<Strong>Prospective</strong> – Libre choix: et si les assureurs encourageaient l’expertise à domicile ?

Romain Thirion
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Des réparateurs nous ont rapporté que certains de leurs clients avaient été enjoints par leur assureur à garder leur véhicule chez eux suite à sinistre, afin de l'y faire directement expertiser. Ou à l'amener au cabinet de l'expert. Si cela s'avère, il est légitime de se demander si cette nouvelle tentative de contournement du libre choix du réparateur ne risque pas d'être "la bonne" pour les compagnies d'assurances : celle qui les remettrait "enfin" (ou plutôt déjà !) dans le "droit chemin" de la maîtrise du coût de sinistre...
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Une info venue de nos lecteurs-correspondants!L'EAD aurait-elle une nouvelle traduction : expertise à domicile ? Si l'on en croit certains de nos lecteurs réparateurs, au moins une compagnie d'assurance irait jusqu'à donner le conseil à ses clients automobilistes fraîchement sinistrés de ne pas amener tout de suite leur véhicule accidenté chez le carrossier, mais de le conserver chez eux ou de l'amener directement au cabinet d'un expert tout désigné. Ainsi, l'assureur garderait une meilleure visibilité des coûts de réparation à venir, sans oublier les frais et les honoraires de l'expert, choisi par ses soins. Si tel était le cas, il s'agirait -une fois de plus- d'une tentative camouflée pour dénier à l'assuré son libre choix du réparateur.Sans toutefois crier au loup avant d'avoir pu constater de visu son existence (d'autant que le "conseil" de l'assureur ne serait visiblement transmis au client qu'oralement lorsqu'il entre en contact avec le gestionnaire du sinistre), les différents responsables des fédérations professionnelles ne s'étonnent pas d'une telle initiative. "Pour l'instant, je n'ai pas eu de remontées terrain de ce type d'ordre donné par un assureur, reconnaît un prudent Yves Levaillant, président de la branche carrossiers du CNPA. Mais il est sûr que cela porterait un sérieux coup au libre choix."
Mépris de la sécurité
Patrick Nardou, président de la FFC-Réparateurs, reconnaît également ignorer l'existence d'une telle directive, mais assure "ne pas en être surpris". "Nous nous sommes quand même entendu dire par certains professionnels de l'expertise automobile que le rapport d'expertise chez le dépositaire n'était qu'une "pratique" et non une obligation, alors à partir de là, toutes les dérives sont permises, regrette-t-il. Nous savons déjà que nous aurons à lutter contre d'autres atteintes au libre choix dans les prochains mois..." Que la consigne ait bien été donnée ou non aux assurés concernés, la méthode a de quoi contrarier -le mot est (volontairement) faible- tous les professionnels de la réparation-collision, du réparateur à l'agent général d'assurance en passant par l'expert, bien sûr, pour qui l'intérêt du client et la sécurité routière passent avant tout.Comment, en effet, une expertise à domicile pourrait évaluer précisément les dommages subis par le véhicule si ceux-ci ne se limitent pas à quelques pièces de robe ? Dès lors qu'un organe mécanique est touché, l'examen du véhicule dans un atelier digne de ce nom, équipé comme il se doit, semble pourtant s'imposer, par simple mesure de sécurité...Mais promettre au client d'expertiser son véhicule directement a plusieurs avantages pour l'assureur. D'abord, donner l'impression à l'assuré de lui fournir un service personnalisé, sans même qu'il n'ait à bouger de chez lui. Une sorte d'extension du fameux service à domicile, dont beaucoup de réparateurs se plaignent pour devoir le fournir à bas prix, voire gratuitement. Sauf que, cette fois, c'est l'expert qui se trouve au cœur de ce SAD de l'expertise. De là à ce que, lui aussi, doive consentir à ne pas être dédommagé de ses frais de déplacement jusque chez le client, il n'y a qu'un pas.
Exit le contradictoire
Ce faisant, l'assureur s'offrirait aussi le luxe de se passer d'expertise contradictoire avec le dépositaire du véhicule... alors que le contradictoire est l'un des points clefs de la charte experts-réparateurs. De l'art de diviser pour mieux régner... Mais alors, comment déterminer le tarif horaire sur la base duquel effectuer le chiffrage ?Car, jusqu'à preuve du contraire, aucun T1, T2, T3, tarifs peinture et ingrédients n'est affiché dans le garage de l'assuré. S'il a, toutefois, la place pour en avoir un. Voilà peut-être l'un des premiers obstacles à cette logique d'expertise à domicile, selon Karim Megrous, expert indépendant établi à Mandelieu-la-Napoule et fervent pratiquant du recours direct. "Si l'expertise n'est pas faite chez un professionnel de la réparation, l'expert doit demander à l'assuré dans quelle carrosserie il veut faire réparer son véhicule et se baser, ensuite, sur les tarifs horaires du réparateur choisi par celui-ci pour effectuer son chiffrage, assure le gérant du cabinet AAME. Et il ne peut délibérément orienter l'assuré vers un atelier désigné sous peine de se mettre dans l'illégalité."Mais Patrick Nardou ne pense pas que cela suffise à en faire un obstacle pour l'assureur déterminé à contourner le libre choix. "Rien n'empêchera ensuite l'expert, conformément aux instructions de l'assureur qui l'a mandaté, d'estimer le coût global de la facture trop élevé et d'encourager l'assuré à faire jouer la concurrence locale, juge-t-il. Et l'assureur n'aura pas trop de mal à lui proposer des ateliers agréés dont les tarifs horaires sont moins élevés..." Néanmoins, le président de la FFC-Réparateurs estime que les experts, y compris les experts conseils, ne seront pas forcément d'accord pour aller faire des expertises chez le client. "Je les vois mal partir avec tous leurs dossiers de la journée sous le bras et faire du porte-à-porte comme des facteurs", ajoute-t-il.Bien que souvent présent sur le terrain auprès des adhérents de l'organisation professionnelle, Patrick Nardou estime que les propositions d'expertise à domicile ne sont peut-être que des initiatives locales en phase de test. Sinon ce type de pratiques aurait déjà été relevé par davantage de professionnels. Et de clients. Un avis que partage Yves Levaillant. "Certaines compagnies d'assurance laissent beaucoup de latitude à leurs directeurs régionaux, souligne-t-il. Ceux-ci disposent d'une certaine indépendance dont ils ont pu user pour mettre à l'essai ce genre de démarche."Bien entendu, les témoignages de nos lecteurs sont les bienvenus si, dans leur région ou ailleurs, ils ont eu affaire à des clients -voire des gestionnaires de sinistres- qui préconisent ce genre de "geste commercial"... Le cas échéant, nous ne manquerons pas d'explorer plus avant cette tendance. Et ses dérives...
Romain Thirion
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