Equipement de garage: peut-on encore sauver le Soldat Fog?

Jean-Marc Pierret
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Mis à nouveau en redressement judiciaire deux ans et demi seulement après le précédent, Fog Automotive espère un nouveau plan de continuation qui le mette à l’abri des fronts conjugués des concurrences industrielles exotiques, d’un marché atone, de banquiers frileux, de fournisseurs inquiets et de créanciers croissants. L'entreprise compte sur  le tribunal de commerce de Paris pour lui ré-inventer un troisième avenir en moins de 10 ans…

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Il faut à nouveau sauver le soldat Fog. C’est en substance le message que venait distiller ces jours derniers à la presse l’état-major de Fog Automotive, en passe de mettre l’entreprise sous la protection d’un mandataire ad hoc et probablement en redressement judiciaire. Jacob Abbou, président du directoire, Bernard Bourrier, président du conseil de surveillance et Jonathan Habersztrau, directeur des opérations sont donc venus dire aux journalistes leur motivation intacte pour sortir à nouveau par le haut de ce nouvel avatar du dernier fabricant français d’équipement de arage.

 

Guerre de tranchée, guère d’avancée…

Le problème du soldat Fog, c’est qu’il n’a guère pu sortir de sa tranchée depuis septembre 2009 quand, après 4 ans d'une gestion calamiteuse du prédécesseur SGCP (Société Générale Capital Europe), Sakar SAS (Jacob Abbou et Bernard Bourrier) se présentait à la barre du tribunal de commerce d’Orléans pour reprendre l’entreprise alors en redressement judiciaire.

Force est de constater que la solution Sakar n’a finalement réussi qu’à étayer vaille que vaille le fragile abri du soldat Fog durant le cessez-le-feu que la crise financière a brièvement concédé en 2010 et 2011. Deux années durant lesquelles l'entreprise s'escrimait à repousser cet autre front qui lui, la pilonne sans rémission : celui des fabricants mondialisés d’équipements de garage. «Les coûts de production en France sont 4 à 20 fois supérieurs à ceux de la concurrence», souligne Bernard Bourrier, également patron du réseau Autovision ; «on ne peut se battre contre des ponts à 1 500 €, livrés-posés».

Certes, mais le constat valait aussi en 2009 : le soldat Fog était alors déjà bien désarmé face à l’armada ultra-compétitive des usines italiennes, est-européennes ou asiatiques. Mais à l’époque, Jacob Abbou avait une stratégie court-termiste précise, au plan de marche limpide : alléger les coûts de l’entreprise, optimiser le nouveau site de Briare que SGDP avait décidé de substituer à l’obsolète usine de Myennes... et revendre vite.

C’est vrai qu’ainsi rhabillé, fraichement rasé et apparemment réarmé, il avait à nouveau fière allure, le soldat Fog sortant vainqueur du tribunal de commerce d'Orléans. Il pouvait espérer intégrer rapidement les rangs d’un repreneur susceptible d’être séduit, au mieux par l’outil industriel renfloué par une saignée des coûts et des hommes (80 licenciements sur 240 emplois) ; au pire, par le parc installé, les contrats d’entretien, les comptes-clients et l’attachement des réparateurs français à cette dernière marque fabricante hexagonale.

 

Deux fronts de trop

Mais la permission judiciaire du soldat Fog a été de courte durée. Mi-2011, le front de la crise financière se ré-ouvrait et le renvoyait au combat. 3 ans après sa reprise par Sakar SAS, il doit à nouveau se rendre à la même évidence. Et se rendre tout court : «Impossible de résister en l’état quand d’un côté, les délais de paiement des clients s’allongent, que de l’autre, des fournisseurs échaudés par l’histoire de l’entreprise exigent un paiement préalable à toute commande et qu’en outre, les banques coupent les possibilités de crédits et d’encours», souligne Jacob Abbou.

Bref : le soldat Fog n’a plus ni cartouches ni base arrière pour affronter une pluie de fer et de feu : quelque 5 millions d’euros "dehors", des créances de 11 millions, un besoin de trésorerie non-financé de 3 millions pour juste garder une narine hors de l'eau. Le tout sur fond de marché atone pour encore trop longtemps : «les perspectives 2013-2014 sont peu souriantes», prophétise sombrement Jacob Abbou.

Pas question toutefois de rendre les armes par un peu glorieux dépôt de bilan. Ni Jacob Abbou, ni ses co-actionnaires ne sont hommes à se faire liquider sans combattre. Qu'on se le dise : cette mise en redressement judiciaire que le repreneur de 2009 vient d’appeler de ses vœux n’est pas une reddition. Au pire, un repli stratégique vers le "casque bleu" d’un nouveau tribunal de commerce. Ce sera celui de Paris cette fois, puisque le siège social a été habilement transféré en juin dernier de Briare vers la capitale. Jacob Abbou espère de ce terrain neutre, exempt du souvenir des promesses mal tenues, qu'il dépassionnera les débats. Il laissera le temps et les moyens d’imaginer sereinement une nouvelle affectation et un nouveau plan de marche pour le Soldat Fog, ses armes, ses bagages… et probablement, la moitié de ses troupes actuelles.

Car si nouvelle contre-attaque il doit y avoir, ce ne sera pas sans son lot de sacrifices. La perte au feu de 2009 s’était chiffrée à 162 licenciements. Les plans de reconquête en avait ressuscité 44. Sur les 142 survivants recensés au terme de la période 2009-2012, "Fog reconnaissant" devra vraisemblablement en sacrifier la moitié pour que son dossier de continuation soit acceptable. Une évaluation «sans présupposer de la décision du tribunal», minore un Jacob Abbou prudent, qui ne veut pas risquer de froisser le mandataire ou le juge en leur donnant l’impression qu’il a déjà choisi pour eux le meilleur destin pour Fog...

 

L’espoir défunt d'une "solution Bosch"…

Mais y a-t-il seulement un choix possible ? L’entreprise a-t-elle encore un avenir industriel ? Jacob Abbou veut toujours y croire, même s’il confesse volontiers son tort «d’avoir peut-être trop longtemps cru à une solution industrielle avec Bosch». Elle avait effectivement une sacrée gueule, cette solution moult fois annoncée deci-delà pour rassurer personnel et partenaires chaque fois que de besoin. Sur la carte d’état-major transmise au soldat Fog, les toujours imminents renforts industriels et commerciaux de l'équipementier allemand s’annonçaient invincibles. Ils incarnaient la contre-offensive prochaine et inévitablement victorieuse car seule capable d’enfoncer simultanément les deux fronts, le financier comme l’industriel.

L’axe franco-allemand était certes scellé par un pacte réel, mais son ciment avait la friabilité du pragmatisme. Bosch soutenait pourtant le redémarrage de 2009, du bout des lèvres certes, mais avec son chéquier. Il lui était alors difficile, il est vrai, de prendre capitalistiquement part à l’aventure alors même qu’il réduisait les effectifs de sites industriels français : l’équipementier n’aime pas se contredire aussi ouvertement.

Il allait pourtant jusqu’au maximum tolérable : Bosch s’affichait en caution virtuelle aux côtés des repreneurs. En partie parce qu’il était otage du million d'euros dus par un Fog sous-traitant ses ponts. En partie aussi parce qu’il n’aurait pas été professionnel de faire fi, sans étude approfondie, des potentialités d’une marque profondément enkystée dans les habitudes de réparateurs pour qui «acheter français a du sens», maintient Jacob Abbou.

Au-delà des accords alors signés avec le mastodonte germanique (distribution par Fog de la marque Sicam détenue par l’équipementier allemand et prise en charge par Fog d’une partie de l’après-vente des matériels Bosch), le rachat était effectivement évoqué. Les audits que les équipes de Bosch menaient à Briare durant 2010 prouvent sinon l’intention ferme, au moins l’éventualité d’un tel accord.

Mais Bosch n’y a pas assez cru, en tout cas pas aux prix proposés par Jacob Abbou, se souvient une source proche des négociations. Et mois après mois, l’option industrielle allemande s’est doucement étiolée, jusqu’à s’éteindre définitivement quand Bosch a annoncé, puis récemment concrétisé, le rachat du géant américain SPX.

Jacob Abbou a certes exploré ou fait explorer d’autres pistes : Cice en Italie, Snap-On aux USA, Launch en Chine et sûrement bien d’autres. Le président devenu ainsi VRP planétaire a en tout cas dû renoncer à Bosch «qui a été un partenaire solide», concède un premier Jacob Abbou magnanime. Mais un second Jacob Abbou lui succède quelques minutes plus tard qui affiche alors une contradictoire pointe d’aigreur particulièrement acérée : «la marque Sicam n’a pas joué le jeu : ses produits sont vendus moins cher par Bosch que par nous».Karlsrühe et Saint-Ouen apprécieront sûrement. Mais qu’ils sachent quand même avant de s'agacer que Jacob Abbou se dit «prêt à abandonner à Bosch ses 46% du capital et ses 51% de droits de vote pour un euro symbolique si l’équipementier promet de préserver l’outil industriel»…

 

Un avenir dans le négoce ?

De ces décombres d’espoirs industriels, le président du directoire n’a pas renoncé à exfiltrer le soldat Fog et ses actionnaires pour les conduire vers des théâtres d'opérations plus prometteurs. Il aurait dans sa manche deux options qu'il garde mystérieuses : un fonds d’investissement et un investisseur individuel. Ils matérialisent selon lui deux avenirs toujours possibles : l’un industriel et commercial ; l’autre, commercial seulement.

«Ce sont les décisions qu’il plaira au tribunal de prendre qui définiront laquelle des deux options sera viable», explique en substance un Jacob Abbou confiant qui expose les principaux chantiers du redressement, déjà explorés et parfois entamés :

  • les licenciements inévitables bien sûr, mais que le mandataire peut rendre à la fois moins coûteux et plus supportable en les lissant dans le temps ;
  • la réduction déjà obtenue de 50% du loyer de Briare ;
  • les nécessaires abandons partiels de créances des fournisseurs comme des organismes sociaux ;
  • l’externalisation décidée de certaines fonctions, comme le bureau d’études, vers des fournisseurs intéressés par les compétences et/ou des salariés de Fog ;
  • la vente de certains "appartements" sur le modèle de la cession déjà réalisée des 75% de Fog Autolube au suédois Orion.

Parallèlement, on envisage de s’appuyer sur les activités porteuses, comme celle «très rentable» des 11 000 contrats de services ; éventuellement, d'assembler systématiquement les produits issus des exotiques usines ennemies d’hier et pourquoi pas, de se lancer dans la vente directe.

C’est possible, au moins sur le papier et ce, même si les groupements d’achat étaient en leur temps appelés à un effort de guerre pour eux aussi sauver le soldat Fog. L'heure n’est plus aux sentiments : «J’ai stoppé leurs référencements : ils conduisent à vendre 10% sous le seuil de rentabilité», annonce Jacob Abbou.

 

L’espoir fait (re)vivre…

On l'a compris : dans tous les cas, si le tribunal le décide, la troisième campagne du Soldat Fog démarrera sans surpoids et d’un pas allégé. Le chiffre d'affaires aura à nouveau été réduit de moitié (50 millions en 2009, 25 millions en 2012, environ 12 à 15 millions après la toute prochaine cure de rentabilité). L'entreprise ne sera plus soutenue que par une escorte de 74 salariés (3,5 fois moins qu’en 2009), mais toujours forte des vestiges de son glorieux passé, explique par exemple Jacob Abbou : un parc de 1 800 géométries, de 500 chaînes de contrôle et d’une part française sûrement conséquente parmi les «120 000 machines (?) implantées par Fog dans le monde».

Peut-être aussi le soldat Fog sera-t-il au moins mieux armé financièrement et qui sait, peut-être plus habile sur le champ de bataille car enfin mieux encadré que n’ont su ou pu le faire les généraux successifs de l’entreprise.Restons optimistes. Peut-être va-t-on réussir à sauver une nouvelle fois le Soldat Fog et le voir sortir vainqueur de la «pire-crise-financière-depuis-celle-de-1929», l’année qui l’a vu naître sans l’empêcher d’être viable, de grandir et de prospérer pendant 76 ans. Fog a donc le capital génétique pour survivre et renaître en milieu financier hostile. Pour peu que l’on cesse enfin de lui demander plus qu’il ne peut donner et qu’on lui prodigue des soins adaptés à ses multiples blessures.

L’espoir fait vivre ? Quand il est bien accompagné, il peut même faire revivre…

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Equipement de garage: peut-on encore sauver le Soldat Fog?

Mis en redressement judiciaire deux ans et demi seulement après le précédent, Fog espère un nouveau plan de continuation qui le mette à l’abri des fronts conjugués des concurrences industrielles exotiques, d’un marché atone, de banquiers et fournisseurs trop inquiets et de créanciers croissants. Et que le tribunal de commerce de Paris lui invente un troisième avenir depuis 2005…

Il faut à nouveau sauver le soldat Fog. C’est en substance le message qu’a distillé à la presse l’état-major de Fog Automotive, en passe de mettre l’entreprise sous la protection d’un mandat ad hoc et probablement en redressement judiciaire.Jacob Abbou, président du directoire, Bernard Bourrier, Président du conseil de surveillance et Jonathan Habersztrau, directeur des opérations sont donc venus dire à la presse leur motivation de sortir à nouveau par le haut au terme de ce nouvel avatar qui menace la dernière entreprise française productrice d’équipement de garage.

Guerre de tranchée, guère d’avancée…Le problème du soldat FOG, c’est qu’il n’est guère pu sortir de sa tranchée depuis septembre 2009, quandSakar SAS (Jacob Abbou et Bernard Bourrier) se présentait à la barre du tribunal de commerce d’Orléans pour reprendre l’entreprise alors en redressement judiciaire après la gestion calamiteuse de leur prédécesseur SGCP (Société Générale Capital Europe) depuis 2005.

Les renforts de la solution Sakar n’ont finalement réussi qu’à étayer la fragile tranchée du Soldat Fog et la maintenir vaille que vaille durant le cessez-le-feu que la crise financière a brièvement concédé en 2010 et 2011. Deux années durant lesquelles le soldat Fog s’est escrimé à résister sur cet autre front qui lui, le pilonne sans rémission: celui des fabricants mondialisés d’équipements de garage. «Les coûts de production en France sont 4 à 20 fois supérieures à ceux de la concurrence», souligne Bernard Bourrier; «on ne peut se battre contre des ponts à 1500€, livrés-posés».

Certes, mais le constat valait déjà en 2009: le soldat Fog était déjà bien désarmé face à l’armada ultra-compétitive des usines italiennes, est-européennes ou asiatiques. Mais à l’époque, Jacob Abbou avait une stratégie court-termiste précise au plan de marche limpide: alléger les coûts de l’entreprise et optimiser le nouveau site de Briare que SGDP avait décidé de substituer à l’obsolète usine de Myennes.

C’est vrai qu’ainsi rhabillé, fraichement rasé et réarmé, le soldat Fog avait repris fière allure. Il pouvait espérer intégrer rapidement les rangs d’un repreneur susceptible d’être séduit au mieux par l’outil industriel renfloué par une saignée des coûts et des hommes (80 licenciements sur 240 emplois), au pire par le parc installé, les contrats d’entretien, les comptes-clients et l’attachement des réparateurs français pour une marque hexagonale née en 1929.

Deux frontsMais la permission du soldat Fog a été de courte durée. Mi-2011, le front de la crise financière s’est ré-ouvert et un an et demi après, le combattant doit se rendre à l’évidence: «Impossible de résister en l’état quand d’un côté, les délais de paiement des clients s’allongent, que de l’autre, des fournisseurs échaudés par l’histoire de l’entreprise exigent un paiement préalable à toute commande et qu’en outre, les banques coupent les possibilités de crédits et d’encours», souligne Jacob Abbou.

Le soldat Fog n’a plus ni cartouches ni base arrière pour affronter une pluie de fer et de feu: quelque 5 millions d’euros «dehors», un endettement de 11 millions, un besoin de trésorerie non- financé de 3 millions pour fonctionner au jour le jour, un marché atone… Et pour encore trop longtemps: «les perspectives 2013-2014 sont peu souriantes», prophétise Jacob Abbou.

Pas question toutefois de rendre les armes par un peu glorieux dépôt de bilan. Ni Jacob Abbou, ni son soldat Fog ne sont hommes à se faire liquider sans combattre. Cette mise en redessement judiciaire que le repreneur de 2009 vient d’ordonner n’est pas une reddition mais un repli stratégique derrière les casques bleus d’un nouveau tribunal de commerce. Ce sera celui de Paris cette fois, puisque le siège social a été transféré en juin dernier de Briare à Paris. Au moins Jacob Abbou espère-t-il que ce terrain neutre dépassionnera les débats et donnera le temps et les moyens d’imaginer sereinement une nouvelle affectation et un nouveau plan de marche pour le Soldat FOG, ses armes, ses bagages… et la moitié de ses troupes.

Car si nouvelle contre-attaque il doit y avoir, ce ne sera pas sans son lot de sacrifices. La perte au feu de 2009 s’était chiffrée à 162 licenciements. L’espoir de reconquête en avait ressuscité 44. Sur les 142 survivants recensés au terme de la période 2009-2012, «Fog reconnaissant» va devoir en sacrifier la moitié s’il veut que son dossier de continuation soit acceptable. Une évaluation «sans présupposer de la décision du tribunal», minore un Jacob Abbou prudent qui ne veut pas risquer de froisser le mandataire ou le juge en leur donnant l’impression qu’il a déjà choisi pour eux le meilleur destin pour Fog...

L’espoir défunt de Bosch…Mais y a-t-il seulement encore un choix possible? L’entreprise a-t-elle encore un avenir industriel? Jacob Abbou veut toujours y croire, même s’il confesse volontiers son tort «d’avoir peut-être trop longtemps cru à une solution industrielle avec Bosch».

Elle avait effectivement fière allure, cette solution espérée et moultes fois annoncée deci-delà ces trois dernières années pour rassurer personnel et partenaires chaque fois que besoin. Sur la carte d’état-major transmise au soldat Fog, les toujours imminents renforts industriels allemands s’annonçaient invincibles. Ils incarnaient la contre-offensive prochaine et inévitablement victorieuse car seule capable d’enfoncer simultanément les deux fronts, le financier comme l’industriel.

L’axe franco-allemande était certes scellée par un pacte réel, mais aux raisons plus pragmatiques que fraternelles. Bosch soutenait l’aventure de 2009, même s’il lui était alors difficile de prendre financièrement part à l’aventure alors même qu’il réduisait les effectifs de sites industriels français: l’équipementier n’aime pas se contredire ouvertement.

Il allait pourtant jusqu’au maximum tolérable: Bosch s’affichait en caution virtuelle aux côtés des repreneurs. En partie parce qu’il était otage des 600000 euros dus par un Fog sous-traitant ses ponts. En partie aussi parce qu’il n’est pas professionnel de faire fi sans étude approfondie des potentialités d’une marque profondément enkystée dans les habitudes d’achat des réparateurs français pour qui «acheter français a du sens», maintient Jacob Abbou.

Au-delà des accords alors signés avec le mastodonte germanique (distribution par Fog de la marque Sicam détenue par l’équipementier allemand et prise en charge par Fog d’une partie de l’après-vente des matériels Bosch), le rachat était effectivement évoqué. Les audits que les équipes de Bosch faisaient chez Fog durant 2010 prouvent sinon l’intention ferme, au moins l’éventualité d’un tel accord.

Mais Bosch n’y a pas assez cru, en tout cas pas au prix proposé par Jacob Abbou, se souvient une source proche des négociations. Et mois après mois, l’option industrielle allemande s’est doucement étiolée, jusqu’à s’eteindre définitivement quand Bosch a annoncé, puis récemment concrétisé, le rachat du géant américain SPX.

Jacob Abbou a certes exploré ou fait explorer d’autres pistes: Cice en Italie, Snap-On aux USA, Launch en Chine et sûrement bien d’autres. Le président devenu ainsi VRP planétaire a en tout cas dû renoncer à Bosch «qui a été un partenaire solide» concède un premier Jacob Abbou magnanime. Le second, qui lui succèdera quelques minutes plus tard, affichera pourtant une contradictoire pointe d’aigreur particulièrement acérée: «la marque Sicam n’a pas joué le jeu: ses produits sont vendus moins cher par Bosch que par nous».

Stuttgart et Saint-Ouen apprécieront sûrement. Mais qu’ils sachent quand même que Jacob Abbou se dit «prêts à abandonner à Bosch ses 46% du capital et ses 51% de droits de vote pour un euro symbolique si l’équipementier promet de préserver l’outil industriel»…

Un avenir dans le négoce?

Des décombres d’espoirs industriels quasi-défunts, Jacob Abbou n’a pas renoncé à exfiltrer le soldat Fog et ses actionnaires pour les conduire vers des territoires plus fertiles. Il a dans sa manche deux options: un fonds d’investissement et un investisseur individuel. Ils représentent selon lui les deux avenirs toujours possibles: l’un industriel et commercial, l’autre commercial seulement.

«Ce sont les décisions qu’il plaira au tribunal de prendre qui définiront laquelle des deux options sera viable», explique en substance un Jacob Abbou confiant qui expose les axes de redressement déjà explorés. Ils sont multiples:

·les licenciements inévitables bien sûr, mais que le mandataire peut rendre à la fois moins coûteux et plus facilement «lissables» dans le temps une fois placé sous mandat ad hoc;

·la réduction déjà obtenue de 50% du loyer de Briare;

·les nécessaires abandons partiels de créances des fournisseurs comme des organismes sociaux;

·l’externalisation décidée de certaines fonctions, comme le bureau d’études, vers des fournisseurs intéressés par les compétences et/ou des salariés de Fog;

·la vente de certains appartements sur le modèle de la cession déjà réalisée des 75% de Fog Autolube au suédois Orion.

Parallèlement, on s’appuie sur les activités porteuses, comme celle «très rentable» des 11000 contrats de services, éventuellement on assemble systématiquement les produits issus des exotiques usines ennemies d’hier et pourquoi pas, on vend en direct.

C’est possible, au moins sur le papier et ce, même si les groupements d’achat étaient en leur temps appelés à un effort de guerre pour sauver le soldat Fog. Le temps n’est plus aux sentiments: «J’ai stoppé leurs référencements: ils conduisent à vendre 10% sous le seuil de rentabilité», annonce Jacob Abbou.

L’espoir fait (re)vivre…Dans tous les cas, si le tribunal le décide, la troisième campagne du Soldat Fog démarrera sans surpoids et d’un pas léger: le CA aura à nouveau été réduit de moitié (50 millions en 2009, 25 millions en 2012, environ 12 à 15 millions après la toute prochaine cure de rentabilité), il ne sera plus soutenu que par une escorte de 74 salariés (3,5 fois moins qu’en 2009), mais toujours forte, explique par exemple Jacob Abbou, d’un parc de 1800 géométries, de 500 chaînes de contrôle et d’une part française sûrement conséquente parmi les «120000 machines (?) implantées par Fog dans le monde».

Peut-être aussi le soldat Fog sera-t-il en revanche mieux armé financièrement et qui sait, peut-être enfin plus habile sur le champ de bataille car peut-être enfin mieux encadrés que n’ont su ou pu le faire les généraux successifs de l’entreprise.

Restons optimistes. Peut-être va-t-on sauver une nouvelle fois le Soldat Fog et le voir sortir vainqueur de la «pire crise financière depuis celle de 1929», l’année qui l’a vu naître et ne sans l’empêcher d’être viable, de grandir et prospérer pendant plus de 70 ans.

Il a donc le karma et le capital génétique pour survivre et renaître en milieu financier hostile. Pour peu que l’on cesse enfin de lui demander plus qu’il ne peut donner et qu’on lui prodigue enfin des soins adaptés à ses multiples blessures. L’espoir fait vivre; et quand il est bien accompagné, il peut même faire revivre…

Jean-Marc Pierret
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