L’expertise contradictoire, l’arme anti-recours direct ?

Romain Thirion
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Pour la première fois en près de trois ans de pratique du recours direct, Yan Taverriti, précurseur de la méthode dans son cabinet d'expertise de Forbach, s'est vu débouté sur plusieurs dossiers par diverses juridictions. En cause : l'absence d'expertise contradictoire, pourtant non obligatoire, en présence des parties adverses impliquées dans le sinistre. L'expert mosellan dénonce ainsi le "deux poids, deux mesures" entre experts pratiquant le recours direct et experts conseils d'assurance qui, sur leurs rapports d'expertise, s'offrent souvent le luxe de zapper - eux aussi - le contradictoire...
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Pas si infaillible, le recours direct ? En tout cas, plusieurs parties adverses, assignées au tribunal par le cabinet Taverriti, basé à Forbach et parangon de cette procédure visant à obtenir le juste dédommagement d’assurés victimes de sinistres non responsables, semblent avoir trouvé la parade pour éviter de payer. Enfin, pas tout seuls : avec le soutien d’une bonne vieille jurisprudence, pas si vieille que ça en réalité puisque datant de 2012. D’un arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2012, plus précisément. Cette même Cour de cassation a récemment retoqué l’un des dossiers traités par le cabinet Taverriti, débouté dans un premier temps par une juridiction de proximité. L’argument des juges ? L’absence d’expertise contradictoire.

Pour justifier leur décision, ils se sont basés sur le fameux arrêt en question. Un arrêt que la Chambre mixte du 28 septembre 2012 avait prononcé pour débouter l’assureur d’une automobiliste dont la voiture avait subi un incendie. Suite à une expertise ayant conclu à un défaut de câblage du circuit électrique du véhicule, l’assureur avait assigné le constructeur et son assureur responsabilité civile pour obtenir le dédommagement du sinistre. La Cour d’appel de Paris, saisie naturellement la première, ayant rejeté la plainte pour cause d’absence d’expertise contradictoire, les plaignants se sont donc pourvus en cassation.

À double tranchant…

Et la Chambre mixte n’a fait que confirmer le jugement en ces termes : «en application du principe de la contradiction ou de celui de l’égalité des armes, si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d’une des parties». Un argument opposé, cette fois, au cabinet Taverriti. «Selon la Cour de cassation, je dois inviter la partie adverse à une expertise contradictoire, explique Yan Taverriti, patron du cabinet. Pourtant, jusqu’ici, les juges reconnaissaient, selon leur formule, que "bien que réalisés non contradictoirement, le rapport d’expertise a été soumis à la libre discussion des parties", ce qui leur suffisait à juger en notre faveur. »

Ainsi, l’expert se retrouve donc en difficulté et a vu, depuis le mois de novembre, une bonne dizaine de dossiers en recours direct déboutés. Pourtant, aucune loi n’oblige à procéder à une expertise contradictoire, d’autant que la pratique du recours direct passe d’abord par une tentative de règlement à l’amiable avec le responsable du sinistre et son assurance. «Procéder à une expertise contradictoire demande un délai avant de procéder aux réparations, déplore Yan Taverriti. Il faut convoquer la partie adverse, fixer une date qui convienne à mon client ainsi qu’à l’assuré responsable et à son expert. Et je connais bon nombre de carrossiers qui se sont plaint après des expertises contradictoires car la réparation met plus de temps à démarrer…»

À mauvaise nouvelle pour les uns, bonne nouvelle pour les autres ? Devant cette information, les assurances des parties adverses seront peut-être tentées de ne pas accepter les tentatives de règlement à l’amiable et d’attendre sagement la tenue de l’audience pour jouer la montre et, pourquoi pas, obtenir un jugement en leur faveur. «Il y a deux poids, deux mesures, dénonce Yan Taverriti. Les experts conseils des assurances ne se gênent pas, eux, pour procéder à des expertises simples, sans contradictoire !»

Cependant, ces derniers pourraient ne pas l’emporter aussi vite au Paradis des assureurs, car rien n’empêche les assurés lésés par leurs rapports d’expertise de demander, à leur tour, une expertise contradictoire. Et à ce petit jeu, les assureurs pourraient bien être perdants. «Il faut encourager les assurés et les réparateurs à toujours contester les rapports des experts conseils d’assurance, insiste Yan Taverriti. Et qu’ils réclament eux aussi une expertise contradictoire : le coût deviendrait alors trop important pour l’assurance et deviendrait alors contre-productif. » donc, plus si rentable....

Romain Thirion
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