Témoignage – <em>«Un carrossier ne dort plus beaucoup»</em>…

Jean-Marc Pierret
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Suite au sévère démenti que Doyen a apporté à l'un de nos récents articles, un lecteur nous a vertement reproché de publier une rumeur alors que son témoignage d’il y a deux ans ne l’avait pas été. Nous avons donc décidé de publier son dur commentaire : il traduit probablement la pensée de beaucoup d’autres et était légitime à ce titre au moins. Mais nous avons aussi voulu prendre contact avec lui, l’écouter et surtout l’entendre. Puis lui donner ici la parole. Ceux qui doutent encore de la sincère et profonde douleur des carrossiers −ou ne veulent pas l’entendre− doivent le lire. Il est long, certes. Mais tout aussi profond...
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lecteur_gris-2“La nuit porte conseil, dit-on. Je me suis rendu compte que j'avais été peut-être un peu loin. Je dois donc vous demander de bien vouloir m'excuser de vous avoir si brutalement provoqués. Je vois bien au final que vous ne restez pas insensibles.“Je me suis dit cette nuit “un carrossier ne dort plus beaucoup”. Et que votre rôle n'était pas non plus de publier tous les ressentis d'une profession en perdition, même s'il me semble que vous avez eu un certain culot de provoquer un réseau par le passé. Peut-être est-ce moi qui suis aigri. Pourtant il ne me semble pas, car pour remonter la pente il m'a fallu séduire, courber le dos et accepter la compromission encore et encore.“Vous allez peut-être penser que je suis un cas isolé. Ben non justement : je suis un carrossier perdu dans ce monde de finances parmi tant d'autres. J'étais un artisan passionné. Inquiet alors pour l’avenir, j'ai un jour plongé dans les propositions de partenariat. J’ai fait ce choix par ambition pour la pérennité de mon entreprise. J'ai bien vécu ''à une époque'' ; malheureusement j'ai dû payer mes emprunts pour être toujours à la pointe des demandes.“Bien sûr, on m'a choisi pour être agréé, bien sûr !! Mon entreprise de qualité fournissait un travail irréprochable. Pensez-vous : quand on est amoureux, on donne sans compter. Alors je me suis entouré de compagnons de qualité que je paie toujours grassement. Même si la demande n'est plus dans la qualité irréprochable mais dans un remplacement au moindre coût. Aujourd’hui la qualité ne se paie plus ; aujourd'hui, on fournit un coût sinistre, il faut se débrouiller avec ça. Serrés que nous sommes, étouffés entre un agrément et des experts qui ont complètement perdu leur indépendance. Pour moi ce sont des experts «indépendant/dépendants», comme nous d'ailleurs.“A ce jour, personne ne dénonce ça. Nous tremblons tous ensemble car il est impossible de faire marche arrière sans y laisser tout ce que l'on a. Nous sommes piégés dans un système semble-t-il calculé à l'avance. Que nous prépare-t-on demain ? Visiblement, rien de bon.“Vous avez peut-être l'impression que je suis négatif. Non : je reste un artisan idéaliste ; je peux imaginer des syndicats professionnels qui soient dans la réalité du monde de la réparation ; je pourrais imaginer des réseaux où l'esprit de famille règnerait. Mais j’ai trop souvent l’impression qu’ils ne peuvent pas agir et réagir...“Il y aurait tant et tant de choses à mettre en place ne serait-ce que localement, ne serait-ce qu’en montrant aux experts et assureurs que nous nous rencontrons et qu'il ne faut pas aller trop loin, que l'on doit nous respecter... Au fait, dans ma région on se rencontre. Bon : on ne peut faire que ça, comme on peut ; il faut y être, dans nos entreprises ; pour ne pas se voir mourir car un bonhomme seul, ça s'essouffle.“Les réseaux ? Les pauvres !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Je ne leur en veux aucunement, aux réseaux ; ils font ce qu'ils peuvent. Eux aussi, ils sont chargés. J’ai adhéré à l’un d’entre eux. Cela fait des frais supplémentaires, mais je n'ai pas le choix non plus. Pourquoi ?“Ils ont servi allégrement les ''apporteurs d'affaires''. Il faut les appeler comme ça : ça fait super bien ; ils ont mis en place des plateformes, signé des accords, des partenariats où nos cotisations ont été largement dépensées. Je ne leur en veux pas car ils étaient convaincus de défendre la pérennité de leurs adhérents. Ils ont agi pour notre bien et pour celui de nos entreprises.“Aujourd’hui, les accords ont été rompus, sans états d’âme ; les financiers les ont laissés tomber comme des vieilles chaussettes malodorantes. Mais les cotisations, elles sont toujours là, il faut payer pour trouver des solutions. On me dit que je vais gicler à terme si je ne reste pas dans la discipline du réseau. Nous sommes deux sur la ville à être sous cette enseigne, une ville où les accords ne marchent plus. Mais nous devrons quand même investir comme s’ils marchaient. Au cas où... Je vais gicler et l’autre peut-être pas car il peut espérer que les quelques voitures sous accords −à peine une vingtaine cette année− vont partir chez lui si je gicle.“Même ces réseaux-là devraient nous aider à retrouver notre liberté, nous aider à retrouver une indépendance car sur place, nous sommes paumés et ne savons plus comment agir pour survivre. Ils devraient prendre conscience et regarder les chiffres de chaque affaire avant de menacer : on a beau le dire, rien n'y fait ; ou si on le dit, on passe pour des révoltés.“Soyons honnêtes : certains accords fonctionnent très bien, dans les grandes villes où le peu d'accords qu'ils ont encore marchent, là où par exemple le service à domicile est demandé. Pas chez nous mais pourtant, je dois l’appliquer. Ce que je dis pour ma région n'est pas valable pour toutes : mais on ne nous écoute pas, nous ne sommes plus intéressants puisque nous n'amenons plus rien.“Mais que faire, puisque les assureurs qui ont continué à travailler avec nous nous demandent d'appartenir à un réseau ? C’est compliqué de survivre...“Si j'ai écrit si longuement ce n'est pas parce que j'aime ça. J'ai quitté l'école très tôt. Je n'ai pas spécialement ce don d'écrire de grandes phrases. J'ai juste de l'expérience, j'ai vu le monde de la réparation carrosserie se transformer. A ce jour, je n'ai aucune inquiétude pour moi : là où je suis situé, mon local sera vite transformé et sera bien plus rentable qu’en réparant des autos... Mais quel avenir pour ces jeunes compagnons, ces ouvriers compétents et motivés, ces autres carrossiers dans une situation identique à la mienne ?“Je vous ai écrit pour que vous compreniez mieux ma réaction, pour que vous sachiez qui je suis réellement, que vous ne me mettiez pas dans cette catégorie des râleurs impénitents. Non : je suis juste réaliste et certainement trop idéaliste et inquiet ; je n'ai aucune haine, aucune rancune,  je ne demande rien. Je constate et je suis amer, c'est tout.“J'ai écrit pour que vous sachiez pourquoi j'avais été choqué qu'une rumeur soit publiée plutôt que ma demande d'il y a 2 ans. Je vous avais alors demandé de transmettre le ressenti d'une profession, et vous ne l’aviez pas fait. Je n'ai peut-être pas compris que votre journal ne pouvait pas tout dire non plus, même si, pour moi, un journal doit dire la vérité, vérifier puis écrire même le ressenti des réparateurs. Sinon, pourquoi leur envoyer votre revue ?“Mille excuses pour l'attaque. Je vois bien que vous êtes sincères, honnêtes et intègres car vous avez de suite embrayé et compris les réelles raisons de mon attaque et de mon dégoût.

Amicalement

Jean-Marc Pierret
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