L’énorme escroquerie des VGE devenus… VO !

Romain Thirion
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Révélée par nos confrères du Parisien ce mercredi 8 juillet, une escroquerie impliquant experts en automobiles et réparateurs d’Île-de-France et du Loiret aurait, au cours des trois dernières années, vu remettre sur le marché du VO plus de 5 000 véhicules classés VGE ! Des véhicules qui continuent actuellement de rouler dans des conditions de sécurité routière impropres à la circulation.
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Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’expertise automobile. Quelque chose qui a poussé plusieurs experts franciliens à produire 5 038 faux rapports de conformité au profit de réparateurs escrocs qui ont revendu sur le marché de l’occasion, durant ces trois dernières années au moins, quelque 5 014 véhicules classés VGE (véhicule gravement endommagé). Des véhicules vraisemblablement non-classés VEI (véhicule économiquement irréparable), donc techniquement réparables, mais interdits de circulation jusqu’à leur réparation en bonne et due forme !L’information a été révélée dans Le Parisien du 8 juillet dernier, levant ainsi le voile sur une enquête diligentée depuis novembre dernier par les gendarmes de la section de recherches de Paris. Alors que ceux-ci travaillaient sur de “simples” vols de voiture, ils se sont trouvés face à un autre genre d’arnaque, d’autant plus surprenante qu’elle engage plusieurs professions et pose plusieurs problèmes, au-delà du seul préjudice financier subi par les nombreuses victimes. En effet, l’escroquerie implique réparateurs et experts, jetant la suspicion sur les uns comme sur les autres et, surtout, compromet le respect d’une règle que les deux professions sont censées viser constamment : la sécurité routière.
Les faits
Identifiés comme «ex-employés d’une entreprise d’expertise automobile» (mais laquelle, BCA ou cabinet libéral ?) par Adrien Cadorel, journaliste du Parisien dans son article, les trois experts mis en cause ont, durant au moins trois ans, produit des certificats de complaisance pour remettre à la route des véhicules classés VGE. Lesdits véhicules avaient été préalablement réparés illégalement, à l’aide de pièces volées notamment, par des garagistes et carrossiers complices, dont ceux qui faisaient l’objet de l’enquête initiale des gendarmes. Et ceci sans le moindre scrupule quant à la sécurité routière puisque, comme l’ont souligné les enquêteurs, les certificats de non-dangerosité des experts étaient réalisés “pour la forme” et parfois même… en leur absence !En effet, «l’un d’entre eux réalisait des expertises aux quatre coins de l’Île-de-France qu’il n’aurait jamais pu mener dans la même journée», selon une source proche de l’enquête interviewée par notre confrère du Parisien. Des pseudo-expertises qui contribuaient en grande partie (non déclarée, bien sûr) aux 8 000 euros mensuels que gagnaient les experts. Même le fondateur du cabinet pour lequel ils travaillaient, quatrième larron de cette foire à l’arnaque, mettait la main à la pâte et empochait le pactole : celui-ci aurait détourné plus de 500 000 euros en liquide grâce à cette combine, selon les informations d’Adrien Cadorel. Et les quelques arbres experts cachent une forêt de garagistes impliqués, d’après le quotidien. Pas moins de quinze garages des Yvelines, de l’Essonne et du Loiret seraient impliqués dans ce trafic de faux VO mais vrais VGE !
Surprise générale
Bien entendu, si bon nombre de commentaires des lecteurs du Parisien.fr sous l’article consacré à cette escroquerie laissent entendre que la combine est vieille comme l’expertise automobile, ou pire, comme la réparation automobile, du côté des grandes voix du métier d’expert ou des automobilistes, on se dit surpris d’une telle arnaque et, surtout, de son ampleur. L’ANEA (Alliance nationale des experts en automobile), bien entendu, a été invitée à réagir par le quotidien du groupe Amaury. Et c’est Sylvain Girault, son vice-président en charge de la communication, qui s’y est collé. Lequel juge l’affaire «catastrophique pour notre image» et «espère qu’il n’y aura pas d’amalgame». Raté, M. Girault, si l’on en croit les 80 réactions suscitées par la version online de l’article !«Ahh les experts... beaucoup d'escrocs dans ce domaine, j'en ai fait les frais y a pas longtemps et complices avec certains assureurs qui ont pignon sur rue», dénonce ainsi Mechaax. «Cette arnaque a toujours existé sous des formes diverses et en plus ça fait des lustres que les experts magouillent et qu'on les laisse faire», affirme Tarpon, de son côté. «Belle mafia ces experts "tout puissants" maqués avec les compagnies d'assurances, les concessionnaires agréés et certains garages, le tout pour spolier les automobilistes», s’exclame PB71, après avoir relaté son expérience personnelle avec un expert qui avait refusé la réparation de son véhicule accidenté par son garagiste habituel pour la transmettre à un réparateur complice qui se rendait coupable de pratiques telles que les décrivent Le Parisien du 8 juillet.
Amalgames… involontaires ?
Visiblement, la profession d’expert en automobile, à travers cette affaire révélée au grand jour, peut se désoler du rôle d’acteur de l’ombre qu’elle s’est résignée à jouer depuis plusieurs décennies, sous la houlette de compagnies d’assurances voraces et, parfois, la complicité de réparateurs peu scrupuleux. S’il faut prendre garde aux généralités et aux amalgames, comme nous nous attachons à le faire, force est de constater que l’expertise en automobile a loupé sa communication auprès du grand public… qui l’assimile souvent, hélas, à de purs et simples sbires des compagnies d’assurance, lesquelles ont repris à leur compte le rôle de chevalier blanc que les experts, professionnels réglementés au service du maintien de la sécurité routière, sont pourtant tout à fait légitimes d’endosser.Il ne tient, en effet, qu’à une organisation syndicale comme l’ANEA de communiquer massivement auprès des automobilistes eux-mêmes pour faire valoir l’importance de leur mission et la possibilité, pour tout un chacun, de rentrer directement en contact avec eux, sans le truchement de leurs assureurs. Voilà qui redonnerait un coup de visibilité –et de crédibilité– à une profession qui en manque cruellement. La preuve : même Pierre Chasseray, pourtant délégué général de l’association 40 Millions d’Automobilistes et très au fait des problématiques du conducteur français, n’a fait que parler des experts en automobiles comme «experts d’assurance» dans l’interview qu’il a accordée au Parisien.
La traçabilité en question
Lapsus, imprécision, tic de langage ou manière sibylline de souligner la dépendance des experts face aux assureurs ? Nous avons cherché à joindre Pierre Chasseray pour le savoir, mais celui-ci était alors injoignable. Nous ne manquerons pas, cependant, de le rappeler pour connaître son opinion, lui qui a toutefois affirmé au Parisien que «dans leur grande majorité, ces experts, qui doivent posséder un numéro d’agrément, font très bien leur travail». Néanmoins, celui-ci en a profité pour souligner les problèmes de traçabilité des véhicules d’occasion, sujet brûlant ces derniers temps et pour lequel les fédérations professionnelles des services de l’automobile sont mobilisées.«La mise au jour d’un trafic à l’expertise automobile portant sur la remise en circulation de véhicules endommagés met en lumière un grave dysfonctionnement, identifié et dénoncé de longue date par le CNPA, a réagi l’organisation syndicale suite à la publication de l’enquête. Le CNPA réitérera l’ensemble de ses propositions lors de la réunion organisée ce jour au ministère de l’Intérieur sous la présidence d’Emmanuel Barbe, Délégué Interministériel à la Sécurité Routière.» En attendant, le ministère de l’Intérieur a d’ores et déjà annoncé qu’il allait se mettre en contact avec les 5 014 propriétaires de VO issus de cette filière illégale. En vue d’un soutien dans les (longues) procédures judiciaires à venir pour les victimes ? Rien n’est moins sûr.Prochaine échéance certaine, beaucoup plus sûre, elle : le 3 août, onze personnes liées à cette affaire se présenteront devant le Tribunal correctionnel d’Evry, dans l’Essonne, pour y répondre d’accusations de travail dissimulé et d’escroquerie en bande organisée, assorties d’un autre chef, pour les experts en automobile prévenus, celui de mise en danger de la vie d’autrui…
Romain Thirion
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