Analyse – Plaquettes Feu Vert “à vie” : le gros coup à petit coût… et sans risque !

Jean-Marc Pierret
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Encore une fois, le chat malin s'offre un gros coup de com' en annonçant maintenant le remplacement des plaquettes de frein, gratuit et à vie ! Mais le félin est surtout sacrément rusé : il prend finalement peu de risques et, à bien y réfléchir, il en fait prendre très peu au reste du marché de l'entretien-réparation. Amis réparateurs, avant de maudire tous les chats blancs, quelques explications...
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On reconnaît bien là l'habituel coup de patte marketing du chat malin : l'enseigne de centres auto est et restera, pour les consommateurs, le premier acteur de la rechange et la réparation indépendantes à avoir su proposer un remplacement de pièce d'usure gratuitement et à vie ! L'offre est belle, séduisante et attractive : les automobilistes savent que grâce à Feu Vert, ils peuvent, depuis le 14 septembre et jusqu'au 31 décembre, changer les plaquettes une bonne fois pour toutes !Évidemment, la question vrille une partie de la profession : comment diable Feu Vert peut-il prendre un tel risque sans s'exposer à devoir, ad vitam æternam,  renouveler régulièrement et massivement des plaquettes sans jamais pouvoir les facturer ? Pourquoi “abîmer” ainsi une prestation-phare de l'entretien automobile qui n'a pas besoin de booster, soutenue qu'elle est par la sécurité et le contrôle technique ? Cette escalade consumériste de l'offre ne menace-t-elle pas inutilement les fragiles équilibres du marché de la réparation et de la pièce ? La durée de trois mois permet certes, si Feu Vert n'avait pas tout prévu et que la machine venait à s’emballer, de limiter les dégâts. Mais même dans ce cas, restons zen : au prix où Feu Vert achète ses plaquettes, même chez Bosch (l'heureux partenaire de l'opération), le coût marketing resterait ténu. Et le manque à gagner du centre aussi, puisque la pose, elle, reste à la charge de l'automobiliste...
Les bonnes “conditions” de Feu Vert...
Mais alors, le chat de Feu Vert fait-il un vilain croche-patte au reste du marché en tirant ainsi la litière à lui ? Ses concurrents auront sûrement déjà noté que les très malignes conditions qui accompagnent l'offre interdisent tout coûteux dérapage incontrôlé de l'offre, pour lui comme finalement pour les autres réparateurs... Car après le changement initial (4 plaquettes d'un essieu minimum) «les plaquettes de freins que Feu Vert viendra à changer par la suite sur le même essieu seront offertes (sans limite du nombre de remplacements)». Qui dit même essieu dit même véhicule. Et comme l'offre est en outre nominative et non cessible, pas de grosse inquiétude donc : la gratuité ne peut donc s'appliquer que tous les 30 000 à 40 000 km et pour un même véhicule, à condition qu'il soit toujours détenu par un même propriétaire. Soit, au rythme d'un kilométrage annuel moyen de moins de 13 000 km et des ventes et reventes des véhicules, une fois tous les 3 ans au mieux.C'est là que Feu Vert a été particulièrement doué au périmètre des consommateurs qui seront séduits par cette gratuité. 30 000 km, c'est pile-poil quand arrive une révision. Et comme l'adhésion à la carte de fidélité est obligatoire pour bénéficier de l'offre, les occasions de se refaire dans l'intervalle seront optimisées. Sans oublier que, comme il faut revenir chez Feu Vert pour bénéficier de l'offre, au centre auto de faire son métier par de bienvenues ventes additionnelles.A commencer d'ailleurs par celles concernant... le freinage. A ce seul périmètre, c'est clairement expliqué, presque annoncé, au consommateur : «Le client conserve à sa charge le coût de la pose ainsi que celui des prestations et pièces complémentaires (Remplacement des disques de frein abîmés, voilés, fissurés ou usés), purge et remplacement du liquide de frein, remplacement de toute pièce du système de freinage défectueuse ou qui s’avérerait nécessaire».Une sorte de pense-bête pour le mécano : ne surtout pas oublier tout le reste, à commencer par ces disques et cette purge trop souvent oubliés, au grand désespoir souvent des équipementiers concernés. En 2012, Christophe Floquet, alors directeur marketing opérationnel de feu-Bendix, ne rappelait-il pas que «environ 30% [des véhicules] avaient des disques usés au-delà de la limite d’épaisseur minimum et 40%, un liquide de frein usé» (voir «Freinage et atelier : 1,5 milliard d’euros inexploité !») ? Et tout bon réparateur le sait bien : dès que l'on retire une roue, tout un univers d'opportunités commerciales s'ouvre (pneus, amortisseurs, disques, cardans, flexibles, etc., etc.)
...sur fond de marché spécifique
Et encore faut-il aussi minorer l'impact de l'offre de Feu Vert en resituant dans leur marché spécifique ces plaquettes gratuites à vie. Car quel que soit l'âge du parc, le changement de plaquettes est l'une des “stars du do it” : sur les quelque 10 millions de jeux de plaquettes remplacés chaque année, un tiers le sont hors ateliers !L'offre s'adresse donc au moins autant à ces clients perdus de toute façon pour les réparateurs, à ces automobilistes-internautes qui achètent leurs plaquettes sur internet ou chez le grossiste et les changent via un bon copain ou par eux-mêmes. Pour ces bricoleurs, une gratuité chez Feu Vert, c'est somme toute faire à peu près la même économie que d'habitude, sans cette fois se salir les mains et pourrir son week-end. Une belle et bonne raison de revenir chez un pro...
Tirer l'épingle du jeu... de plaquettes
En résumé, voilà pourquoi l'offre de Feu Vert n'est donc révolutionnaire et préjudiciable qu'en apparence. Elle va certes attirer des chalands vers les centres Feu Vert, certes agacer les pros, surtout quand la campagne radio nationale va démarrer le 19 septembre. Mais probablement n'attirera-t-elle pas plus durablement de clients que les foudres des concurrents sur l'enseigne ou sur Bosch. L'équipementier s'offre ainsi en passant une belle opération visibilité de plus, façon balais gratuits chez Carglass...Quant à Feu Vert, s'il fait donc un joli coup que ses concurrents vont évidemment lui envier, c'est à moindre coût et à moindre risque comme on vient de le comprendre. Que les réparateurs agacés se détendent : si le chat malin ne se tire pas de balle dans la patte, il n'en tire pas plus dans le pied du reste du marché de l'entretien-réparation. Tout juste va-t-il brièvement tirer son épingle du jeu... de plaquettes, bien sûr.
Jean-Marc Pierret
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