Cession de créance ou subrogation : la délicate question du « client »

Romain Thirion
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Que le réparateur propose la subrogation ou la cession de créance, les moyens de pression de l’assureur sur l'assuré ne disparaissent pas pour autant. Afin de dissuader son client d’exercer son droit au libre choix ou de retarder l’indemnisation, l’assureur peut encore jouer sur la réalité du montant concerné. Sinistre prise en charge ou non ? Franchise à jour ? Vétusté du véhicule ? Autant d’informations qu’il n’est pas obligé de fournir directement au carrossier qui se retrouve alors dans l’obligation de les demander au client… qui, lui, se retrouve avec bien plus de responsabilités que prévu !
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Comme nous l’annoncions la semaine dernière, la FNAA a choisi de se battre pour la subrogation de l’assuré dans son droit à l’indemnisation, via un simple courrier en recommandé avec accusé de réception (RAR) envoyé à l’assureur, et milite auprès des sénateurs pour l’adoption d’un amendement en ce sens au sein de la loi "Macron". Une initiative qui n’est pas du goût du CNPA qui, lui, préfère œuvrer à la suppression «de la signification par exploit d’huissier de la cession de créance [afin] de la rendre opposable par simple notification par RAR».Si l’objectif commun est somme toute le même, c’est-à-dire obtenir un règlement direct de l’assureur vers le réparateur afin d’éviter à l’automobiliste de devoir avancer les frais de réparation, le CNPA reproche à la seule subrogation de ne pas faire du réparateur le propriétaire effectif de la créance à la place de l’assuré. Et déplore que cette subrogation puisse fragiliser la trésorerie des réparateurs, suspendus aux délais de paiement parfois flottants des assureurs.
Dur exercice du libre choix…
Mais au-delà du réparateur, dont les fédérations professionnelles (FNAA, CNPA et FFC-Réparateurs, voir «Jean Pais, héraut de la cession de créance et du nantissement») disposent des outils nécessaires au bon usage de la subrogation comme de la cession de créance, c’est bien l’assuré qui se retrouve dans une position inédite au moment de choisir librement son carrossier. Et de se faire subroger dans son droit à l’indemnisation ou de céder sa créance au professionnel de son choix. Car quelle que soit l’option choisie, l’assureur dispose encore de moyens de dissuasion envers son client.L’exercice du droit au libre choix s’avèrerait-il plus compliqué que prévu pour ce dernier ? Les compagnies d’assurance –certaines d’entre elles, en tout cas– pourraient être tentées de mettre volontairement de nouvelles responsabilités entre les mains des clients qui souhaiteraient exercer leur bon droit. Des responsabilités qui existaient depuis longtemps mais dont l’assuré était généralement déchargé par le truchement des conventions d’agrément entre assureurs et réparateurs. En l’occurrence, celle de fournir les informations relatives au montant de l’indemnisation.Le CNPA l’a d’ailleurs justement fait remarquer dans son communiqué dubitatif après celui de la FNAA. «Le CNPA ne peut soutenir un dispositif qui consisterait à fragiliser encore les entreprises de réparation dans le cadre d’une simple lettre de subrogation : quid des clients non à jour de leurs primes d’assurance et insolvables ou ne voulant pas payer ? Quid des réparations non couvertes en garanties par le contrat d’assurance ?», peut-on y lire. En effet, afin de justifier du montant qu’elle indemnisera, l’assurance fournissait jusqu’ici aux réparateurs agréés toute information susceptible d’impacter le montant de la réparation : prise en charge du sinistre, défaut de paiement de franchise, degré de vétusté du véhicule…
En demander le moins possible au client
Mais, subrogation ou cession de créance, le problème est en fait le même. Face à un automobiliste qui, en plus d’exercer son libre choix, oserait se faire subroger ou aurait le toupet de céder sa créance à son carrossier, il se murmure déjà que les assureurs pourraient donc continuer sciemment à ne pas délivrer directement lesdites informations aux réparateurs non-agréés. Si la fourniture de ces informations à l’assuré reste, toutefois, obligatoire, l’assureur pourrait également refuser de payer tant que l’assuré n’a pas fait la demande desdites informations et qu’il ne les a pas transmises à son réparateur… Chose dont il n’a, évidemment, pas l’habitude en tant que consommateur pris en charge. l’assuré, lui, risque de se voir désagréablement surpris par cette position d’intermédiaire, de passe-plat entre assureur et réparateur auquel il n’a nullement été habitué, lui qui était, jusqu’ici, mis dans une confortable position de passivité par son assureur, devenu fournisseur de mirifiques services au fil des décennies.Quant au réparateur librement choisi par son client, il se verrait obligé de lui demander –et rapidement, trésorerie oblige– les fameuses informations pour pouvoir justifier du montant de l’indemnisation dont ils bénéficieront.De quoi évidemment passer le goût à bon nombre d’assurés de faire le libre choix de leur réparateur… Et comme il est convenu qu’en auto, moins on en demande à son client, mieux il se porte, il y a fort à parier que les compagnies d’assurance ne se priveront pas de jouer de ce détail dissuasif à l’encontre d’un libre choix qu’elles abhorrent. Alors que l’esprit de la loi "Hamon" était de rendre sa liberté à l’assuré, voilà qu’il pourrait être, paradoxalement, enferré dans cette liberté. Mais que l’on ne s’y trompe pas : le geôlier reste bel et bien le même.
Romain Thirion
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