ANALYSE – Pièce de réemploi: quand la Sferen trace un avenir contraignant…

Jean-Marc Pierret
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Dans cette note sur la PRE (Pièce de réemploi) à ses experts et réparateurs, la Sferen (Maif et Matmut) cherche globalement à les faire convivialement adhérer à la préconisation de la pièce d’occasion. Mais déjà, deci-delà, affleure la ferme volonté de passer à l’avenir de la préconisation à l’obligation…
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lecteur 110S’il fallait une autre preuve que le marché de la PRE (Pièce de réemploi) arrive à maturité, c’est sûrement cette note de la Sferen sur le sujet. En amont, ce sont les efforts des recycleurs pour structurer l’offre qui paient (voir «Pièces de réemploi : un avenir radieux !»). En aval donc, cette note envoyée à ses experts trace délicatement les contours de l’entrée de ces pièces à ± moitié prix dans l’univers de la réparation-collision, même si «elles ne sont envisageables, précise la Sferen, qu’à 60% maxi du prix du neuf». Autre limite à leur préconisation : seuls les assurés propriétaires de voitures «de plus de 4 ans» doivent être sensibilisés, sauf dans le cas où «le constructeur ne serait pas en capacité (ou plus en mesure dans un délai raisonnable) de fournir la (les) pièce(s)». S’agit-il d’un accord tacite de “non-concurrence” avec les constructeurs et leur offre ? L’argument qui explique cette sélectivité –il s’agirait «de ne pas “alerter” une majorité sur la PRE»- paraît bien faible…
Recherche d’adhésion du réparateur et de l’expert
Mais revenons à l’impression générale qui se dégage de cette note. Ici donc, point de ton comminatoire : on veut visiblement privilégier l’adhésion consentie. La Sferen veut de toute évidence instaurer une ambiance générale conviviale où prime la sensibilisation feutrée. Elle parle tout d’abord de la nécessaire réceptivité du réparateur avec des mots qui lui feront plaisir : «Le réparateur est l’acteur privilégié pour l’incitation au montage de la PRE. Il dispose de la confiance de son client et peut s’engager sur la qualité de la réparation. Il est souvent le seul à rencontrer notre assuré lors d’un sinistre. Pour cela, il doit être totalement convaincu par l’intérêt de l’usage de la PRE pour la valoriser», rappelle, tout miel, la Sferen à “son” expert.Elle présente ensuite deux outils didactiques chargés d’encourager le consentement de l’assuré comme du réparateur : une «argumentation PRE en 6 questions» (voir annexe 1 du document téléchargeable ci-dessus) qui permet d’argumenter face aux logiques réserves que le consommateur peut avoir par rapport à une pièce neuve (qualité, durabilité, aspect, garantie, sécurité, etc.). Puis vient une fiche «d’éléments de langage» à destination du réparateur et de l’expert qui synthétise le discours et permet là encore d’évacuer toute réserve non-fondée sur l’emploi de PRE (annexe 2 du même document).La Sferen poursuit sur le même ton prudent et respectueux : cette PRE, «Il ne s’agit pas de l’imposer, mais de veiller à trouver le meilleur compromis pour favoriser une réparation de qualité rapide, rémunératrice et concurrentielle au service des assurés de la Maif et de la Matmut». Mais déjà, la Sferen évoque une première fois l’engagement : «Nous souhaitons que le réparateur et l’expert s’engagent à promouvoir […] l’utilisation de la PRE soit directement au moment de la réception du client ou au plus tard lors de l’expertise contradictoire [et] à utiliser la PRE, en priorité, pour éviter la mise en perte totale des véhicules anciens et tout particulièrement pour ceux des assurés dont la préoccupation première est de conserver leur auto». Le tout bien sûr avec une «qualité de la réparation qui doit être équivalente à la réparation avec une pièce neuve».A ce stade, la Sferen rappelle au réparateur quelques arguments technico-commerciaux à délivrer à l’assuré, qui correspondent au contenu des annexes 1 et 2 déjà citées. Si le consommateur refuse, le réparateur doit le noter sur l’OR, en informer l’expert et savoir que «La piste PRE sera dans ce cas abandonnée sans aucune tentative complémentaire de prescription».
Pièce de réemploi: de l'adhésion à l'obligation
C’est à partir de ce point du document que la ferme volonté de la Sferen affleure un peu plus en surface, au détour de plusieurs chapitres. Le premier indice fort apparaît au «§3/ Recherche de pièces/disponibilité PRE». Certes, «le réparateur […] reste décideur de sa source d’approvisionnement». Mais cela dit, si le réparateur n’a pas bougé en matière de PRE, «expert et réparateur peuvent s’associer lors de l’expertise pour faire les vérifications». Voire l’expert seul : «il peut concourir, de son côté, à optimiser le temps de recherche en mettant en œuvre ses propres moyens». Pas de coercition en apparence : il doit limiter son intervention «à une posture de facilitateur pour le réparateur». Reste à savoir comment ces consignes tout en rondeur seront comprises et appliquées par un expert voulant se faire bien voir de la Sferen et un réparateur voulant en rester l’agréé fidèle. Parfois, suggérer suffit à susciter de grandes disciplines...Même petite hypocrisie, moins subtile toutefois, sur la liberté des sources d’approvisionnement (§4). Après avoir rappelé que les MAIF et Matmut ont référencé des fournisseurs de PRE, la Sferen souligne que «il est ici rappelé que le réparateur est libre d’effectuer la recherche de la disponibilité ainsi que sa commande des pièces chez le fournisseur de son choix». Mais elle pose quand même une condition qui ne souffre plus de contradiction : «Avant de conclure sur une indisponibilité des pièces, le réparateur aura pris soin de consulter le recycleur VHU agréé par les Mutuelles dans son secteur.»Mêmes exigences à peine dissimulées dans le «§5/Prévenance et accord de l’assuré». On commence là encore sur le ton convivial : «le réparateur pourra, lorsque le propriétaire manifestera un intérêt immédiat, enrichir son OR d’une mention spécifique avec signature matérialisant l’accord pour la PRE et indiquant clairement que “l’assuré accepte l’utilisation de pièces de réemploi pour la remise en état de son présent sinistre décrit sur OR”». Mais la procédure devient très vite plus contraignante : «Au cas où le réparateur n’aurait initié aucune démarche, il est entendu que le réparateur et l’expert organiseront, après vérification de la disponibilité, la méthode à employer pour obtenir sur le champ ou, au plus tard sous 24 h, l’accord de l’assuré».La Sferen envisage alors une 3ème option qui cette fois prévoit la «Démarche unilatérale de l’expert» avec deux cas de figure:
  1. si le réparateur est déjà désigné : «l’expert prendra en charge la pré-sensibilisation de l’assuré et pourra lui faire signer, sur le PV contradictoire, un accord de principe PRE» lorsque son adhésion au sujet est immédiat. Dans la foulée, si l’assuré donne son accord, «l’expert prendra contact immédiatement avec ledit réparateur pour lui présenter la situation, obtenir son accord de pose de PRE et lui demander de vérifier la disponibilité et d’assurer le relais sur la prévenance avec un retour sous 24 h auprès de lui».
  2. Le réparateur n’est pas désigné et l’assuré est indécis sur le lieu de mise en réparation : «l’expert déposera son rapport en estimation et proposera à l’assuré, lorsque la situation le permet, le recours à la PRE».
Et pas question de passer outre. La Sferen le précise clairement : «Quelle que soit la solution retenue, le rapport d’expertise final devra indiquer clairement "accord de l’assuré sur utilisation de PRE obtenue par Mr X qualité Y en date du 00/00/00"».
Et si la Sferen donnait des contreparties ?
Pour l'heure, les experts remontent déjà des statistiques sur l'emploi des PRE à la demande de plusieurs assureurs. L'avenir dira si cette simple demande d'information deviendra ou non un critère discriminant dans l'appréciation de leur “autodiscipline” (et dans celle des réparateurs), comme tant d'autres statistiques initialement anodines le sont déjà devenues.En attendant, on peut déjà regretter plusieurs choses dans la présente note. La première concerne le consommateur : la Sferen précise certes, dans son annexe 1, que l’emploi de ces PRE permet «de participer directement à la bonne maîtrise dans le temps des primes d’assurances de sa Mutuelle». Mais elle se garde bien de proposer ce qui existe déjà sur certains marchés anglo-saxons : une réduction de prime, même symbolique, en échange de cet effort. Certes, l'utilisation de la PRE est naissante ici : c’est sûrement pour plus tard…Ce qu’en revanche on peut regretter dès maintenant, c’est l’absence de toute précision, à l’attention du carrossier, sur la prise en compte de certaines spécificités liées à l’emploi de PRE qui s’imposent à lui : le temps supplémentaire en préparation d’une pièce de réemploi (ponçage de la peinture originelle, traitement des défauts…) ou en recherche de la pièce,  des accessoires et autres petites fournitures souvent livrés avec la pièce neuve mais souvent absents de la PRE. Cela n’exclut bien sûr pas que l’expert en tienne compte au coup par coup ; mais dans “les éléments de langage” destinés aux réparateurs, un petit signe plus formel des assureurs sur le sujet aurait été le bienvenu. Il y a des oublis qui n'augurent rien de bon…
Jean-Marc Pierret
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