez les carrossiers.Mais ce n'est pas grave : AXA pourra toujours assurer la réparation de la réparation...Voir aussi «DOCUMENT – Allo Mécano : le SMS d’AXA qui confirme le danger !» (*) Autres exclusions : le service est disponible pour les seuls contrats auto AXA avec garantie «Assistance au véhicule souscrite, sauf contrats Clic & Go, Assurance Véhicules de collection, Camping-cars et Caravanes». 
Jean-Marc Pierret
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