Rechapage PL : toute la filière pneu mobilisée pour endiguer la chute

Romain Thirion
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Tirant la conséquence de deux ans de baisse continue du marché du rechapage des pneus poids lourds, toute la filière du pneumatique –des manufacturiers aux organismes collecteurs– s’est mise autour de la table pour proposer des solutions afin de protéger l’ensemble de la chaîne de valeur de la concurrence du pneu “jetable” qui profite d’une conjoncture économique ultra favorable à l’offre low cost et/ou exotique.
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Fournisseurs de matière première, manufacturiers, distributeurs, transporteurs, industriels du rechapage et acteurs de la collecte et de la valorisation de pneumatiques usagés se sont réunis autour d’un même combat : protéger le marché du pneu rechapé PL, victime d’une dégringolade depuis de (trop) nombreux mois. Et même depuis des années, puisque depuis 2014, selon les chiffres du Syndicat national du caoutchouc et des polymères (SNCP), les volumes vendus ont reculé, enregistrant des reculs de 1% en 2014, 4% en 2015 et de 7% jusqu’à présent pour l’année 2016.
Le marché du neuf et du rechapé décorrélés
L’an dernier s’est conclu sur le chiffre de 730 000 pneus PL rechapés vendus, quand la vente de pneus neufs, elle progressait de 4% pour atteindre le 1,04 million d’unités. La courbe des ventes, qui suivait jusqu’en 2013 celle des pneus neufs, prouvant à quel point les deux marchés sont étaient liés, s’en est même décorrélé en 2013. Le taux de pénétration du rechapage sur le marché du pneu PL n’a fait que chuter depuis 2012, passant de 48% cette année-là à 39% en 2016 !La faute, en grande partie, est à imputer à une offre concurrente au marché dominant que représente la vente de pneus premiums rechapés plusieurs fois : l’offre low cost de pneus neufs, de provenance exotique (Chine, Asie du sud-est, Europe de l’est), au prix attractif à l’achat mais à la durée de vie limitée. Une concurrence qui s’est sentie pousser des ailes : 180 000 enveloppes de ce type ont été importées en 2015 soit une hausse de 90% par rapport à 2012 !La part du low cost dans les volumes de pneus neufs vendus a fait diminuer l’écart de prix entre le neuf et le rechapé, qui n’est plus que de 105 euros au premier trimestre 2016. Ce qui a causé un transfert d’une partie de la clientèle de pneus rechapés vers l’offre low cost incriminée, notamment de la part de PME de transport routier, aux marges extrêmement faibles et toujours en quête des solutions les moins coûteuses possibles. Et comme le déplore Pascal Audebert, directeur général du réseau de négociants spécialistes Profil Plus, « l’offre rechapée n’a plus de sens économiquement dans de telles conditions ».
Une conjoncture favorable au low cost
C’est un ensemble de facteurs qui contribue à cette baisse rapide du marché du pneu rechapé et à l’augmentation de l’offre low cost. D’abord, la chute des matières premières, en particulier du caoutchouc naturel et du butadiène, monomère à la base de la plupart des caoutchoucs synthétiques, a profité naturellement aux pays producteurs d’enveloppes low cost, la part « matières » représentant une part plus importante dans leur structure de coût que dans les pays producteurs de pneus premium.Ensuite, la majorité des volumes de pneus low cost étant produite en Chine, ceux-ci ont bénéficié de la conjoncture inhérente au marché chinois : surcapacités de production importantes poussant à l’exportation massive, demande intérieure plus faible de la part des transporteurs et cours du Yuan en baisse par rapport à celui de l’Euro depuis le début de l’année 2015. Ajouté à cela une faiblesse évidente du coût du fret maritime et la recette du succès des pneus low cost s’explique sans difficulté.
Le low cost : ni économique, ni écologique
« Si ces pneumatiques mono-vie affichent des prix à la vente imbattables, leur bilan en termes de prix de revient kilométrique est certainement moins brillant et s’avère mauvais en termes d’impact écologique dans la mesure où ces produits ne sont destinés ni à être recreusés, ni à être rechapés, soulignent en chœur Bruno Muret, président du SNCP, et Régis Audugé, directeur général du Syndicat des professionnels du pneu (SPP). Leur progression vient de surcroît freiner les efforts de développement durable de la filière et encombrer prématurément les unités de collecte et de valorisation des pneus en fin de vie. » La production de nouvelles enveloppes et la valorisation du surplus de pneus mono-vie est en effet très énergivore et contraire aux objectifs de la loi sur la Transition énergétique et des engagements de la COP 21. Un pneu rechapé deux fois permet en effet l’économie de 46% de matière première par rapport à trois pneumatiques neufs et l’économie en fin de vie s’élève à 67%La logique de TCO –Total cost of ownership ou « coût total de détention »– qui prime avec les pneus premium, à la longévité supérieure et rechapables à plusieurs reprises si leur carcasse est en bon état, est sur le long terme bénéfique et plus rentable pour toute la filière : les manufacturiers, les négociants spécialistes pour qui la gestion des pneumatiques d’un parc est plus rentable que la vente de pneus neufs, et bien entendu les rechapeurs, qu’ils soient manufacturiers (Michelin, Bridgestone avec Bandag, etc.) ou spécialistes, comme l’est Pneu Laurent. Et pour le client final, l’achat d’un pneu rechapé lui revient 40% moins cher en moyenne que le neuf. Sauf par rapport aux pneus low cost, lesquels commencent à prélever leur tribut…
Des milliers d’emplois menacés
Michelin a en effet annoncé en novembre et en mars derniers ses projets de fermeture de trois unités de rechapage en France, en Allemagne et en Italie. Goodyear a également annoncé, en octobre, la fermeture de son site anglais de Wolverhampton. Quant à Marangoni, le manufacturier italien a annoncé un plan social de 150 personne dans son usine de Rovetero. Enfin, Pneu Laurent a annoncé la fermeture prochaine de son site d’Oranienburg, en Allemagne. 1 800 suppressions d’emplois directs ont déjà eu lieu depuis 2013 dans le secteur. Et jusqu’à 32 000 emplois en Europe, directs ou indirects, emplois non délocalisables et parfois très qualifiés, sont menacés.« Le risque, si la situation perdure, c’est que toute la chaîne de valeur s’écroule et que le métier du rechapage finisse par disparaître, avance Pascal Audebert. Or, si l’on perd ce savoir-faire, il n’est pas certain que la filière soit en mesure de faire marche arrière : cela s’est déjà vu dans d’autres secteurs industriels. » Pour défendre le marché du rechapage, la filière a donc décidé de pousser la France et l’Europe à faire respecter aux pneus importés les réglementations en termes de composition : 11% des volumes testés par l’ERTMA (European tyre and rubber manufacturers association) en 2011 indiquaient des taux d’huiles aromatiques polycycliques (HAP) supérieures aux doses exigées par le règlement européen REACH (Registration, evaluation of chemicals). De la même façon, les professionnels de la filière entendent que l’Union européenne fasse respecter le règlement qui a donné naissance à l’étiquetage des pneumatiques, y compris sur les produits d’importation sui ne devraient pas être autorisés à circuler s’ils y contreviennent.Les membres de la filière pneu sont également très attentifs à la façon dont seront utilisés, dans le cadre du programme Horizon 2020, les tests pan-européens dirigés par l’ONG néerlandaise Prosafe en collaboration avec 13 autorités de surveillance nationales, sur 600 pneus issus de tous horizons sur une période de 3 ans à compter d’avril 2016. Sur le plan français, les acteurs du pneumatique proposent également de rendre l’éco-contribution visible : sur tous les documents marquant des transactions de pneus jusqu’au consommateur final, en particulier les factures, que soit affiché par tous les metteurs sur le marché, quels qu’ils soient, le coût unitaire supporté pour la gestion des déchets collectés issus des enveloppes vendues. Enfin les professionnels du secteur entendent que l’éco-contribution soit rendue modulable, par un système de bonus/malus restant encore à déterminer, afin qu’elle soit plus avantageuse pour qui envoie à la collecte des pneus rechapés plutôt que des pneus neufs.
Romain Thirion
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