Equip Auto 2013 – Vente en ligne: comment internet révolutionne le marché du pneu

Jean-Marc Pierret
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La vente en ligne chahute le marché de la pièces auto. Mais c’est surtout celui du pneu qu’internet transforme profondément. Pourquoi, comment, au profit et au grand dam de qui ? Histoire récente d’un marché pneu BtoB qui fait la révolution…
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Et si l’impact de la vente en ligne n’était pas là où on l’attend ? Pendant que l’on se focalise sur les conséquences réelles ou hypertrophiées des sites de ventes de pièces en ligne, une autre révolution internet s’orchestre discrètement du côté de la vente de pneus en ligne. Et elle est bien plus profonde. Cette révolution qui nous intéresse ne provient pas en l’occurrence des vitrines grand public que sont les allopneus, popgom, 123pneus et autres pneus-online : c’est celle que provoquent les quelque 5 acteurs «BtoB» (de pros à pros) et qui organisent la vente de pneus en ligne vers les réparateurs et pneumaticiens.

Impact «tsunamique»
Encore le terme de vente est-il impropre dès lors que l’on parle du leader de ce jeune marché qu’est 07ZR.com (voir "07ZR.com, ou «l’Amazon BtoB» avant l’heure!"), derrière qui le deuxième (Gettygo) ne représenterait «que» 1/8ème de son volume environ. Car 07ZR.com n'est pas commerçant mais «intermédiateur» : il n’achète ni ne vend de pneus. Sa raison d’être, c’est d’interconnecter la demande des réparateurs sur les stocks de quelque 150 fournisseurs. Son fonds de commerce, c’est une rétribution par une commission sur la vente effective et l’abonnement de 35 euros mensuels que paie le réparateur souhaitant bénéficier d’un accès à cette «place de marché».

Mais s’il ne fait pas le bruit que les sites grand public génèrent en termes de communication, son effet et celui de ses homologues est aussi «tsunamique» pour le circuit traditionnel de la distribution de pneumatiques qu’il est inespéré pour les réparateurs de toutes obédiences. Et surtout ceux qui avaient plus ou moins renoncé à cette activité, sous la pression conjuguée de la baisse des tarifs, des marges et de leurs faibles volumes en matière de remplacement de pneumatiques. C’est justement là que 07ZR.com et consorts viennent rebattre les cartes sur un marché jusqu'ici organisé sur des certitudes historiques.

La fin d’une époque
Pour comprendre ce qui se passe, un préalable retour en arrière s’impose. Les «manuf’» (le petit nom des manufacturiers chez les professionnels du pneu) ont joué et jouent d’une pénurie contrôlée qui, si elle se justifie industriellement en ces temps de crise, tente aussi d’endiguer, tant que faire se peut, la baisse des prix et des marges qui lamine la rentabilité du marché rechange du pneumatique. Au milieu, les distributeurs classiques commerçaient et commercent toujours avec la grille tarifaire classique proposée à l’aval des réparateurs : aux gros faiseurs les moins mauvaises marges, aux petits faiseurs, des prix peu compétitifs, mais plus à prendre qu’à laisser puisqu’il faut bien servir l’automobiliste.

Le résultat, on le connaît : même si l’activité pneumatique est commercialement essentielle à tout réparateur par les 20 à 25% d’entrées-atelier qu’elle génère en France, beaucoup d'entre eux s’auto-disqualifient d’une stratégie offensive en matière d’offre pneumatiques –et surtout les petits– faute de marges suffisantes pour combattre la concurrence féroce des spécialistes.

Nouvelle habitude d’achat des réparateurs
Parallèlement, cette pénurie et la chasse aux prix a aussi fendillé petit à petit les fondamentaux sur lesquels trônaient les dits «manuf’» et leurs marques : si certaines d’entre elles considèrent toujours, comme au bon vieux temps, que «la voiture n’est que l’accessoire du pneu», les réparateurs, sommés par les consommateurs de trouver des pneus aux meilleurs prix et généralement le plus vite possible, ont fini par considérer que somme toute, c’est la marque du pneu qui devenait accessoire. Là aussi, faute de grives vendues très chères ou trop rares, on se contente de merles qui font l’affaire…

Pour toutes ces raisons, quand internet s’est brutalement intéressé à l’activité pneumatique BtoB, le boulevard du développement était tout tracé. En interconnectant des stocks et en négociant les meilleurs prix, 07ZR.com et les autres ont trouvé un terrain fertile et avide de leur offre inédite : que le réparateur soit puissant ou misérable en termes d’activité pneumatique, il peut enfin accéder, grâce à internet, à des prix d’achat inespérés. Et à une disponibilité complémentaire à celle, erratique, du circuit physique classique.

Le circuit classique souffre…
Car l’appel d’air a été d’autant plus fort que la fameuse pénurie l’a favorisé : des observateurs du marché du pneu considèrent que 10 à 20% des commandes ne sont pas livrables dans les délais. Dans ce contexte, assez logiquement, la possibilité de commander par internet des pneus à bon prix et livrables rapidement a d'ores et déjà des conséquences douloureuses chez certains négociants classiques du pneu et non des moindres. Quelques mastodontes ambitieux d’hier ont revisité leurs prétentions à la baisse. Et ce ne serait que le commencement…

Il est évidemment difficile de savoir quelle proportion du marché emprunte ce circuit internet BtoB. Mais les mêmes observateurs estiment que 10 à 30% des achats pneus par les pros sont déjà réalisés hors des accords-cadres habituels des réseaux de pneumaticiens, pourtant bien structurés. Autre preuve que le canal du pneu internet BtoB commence à compter : certains grands réseaux de pneumaticiens s’y mettent, plus ou moins discrètement. Et il suffisait de s’arrêter sur le stand de 07ZR.com sur Equip Auto pour constater à quel point la clientèle du site brasse du MRA comme du spécialiste, en passant par les RA1 et les RA2.

Résultat : les petits réparateurs se réapproprient le remplacement du pneu, les pneumaticiens souffrent probablement de cette concurrence réactivée et les négociants en pneus perdent leurs rentes de situation historique avec la déstructuration de leur «business-model».

Le pneu n’est pas la pièce
On le voit, le marché du pneu a fait tout ce qu’il fallait pour mettre en scène internet. D’abord, au risque de choquer, parce que le pneu qui n’était déjà qu’un produit assez banal d’un point de vue consumériste l’est devenu aussi pour les réparateurs : la difficulté d’approvisionnement plus ou moins organisée a achevé de convaincre les réparateurs que tout pneu à peu près honnête est bon à prendre. En outre, parce que le nombre de ses références, s’il s’accroît régulièrement, n’a rien à voir avec celui des pièces et demeure donc totalement «web-compatible». Pour ces raisons de prix, de simplicité et de disponibilité, les sites de pneus BtoB ont surfé sur la tendance en devenant, au moins, la solution de dépannage quand il faut attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines dans le cas de références rares…

Mais pour ces raisons aussi, cette révolution internet du pneu a peu de chance de contaminer la distribution BtoB de la pièce. En tout cas, pas dans les mêmes proportions. Les centaines de milliers de références qu’il faut gérer pour entretenir et réparer le parc roulant génèrent trop de complexité : elles sont disparates en tailles, en prix, en taux de rotation et en infos techniques quand le pneu, lui, est terriblement standardisé et simplissime à poser pour un pro. Les acteurs habituels de la distribution de pièces ont donc encore le temps de réfléchir et de réagir.

Ce seront probablement eux qui sauront d’ailleurs déployer des sites de ventes BtoB sans avoir à subir de nouveaux arrivants comme le pneu l’a vécu. Mais qu'ils ne tardent pas trop quand même : si le e-commerce, BtoB comme BtoC, a su prouver quelque chose, c'est bien sa capacité à débarquer là où on ne le pressent pas, en inventant des solutions qu'on n'imaginait pas. La preuve...

Jean-Marc Pierret
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