SNDEA (suite) : le « coup de gueule » de l’expert Jacques Cornut

Jérémie Morvan
Vous êtes déjà près de 3 000 en moins de 3 jours  à avoir lu le courrier de Jacques Cornut, le président du jeune syndicat d'expert SNDEA, que nous mettions en ligne mercredi. Sa demande au retour du respect des textes professionnels et des hommes (experts comme carrossiers), ainsi qu’à l’indépendance de sa profession suscite diverses réactions...
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Il ne fait décidément plus bon être expert automobile. Hier autorité en matière de réparation-collision, il n’est plus aujourd’hui le «conducteur de la locomotive, ni même le chef de gare», estime Jacques Cornut, président du jeune syndicat Syndicat National Des Experts en Automobile (SNDEA) dans une lettre adressée à tous les assureurs, compagnies ou mutuelles et que nous publiions en milieu de semaine.Intitulée «Indécence ou vérité», cette lettre ouverte est selon les propres termes de Jacques Cornut un «coup de gueule» face aux pratiques des donneurs d’ordres, lesquels ne cessent de pressurer les experts (après les carrossiers) pour qu’ils limitent toujours un peu plus le coût sinistre moyen. Avec son lot d’inévitables conséquences. Cette lettre est en fait le fruit d’un déjà long processus : «Depuis des années je tire la sonnette d’alarme auprès de nos organisations syndicales pour leur dire qu’il ne faut plus subir les injonctions des donneurs d’ordres qui jouent avec nos cabinets au jeu de la chaise musicale». En vain. EAD, grilles d’honoraires imposées unilatéralement, quotas de toutes sortes… trop c’est trop pour le président du SNDEA, qui s’est «décidé à écrire aux assureurs puisque personne d’autre ne veut le faire»!
Des donneurs d’ordre omnipotents
A travers cette lettre, Jacques Cornut décrit la journée type d’un expert en automobile ; et à travers elle, l’inquiétante évolution de son métier. En effet, si son auteur ne remet nullement en cause une évolution naturelle de l’expertise auto, imposée par les innovations technologiques des véhicules comme des process de réparation, c’est davantage le changement du contexte dans lequel la gestion du sinistre est effectuée que Jacques Cornut pointe du doigt. «Ce qui a changé, écrit-il, c’est que l’assureur ne confie plus ses missions sans donner d’ordre, de plus il fixe des objectifs». Le président du SNDEA précise : «les objectifs sont simples, le coût sinistre doit être, non pas le plus juste, mais le plus bas». On le voit : l’expert est aujourd’hui devenu un "simple chiffreur", obnubilé désormais par les statistiques du coût moyen qui lui parviennent de plus en plus fréquemment. Et de conclure : «cela s’appelle de l’immixtion»…Car bien évidemment, à chercher en permanence le moindre coût, on en oublie forcément assez vite le sens premier de sa mission : «faire que l’assuré sinistré soit replacé dans la situation dans laquelle il se trouvait avant l’acte dommageable», rappelle Jacques Cornut.Or, pour ne pas dépasser ces coûts, il faut parfois s’affranchir de quelques vérifications liées à la sécurité même du véhicule : «La roue avant gauche se trouve dans la zone de choc, mais visuellement l’expert est convaincu qu’il n’y a rien. Il met ses doigts entre le pneu et le passage de roue, n’observe pas de différence : on commence à négliger les règles de l’art, voire celles de la sécurité, car l’expert n’accordera donc pas le contrôle de la géométrie ; il poursuivra son relevé et tentera de tirer au plus bas les temps de redressage, accordera des raccords noyés en peinture.» Et de préciser, au passage, que «le dialogue avec le maître de l’ouvrage (NdlR : le carrossier) sera tendu»… Car à cet aspect matériel s’ajoute également une composante humaine : l’expert, estime-t-il, est aujourd’hui en manque de reconnaissance. Le président du SNDEA s’alarme en effet du manque de considération pour sa profession, corollaire à une indépendance du métier de moins en moins effective sur le terrain. Et ces contraintes quotidiennement subies, ces menaces à peine voilées mènent tout droit à un déficit de passion qui doit animer chacun des experts. Par ailleurs, Jacques Cornut n’en oublie pas pour autant les carrossiers qui eux aussi, subissent la loi des donneurs d’ordres (voir nos différents articles sur le sujet).
Le bâton… sans la carotte
Nul doute que ces dérives ne sont pas ressenties par le seul président du SNDEA ; mais la situation fait qu’aujourd’hui trop peu nombreux sont les experts –et encore moins les organismes professionnels– à s’en inquiéter ouvertement. A l’instar des carrosseries ayant mis un doigt dans les agréments, les cabinets d’expertise sont devenus dépendants économiquement des assurances, compagnies et autres mutuelles (voir à ce titre notre récente enquête «Expertise automobile : l’impossible équilibre ?» dans le n°83 d’Après-Vente-Auto).Les donneurs d'ordres le savent ; les donneurs d’ordres en jouent. Attaché davantage aux résultats fixés par ces derniers plutôt qu'à la qualité du travail, l’expert vit dorénavant dans une angoisse permanente, se demandant sans cesse s’il ne va pas subir des abattements sur ses honoraires si les quotas ne sont pas atteints, si son secteur d’attribution ne va pas être redéfini à la baisse… lorsque qu’il n’est pas purement et simplement supprimé !Jacques Cornut appelle donc à ce que les règles changent, non seulement parce que le chemin pris par les donneurs d’ordres risque bien d’entraîner la fermeture de nombreux cabinets d’expertise et conduire à la destruction de plusieurs milliers d’emplois ; ensuite, parce que si l’on ne redonne ni passion ni considération au tandem expert-réparateurs, le résultat se fera «au détriment des assurés, estime-t-il, car en imposant des tarifs de plus ne plus bas […], certains professionnels n’exerceront plus "leur art" et feront tout simplement un travail au prix imposé, sans le respect de certaines règles ou préconisations, ni même de la sécurité».
Réactions lecteurs: les "pour" et les "contre"…
Cette lettre a certes été envoyée très récemment, mais le thème suscite déjà des commentaires postées sur notre site internet dès la mise en ligne de ces deux documents : il y a les "pour" et les "contre".A l'heure où nous bouclions ces lignes, les premiers témoignages étaient venus applaudir bien fort le fait que Jacques Cornut ait dit tout haut ce que l’ensemble de la profession pense depuis longtemps tout bas, en pointant du doigt des organisations syndicales qui n’ont visiblement pas su les défendre face aux attaques répétées des donneurs d’ordres. "Dufa" considère en effet que «l’initiative du SNDEA est louable : elle essaye d’enrayer le servage mis en place par les assureurs depuis bientôt dix ans. […] Cela a commencé par des tarifications d’honoraires, puis l’EAD et ensuite, avec la complicité de certains experts-conseil, la baisse progressive et annuelle de leurs bénéfices mettant en péril leurs cabinets. Les organisations professionnelles pratiquaient la politique des 3 singes: je ne vois pas, je n’entends rien, je ne dis rien. Les responsables des syndicats étaient devenus autistes.»"Paul" s’enthousiasme : «voilà donc enfin une percée syndicale», écrit-il. Pour "David", «le SNDEA ose enfin faire le boulot de l’ANEA et alerter les pouvoirs publics et le grand public de ce qui se passe dans la réparation automobile depuis tant d’années». Il ajoute d’ailleurs qu’experts et réparateurs se retrouvent dans le même bateau face aux donneurs d’ordres : «Il va falloir faire front commun avec les réparateurs pour obtenir gain de cause mais ça ne sera pas facile car les financiers-assureurs ne vont pas se laisser faire.»Un des commentaires a fait preuve de plus de réserve. "Jean Sébastien" estime ainsi que «le SNDEA communique et se fait mousser pour avoir enfoncé des portes ouvertes ! C’est facile d’envoyer des courriers à la terre entière uniquement pour faire croire à une pseudo-action et tenter de collecter quelques cotisations de plus. Bien sûr l’ANEA ne communique pas assez "ouvertement" mais l’intelligence d’une action est-elle subordonnée à des coups d’éclats qui ont l’effet d’un feu de paille .Toutefois, il ne s’agit visiblement pas d’un "pro-ANEA" non plus : «J’ai aussi des réserves sur l’efficacité de l’action de l’ANEA. Il ne faut jamais oublier qu’une discussion se fait à 2», avant d’ajouter «si les assureurs accordent de l’importance au courrier du SNDEA, ce serait faire aveu de culpabilité et ce n’est pas dans leurs habitudes, je crois».Viennent ensuite les "contre", qui ne sont pas tendres avec l'initiative de Jacques Cornut.«D'une autre époque», s'insurge ainsi "Hall Samuel". «J’ai lu avec intérêt les propos de ces deux courriers. Je me suis longuement interrogé sur l’utilité de réagir mais j’ai ressenti le besoin profond de vous faire partager mon indignation face aux comportements de certains de mes confrères. La rédaction de ces correspondances est pour moi ringarde et surtout très poujadiste». Puis il prend la défense de l'ANEA: «Le dialogue constructif mené par l’ANEA avec les assureurs va dans un sens intéressant puisqu’il tend à démontrer la vraie force de la profession et sa capacité à évoluer sans remettre en cause les fondements de notre métier»Je n’imagine pas un instant que ce genre de réaction puisse porter ses fruits et ne génère autre chose que des rires de la part des assureurs!! La vraie discussion et les vrais échanges reposent sur la confiance réciproque», revient dire "Jean Sébastien" qui, s'il ne prend pas la défense de l'ANEA, n'épargne pas le SNDEA : «Les gesticulations du SNDEA peuvent rassurer des experts incrédules. Mais la vraie négociation avec les assureurs ne se fait pas sur la place publique. Pour faire cela, il faut argumenter techniquement, convaincre et donner des perspectives, donc juste le contraire de l’action du SNDEA!!»Comme on le voit, les positions des uns comme des autres sont aussi tranchées que tranchantes. A suivre...
Jérémie Morvan
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