MAIF, assureur militaire avec “ses” experts

Romain Thirion
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De mutuelle privilégiant la proximité avec l’assuré et le dialogue entre ses prestataires, la MAIF semble devenue, depuis son aventure avortée au sein de SFEREN, particulièrement directive avec “son” réseau d’experts… Et nombre d’entre eux seraient sur la sellette faute, d’ici 2022, d’avoir rejoint l’un des grands réseaux d’expertise automobile ou d’avoir tout simplement vendu leurs missions… voire leur cabinet tout entier !
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La colère gronde au sein des cabinets d’expertise automobile libéraux “agréés” par la MAIF. Dans toutes les régions de France, des entreprises plus ou moins grosses, de deux à trois collaborateurs jusqu’à une vingtaine, se trouvent en effet menacées par le dernier projet d’envergure de la mutuelle d’assurance : rationaliser “son” réseau d’experts afin, naturellement, d’optimiser encore davantage les coûts de son activité assurance auto, annoncée comme régulièrement déficitaire. Et, prétendument, de rendre plus visible la marque MAIF tout en uniformisant les process.

Mais derrière cet objectif se cacherait une volonté de mettre ses prestataires habituels au pas et de les forcer, d’ici 2022, année coïncidant avec la fin de mandat de son P-dg actuel, à se ranger dans l’une des deux voies qu’elle leur a tracé par l’entremise de ses conseillers techniques régionaux (CTR) : rejoindre l’un des grands réseaux de cabinets d’expertise existant dans l’Hexagone… ou bien revendre leur volume de missions annuelles !

Voire revendre purement et simplement leur société, mais pas à n’importe qui : à des cabinets d’expertise plus ou moins désignés, faisant fi, par-là même, du droit des experts libéraux concernés de commercer librement avec qui ils souhaitent.

Un jargon qui masque une mise au pas

D’ordinaire très avare en documents écrits, la MAIF, qui a réuni au cours des derniers mois les experts “agréés” auxquels elle adresse des missions, s’est tout de même fendue d’une infographie envoyée à ces derniers, sobrement intitulée “Les attentes pour les réseaux et groupements d’experts”, qui appelle lesdits réseaux à “poursuivre leur structuration”. Et le document de lister les huit points suivants à cet effet :

  1. Visibilité du réseau et de la Marque (appellation uniformisée en référence à la Marque)
  2. Couverture nationale pour l’activité BtoB, spécialisations, cat-nat
  3. Point d’entrée unique à portée nationale sur le moyen terme
  4. Système informatique unique pour l’ensemble du réseau (harmonisation des process, pilotage de l’activité et de la performance, outils de communication, portail web)
  5. Plan de continuité de l’activité
  6. Équipes, intervenant sur les dossiers, porteuses de la marque MAIF
  7. Interlocuteur Grands Comptes désigné pour la MAIF
  8. Avoir au sein des réseaux des “Interlocuteurs de Métier” locaux

Un listing que plusieurs experts qui ont bien voulu nous contacter parmi ceux constituant le réseau d’“agréés” MAIF considèrent comme du jargon volontairement obscur, destiné à masquer la réalité des faits : la mise au pas d’experts encore trop indépendants au goût de la mutuelle, et surtout pas assez conformes à l’idée que se fait “l’Assureur Militant” d’un réseau profitable.

D’où cette incitation faite aux cabinets libéraux de se livrer à des structures plus grosses qu’eux, plus à même de répondre à la huitaine d’objectifs listés ci-dessus et de dédier des équipes entières à un assureur en particulier.

Le précédent SFEREN dans toutes les têtes

«Les instructions qui nous ont été faites oralement sont plus claires : nous devons nous rapprocher de réseaux nationaux d’expertise ou de plus gros cabinets, au risque sinon de dire au revoir à nos missions MAIF», déplore Hippolyte(*), patron de cabinet déjà échaudé par le reformatage du réseau d’experts “agréés” MAIF lors de sa courte aventure au sein de la société de groupe d'assurance mutuelle (SGAM) SFEREN, aux côtés de la Matmut et de la MACIF.

Pour mémoire, en amont de la Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, autrement appelée “Solvabilité 2”, la MAIF avait rejoint SFEREN pour finir par en sortir en 2014, deux ans avant l’entrée en vigueur du texte. Non sans avoir, durant ces cinq années de mariage, obligé une partie de “son” réseau d’experts à accepter une part de missions Matmut et de céder l’équivalent de missions MAIF, sans jamais les leur redonner une fois son départ de la SFEREN acté.

Résultat : une perte nette de chiffre d’affaires pour les cabinets concernés, parfois privés de leur portefeuille de missions MAIF sans pour autant avoir contre-performé au regard des évaluations de la mutuelle.

Une dégradation progressive de la relation MAIF-experts

«En 2018, encore, la MAIF laissait entendre que nous étions trop nombreux dans son réseau d’experts, qu’il fallait qu’on se regroupe car, indépendamment, beaucoup d’entre nous n’exécutions pas assez de missions à son goût, estime Venceslas(*), autre dirigeant de cabinet d’expertise, de son côté. Des experts qui avaient pourtant de bons résultats ont dû trouver des solutions pour revendre leur portefeuille de missions où leur cabinet et/ou ont été contraints de fermer boutique.»

Et voilà qu’au printemps dernier, la mutuelle est revenue à la charge avec ce projet de restructurer “son” réseau d’experts, soumettant ces derniers à des audits sans pour autant établir de cahier des charges précis et laissant ses prestataires dans le flou quant aux objectifs à atteindre pour espérer continuer à être conventionné MAIF. «C’est comme une entreprise de bâtiment qui commencerait par le toit avant de s’occuper des fondations !», juge Hippolyte.

Des audits sans objectif déclaré ?

«Nous suspectons que les audits ne visaient qu’à évaluer nos éventuelles orientations ou non à rejoindre un réseau avant mars 2020, date à laquelle les courriers en recommandé avec accusé de réception seront envoyés aux cabinets qui ne rentrent pas dans le cadre de ce projet, cadre qui n’est pourtant toujours pas défini», déplore Hector(*). En outre, l’homme estime que cette liste d’objectifs ne peut être remplie que par des sociétés de la taille de BCA Expertises.

En poussant au regroupement de cabinets au sein de réseaux plus importants, tels que Creativ’ et/ou Alliance Experts (un futur binôme n’étant pas à exclure selon nos sources), pour n’en citer que deux parmi les groupes existant dans la profession, «le but est de créer une sorte de “BCA bis” qui rentrerait dans les clous de leur projet, ce qui participe à la destruction de notre métier d’indépendant». Et son confrère Raoul(*) d’enchaîner : «nous nous sentons comme le petit épicier des années 60 ou 70 qui voit s’installer un supermarché Carrefour ou Casino devant sa boutique».

Grand écart entre image publique et cuisine interne

Résultat, pour les cabinets qui recevront le fameux recommandé, des licenciements pourraient avoir lieu en cas de perte des missions MAIF, la mutuelle représentant parfois la majorité du volume de mandats des entreprises concernées. Des décisions que Raoul(*) estime totalement déconnectées du terrain. «L’ingérence et l’incompétence à l’œuvre nous font peur : ils sont en train de tracer une route sans se préoccuper le moins du monde du relief devant eux, ajoute-t-il, tout en précisant : ni les délégués des sociétaires MAIF, ni les militants, ni les gestionnaires de sinistre, ni même les autres prestataires ne semblent au courant de ce qui se trame.»

Pour l’historique mutuelle des fonctionnaires de l’Éducation Nationale, qui se qualifie d’“Assureur militant” dans ses spots publicitaires et vante à la fois la lutte contre l’obsolescence programmée, la solidarité d’entreprise et la prévenance par-dessus tout, l’écart entre image publique et cuisine interne semble chaque année plus grand.

Quid des valeurs historiques de la MAIF ?

«Agréés MAIF depuis de très longues années, nous avons assisté à la dégradation des relations entre la mutuelle et son réseau d’experts, et même de prestataires au sens large, souligne Hippolyte. C’est d’autant plus incompréhensible que la MAIF était, historiquement, une mutuelle axée sur le dialogue et la proximité entre les différentes parties. Or, aujourd’hui, elle ressemble à une compagnie d’assurance classique : l’humain est relégué, y compris les sociétaires, la taylorisation est devenue la notion-clef alors qu’avant, il y avait toujours de la place pour l’individu, quel qu’il soit. Quant à la gestion de sinistre, elle pourrait tout aussi bien être confiée à une intelligence artificielle…»

Pour lui, c’est clair : «les valeurs de Roger Belot (NdlR : P-dg de la MAIF de 1996 à 2014 et lui-même ancien instituteur) sont bafouées. On est passé, en quelques années, de “que peut-on faire pour nos sociétaires ?” à “que peut-on faire pour maximiser les profits ?”» Et dans le cadre de la gestion de sinistres auto, l’expert estime que les notions de sécurité routière et d’équilibre dans la relation triangulaire expert-réparateur-assureur passent désormais au second plan, voire au troisième…

La mutuelle pourrait-elle revenir rapidement à la raison ? «Certains assureurs qui ont constitué des réseaux pour faire de l’expertise IARD sont en train d’en revenir car cela engendre une inertie et la qualité de service envers l’assuré en pâtit», relève l’expert.

Peu d’espoir à court terme, pourtant, dans la voix des experts qui ont bien voulu s’exprimer. «La MAIF est pour l’instant arc-boutée sur la notion de nombre d’experts par départements et de rationalisation de son réseau selon des critères qu’elle ne veut pas dévoiler précisément, juge Raoul(*). Sa démarche est autoritaire et les conséquences psycho-sociales risquent d’être aussi fortes que les conséquences économiques dans les cabinets d’expertise concernés.»

D’“assureur militant” pour le grand public à assureur militaire avec ses prestataires, la MAIF risque aussi, cette fois, d’endosser le rôle, dans les prochains mois, d’assureur maltraitant avec ses experts...

(*)Les prénoms ont été modifiés

Romain Thirion
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