France 2 : les experts en flagrant délit de dépendance!

Jérémie Morvan
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Diffusé dans le cadre du JT de 20 heures sur France 2 mercredi soir, un reportage a mis en lumière comment les experts, sur le papier indépendants, doivent pourtant subir des objectifs assignés par les assureurs qui les mandatent… au risque sinon d'être mal notés.
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Les experts se seraient sûrement bien passés de cette série de contre-publicités ! L’ANEA avait certes manifesté sa volonté de refondre le code de déontologie du métier à l’occasion de son congrès annuel en mars dernier. Seulement voilà : mercredi matin, Le Parisien et divers autres quotidiens relayaient comment un vaste trafic de véhicules gravement endommagés remaquillés pour être revendus avait été démantelé, impliquant des réparateurs mais aussi des experts peu scrupuleux. Et le mercredi soir, à une heure d’audience maximum (le journal télévisé), voilà France 2 qui diffuse un reportage pour le moins dérangeant à l’endroit des experts. Reprenant l’enquête réalisée un peu plus tôt par 60 millions de consommateurs, le reportage s’interroge sur l’impartialité et, in fine, sur l’indépendance des experts.
«Aucune justification»
Intitulé «Des experts indépendants ?», le décor est rapidement planté : «Pour les automobilistes, c’est un accident souvent traumatisant ; pour les compagnies d’assurance, un sinistre à indemniser. Tôle froissée, collision ou même catastrophe naturelle, à chaque fois c’est toujours la même procédure : un expert est mandaté par l’assureur pour évaluer les dégâts. En principe, il n’appartient à aucun camp : c’est un médiateur entre les parties...»Passons sur le fait que la voix off du reportage aurait pu préciser dès la 20e seconde de l'enquête que ce qui est vrai dans les faits (les experts sont mandatés par les compagnies d'assurance) n’a aucun fondement juridique. Le CNPA a très clairement rappelé les dispositions de l’article R 326-6 du Code de la Route dans l’un des amendements qu’il a soumis aux parlementaires dans le cadre des discussions sur la Loi Macron : l’expert est missionné par le conducteur du véhicule, en aucun cas par l’assureur.S’ensuit un cas bien concret avec le témoignage d’un automobiliste devenu scooteriste malgré lui : son véhicule, une Renault Clio, a été accidenté sur l’autoroute, serré contre la glissière de sécurité par un poids lourd. «Ailes enfoncées, portières et pare-chocs brisés… pour l’expert mandaté par l’assureur, son automobile est bonne pour la casse.» Et la voiture ne vaut pas grand chose selon l’expert, l’automobiliste interviewé expliquant que l’expert lui a proposé une première indemnisation de 1 200 € ! «Et ce sans aucun justificatif», souligne l’automobiliste. Refus de ce dernier, qui se voit offrir une deuxième proposition (1 300 €), tout autant refusée, puis une troisième (1 500 €), elle aussi déclinée, et enfin une quatrième proposition de l’expert qui grand prince propose 1 650 € à l’assuré sinistré…Que retenir de cet échange épistolaire digne d’un marchandage de tapis ? «L’expert avait-il intérêt à sous-estimer l’indemnisation ?», s’interroge alors à bon droit la voix off…
Objectifs incompatibles avec l'indépendance
Le reportage entre alors dans le vif du sujet lorsque Florian Mourgues (que nos lecteurs connaissent déjà), ancien expert pendant 10 ans et aujourd’hui reconverti dans l’assistance aux automobilistes sinistrés, explique pourquoi il a quitté son ancienne vie. «Selon lui, les experts auraient tendance à sous-estimer l’argent versé aux assurés pour faire le jeu des assureurs», explique la voix off. Pour preuve, l’ancien expert ressort les consignes qu’il recevait lorsqu’il était mandaté par les compagnies d’assurance… Il se voit assigné un objectif de coût de réparation moyen. « Lorsque j’étais en dessous, j’étais bien vu par ma hiérarchie, explique Florian Mourgues ; lorsque j’étais au-dessus, je recevais des remarques comme quoi il fallait donner moins d’heures au réparateur, faire le nécessaire pour réduire le montant des pièces à remplacer pour rentrer dans les objectifs. Le but était là…»«Des objectifs pas franchement compatibles avec l’exigence d’indépendance des experts», reprend la voix off… qui s’appuie, pour étayer son argumentation, sur un document à en-tête de l’ANEA : le code de déontologie des experts qui, dans son article 4, dispose que «l’expert en automobile exerce son activité en toute indépendance». Preuve supplémentaire à ce cas d'un ex-expert reconverti : le reportage épingle un document dans lequel une compagnie d’assurance va jusqu’à proposer à ''ses'' experts une prime d’objectif pour 2015 !
Un métier comme un autre ?
Le reportage pousse l’enquête… et les portes de l’ANEA. Rendez-vous a été fixé avec Sylvain Girault, vice-président de l’organisation professionnelle et en charge des relations avec les médias. Pour lui, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’indépendance exigée par la mission d’expert et des objectifs que peuvent formuler des assureurs : «Dans tous les métiers vous avez des comptes à rendre et vous avez des objectifs, déclare-t-il. Soit vous le vivez mal et cela s’appelle la pression, soit vous l’intégrez et cela fait partie de votre métier.»Dont acte. Mais c'est quand même un peu court. La vision des hommes de l’art exerçant dans le but de satisfaire aux exigences de la sécurité routière et de faire réparer au juste coût est bel et bien écornée par France 2 : impossible en effet de ne pas avoir constaté, cette fois de visu, la dépendance économique dans laquelle se trouve l’expert, lui qui est censé exercer son activité en toute indépendance selon le fameux article 4 de son code de déontologie !Il n’est par ailleurs que question de coût durant cet entretien avec Sylvain Girault, et non de sécurité des automobilistes car, pour le vice-président «in fine, c’est le propriétaire du véhicule et l’assuré qui s’y retrouvent puisque l’on a des cotisations d’assurance qui sont maîtrisées».Ou comment redonner du pouvoir d’achat aux automobilistes… dans l’intérêt bien compris des experts et des assurances qui les mandatent !
Jérémie Morvan
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