Carrosserie : condamnation d’un expert trop suspicieux

Romain Thirion
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La Cour de cassation a récemment donné raison à un carrossier indûment accusé par l’expert de l’assurance qui l’agrée d’avoir posé une aile d’occasion à la place d’une aile neuve sur le simple constat de réparations effectuées dessus… Un conflit dans l'air du temps qu'il a fallu porter devant la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français pour blanchir le carrossier.
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L’information a été transmise par l'ANEA à ses adhérents récemment. Le 17 décembre dernier, la Première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un verdict favorable à un réparateur ayant dû défendre jusqu’au bout son travail face à un expert "d’assurance" un peu trop zélé… et manquant sûrement de compétence lorsqu’il s’agit de différencier une pièce d’occasion repeinte et une pièce neuve également repeinte. Car c’est de cela qu’il s’agit : une erreur d’interprétation suspicieuse qui aurait pu coûter son agrément et sa réputation au carrossier et entraîner un sacré manque à gagner à court ou moyen terme.
Le choix de la pièce plutôt que de la main d’œuvre
Entrons dans le détail de l’affaire, à la suite de la description qu’en fait l’ANEA dans la rubrique “Juri’ EA” de sa lettre d’information. Après que l’expert "d’assurance" ait préconisé de remplacer une aile endommagée par une aile d’occasion suite à sinistre, le réparateur agréé choisit finalement de poser une aile neuve, celle-ci n’entraînant qu’un surcoût très modéré de 50 euros mais lui épargnant sans doute la quantité de travail non négligeable qui accompagne souvent la préparation et la pose d’une pièce de robe de réemploi. En somme, en professionnel attentif à la facture de son client automobiliste, le carrossier a visiblement privilégié une pièce plus chère mais nécessitant un temps de main d’œuvre moins élevé.Connaissant la pression qu’exercent les assureurs sur les taux de main d’œuvre, on ne saurait tenir rigueur au professionnel soucieux de ménager celui qui l’agrée tout autant que le client final. Sauf qu’après réception de la facture, l’expert émet un nouveau rapport dans lequel il accuse le réparateur de ne pas avoir posé d’aile neuve mais en réalité d’avoir posé une aile d’occasion qu’il a facturée au prix du neuf ! Ceci sur la seule base de réparations effectuées dessus et qui sont pourtant nécessaires même sur une pièce neuve, laquelle n’arrive pas toujours en parfait état au professionnel : masticage et raccords peinture ne sont jamais de trop pour rendre un travail propre au propriétaire du véhicule.
Question de compétences ?
Pourtant, il existe bien d’autres façons de différencier une pièce neuve d’une pièce d’occasion que les simples travaux effectués dessus pour la rendre esthétiquement conforme au véhicule qu’elle est censée réparer. Mais l’expert "d’assurance" n’a pas voulu en démordre, a sollicité une facture rectificative et informé l’assureur de ses conclusions, ainsi que l’assuré par conséquent. Des conclusions qui, bien sûr, risquaient de gravement porter préjudice au réparateur qui semblait avoir agi, dès le départ, dans l’intérêt du propriétaire du véhicule. Le risque ? Que l’assureur lui supprime son agrément et que l’avis négatif du client final ne se transmette de bouche à oreille auprès d’autres automobilistes.Heureusement, le réparateur non plus n’a rien voulu lâcher. Il est allé jusqu’à faire réaliser, à ses frais, une expertise amiable contradictoire qui, heureusement, a souligné que l’aile posée par ses soins était effectivement neuve. D’où l’assignation de l’expert d’assurance en justice. Comme le souligne l’ANEA, «la Cour de cassation relève l’importance de la convention d’agrément pour l’équilibre financier du réparateur et reconnaît que la pérennité d’un tel agrément peut être remise en cause, si un doute pèse sur l’honnêteté et la qualité des prestations fournies par le réparateur». Un doute que le manque de compétence de l’expert "d’assurance" a fait naître dans ce cas précis et qui méritait donc d’être effacé.
Se défendre jusqu’au bout
Pour sa part, la Cour «estime que l’expert a commis une faute en persistant à remettre en cause le professionnalisme et la bonne foi du réparateur, alors même que celui-ci présentait spontanément à l’expert la facture d’achat de l’aile neuve». Une preuve supplémentaire permettant de différencier l’état neuf réel de la pièce par rapport à son supposé état d’occasion. Heureusement qu’un expert tiers, mandaté par le réparateur lui-même et a priori indépendant de l’une ou l’autre des parties, a su mobiliser les compétences attendues d’un expert en automobile pour démêler le vrai du faux et rendre justice à l’éthique du carrossier.«Parce que l’expert a obligé sans raison le réparateur à se justifier face à son client et à l’assureur, il lui a causé un préjudice devant être réparé», souligne l’ANEA en commentant la décision des juges. Résultat : l’expert d’assurance a été condamné à payer 3 000 euros de dommages et intérêts au carrossier, augmentés des 486,35 euros engagés par celui-ci dans les honoraires de l’expert tiers ayant effectué l’expertise contradictoire, ainsi que 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.Preuve qu’il vaut mieux défendre son travail et sa bonne foi jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à se pourvoir en cassation même après de premières décisions de justice négatives. Et qu’il ne sert à rien de faire l’économie d’une expertise amiable contradictoire lorsque celle-ci est destinée à démontrer sa probité. L’expert d’assurance, lui, en prend pour son grade avec une telle décision qui pourrait bien gonfler à nouveau le moral de professionnels de la réparation rendus timorés par les coups de boutoir réguliers des assureurs et de leurs experts conseil.
Romain Thirion
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