Recours direct : et si le contradictoire se retournait contre les assureurs ?

Romain Thirion
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Alors que nos récents articles sur la “jurisprudence” de la Cour de Cassation ont pu laisser croire, à tort, que la pratique de l’expertise contradictoire serait obligatoire dans le cadre d’un dossier de recours en droit commun, il y a des experts pratiquant le recours qui jugent que le contradictoire pourrait finalement avoir un effet boomerang… pour les assureurs ! Ali Amir, patron du cabinet Auto Conseil Expertise, en Meurthe-et-Moselle, est de ceux-là. Son point de vue est intéressant…
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lecteur 110Nous faire l’avocat du diable fait aussi partie de l’ADN de notre site internet. Et même s’il nous arrive plus souvent de défendre l’opprimé que l’oppresseur, d’aucuns pourraient voir dans cet article une forme de licence envers un sujet qui agite le petit monde des experts pratiquant le recours direct : l’expertise contradictoire. Plus précisément, l’expertise contradictoire entre l’expert choisi par l’assuré victime de sinistre non-responsable et l’expert mandaté par l’assureur de l’automobiliste responsable et assigné en recours en droit commun.
Recours direct : le paradoxe contrariant du contradictoire
Jusqu’ici, et encore aujourd’hui, le seul rapport d’expertise contradictoire est celui réalisé entre l’expert diplômé et reconnu par la liste nationale des experts en automobile, et le réparateur. Or l’arrêt du 28 septembre 2012 de la Cour de Cassation a été abusivement interprété par différentes juridictions –de proximité, tribunaux d’instance et de grande instance, Cour d’Appel– pour permettre d'exiger également qu’une expertise contradictoire soit pratiquée dans le cadre d’une procédure de recours direct. Une «jurisprudence» qui, évidemment, fait parfaitement l’affaire des assureurs qui cherchent logiquement à endiguer le développement du recours direct. En outre… ce sont peut-être eux qui ont le plus à craindre de ses conséquences.Ainsi, Ali Amir, expert en automobile à Mont-Saint-Martin, dans le nord de la Meurthe-et-Moselle, et gérant de son propre cabinet, Auto Conseil Expertise, se félicite-t-il de cette jurisprudence. Pourtant, lui-même pratique le recours direct. Une position antinomique ? Pas si l’on en croit le professionnel, inscrit sur la liste nationale des experts en automobile. «Que l’expertise contradictoire devienne obligatoire rendrait illégales 100%, ou presque, des expertises réalisées au profit des assureurs. Car aucune, ou presque, n’est soumise à contre-expertise, défend-il. Si une telle décision était généralisée, cela permettrait de remettre l’église au milieu du village.»
Répartition équitable
Un raisonnement absurde ? Comment, alors que l’on défend ardemment la pratique du recours direct, défendre également l’obligation de principe de l’expertise contradictoire entre deux experts, celui de l’assuré victime et celui mandé par l’assurance de l’assuré responsable ? Tout simplement parce que cela déshabille Paul l’assureur pour habiller Jacques l’expert. Un Jacques représentant, pour le coup, une plus grande majorité d’experts que les seuls assureurs n’en ont sous leur coupe. «Cela signifierait que les experts conseils d’assureurs, qui font jusqu’à 30 expertises "simples" par jour, ne pourraient tout simplement plus en faire ! poursuit Ali Amir. C’est totalement impossible de réaliser autant de rapports quotidiens s’il devient obligatoire de les pratiquer en contradictoire avec l’expert mandaté par la partie lésée.» En d’autres termes, selon l’expert, «cette obligation permettra de répartir les rapports d’expertise entre tous les cabinets, y compris ceux exclus du système par la suppression des agréments d’assurances».L’agrément, d’ailleurs, est pour l’expert lorrain un abus de langage de la part des assureurs qui, à travers lui, laissent croire qu’un expert “non agréé” par une compagnie d’assurance n’aurait pas le droit de pratiquer son métier et d’être mandé par un particulier, quel qu’il soit. «Le seul agrément auquel l’expert est tenu pour pouvoir exercer est celui du ministère des Transports, réaffirme-t-il. L’agrément d’une assurance n’a rien d’un agrément mais n’est autre, en réalité, qu’un accord commercial signé entre deux entreprises commerciales, un accord donnant-donnant reposant sur la notion d’apport d’affaires. Il faudrait interdire l’usage de ce terme galvaudé.» Voilà qui remettrait, d’une autre manière, un soupçon d’égalité entre les experts disposant d’un accord commercial avec un ou plusieurs assureurs, et les autres, ceux qui osent évoluer dans une réelle liberté d’action.
Romain Thirion
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