Oscaro conduit-il vraiment un plan social déguisé?

Jean-Marc Pierret
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Et voilà PHE et Bain Capital maintenant soupçonnés d’avoir déguisé un plan social chez Oscaro où 3/4 de 120 départs auraient été “pseudo-volontaires” et 1/4 aurait été viré “pour fautes”. L'article de notre confrère Infodujour croit pouvoir étayer cette thèse. Mais c’est aussi ignorer le contexte propre à Oscaro et les réalités plus générales du marché de l’emploi digital…
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Oscaro est de retour dans l'actualité. Mais cette fois, sur le terrain social. Le site d'information infodujour.fr a publié un article à charge baptisé «120 salariés sur le carreau mais pas de plan social». Avant d'enchaîner par une appétissante intro façon catastrophe annoncée : «Le leader de la vente de pièces automobile sur Internet pourrait-il partir à la casse ? Ou comment les méthodes américaines se jouent des lois françaises». Cette dernière allusion vise directement PHE, le repreneur qui appartient au très puissant fonds d'investissement nord-américain Bain Capital.

Oscaro, l'ex-employeur flamboyant

Évidemment, en ces temps d'incertitudes économiques, le thème du licenciement massif est médiatiquement porteur. Et en ce qui concerne Oscaro, il pourrait même sembler a priori crédible. De notoriété quasi-publique, le site leader de la pièce en ligne était en effet connu pour être depuis longtemps “surstaffé” en nombre comme en masse salariale. Et ce, pour des raisons qui n'auraient d'ailleurs pas toujours été dictées par de réels besoins organisationnels, mais aussi pour nourrir le réseau de son fondateur Pierre-Noël Luiggi. Il n'y aurait rien d'étonnant, donc, à voir effectivement le repreneur s'attacher à remettre l'entreprise en adéquation avec des charges et des collaborateurs adaptés.

Mais dans ce contexte, Oscaro aurait-il pour autant et sciemment organisé une grande lessive salariale qui ne dirait pas son nom, comme croit pouvoir le déduire notre confrère ? Pas si sûr.

Autres temps managériaux, autres mœurs...

Première évidence : depuis sa reprise par PHE, le climat a bien sûr changé au sein de l'entreprise. Ses équipes avaient connu les chaudes épopées flamboyantes de Pierre-Noël Luiggi et son mélange de morgue insulaire mâtinée de leadership universel. Ainsi biberonnés de puissance et de gloire, il y a fort à parier que beaucoup de salariés d'Oscaro se sont trouvés fort dépourvus quand la bise fut venue, à savoir la phase de management de transition orchestrée par le BCG, puis déployée par sa nouvelle équipe de direction. Le retour sur terre a dû être violent durant cette période de reprise en main d'un Oscaro en lisière de dépôt de bilan...

Car connaissant PHE -«nous sommes des “centimiers”», se plaît à répéter son président Stéphane Antiglio-, l'ambiance a effectivement dû y devenir brutalement plus pragmatique qu'empathique. Surtout que le repreneur a immédiatement été contraint d'injecter la bagatelle de 26 millions d'euros pour rembourser (voire même dédommager) quelque 500 000 clients internautes excédés par de trop longues attentes, eux qui avaient initié ou relayé une vaste campagne digitale mortifère sur le web.

La ludique motivation façon start-up s’accommode mal de la pénombre crépusculaire d'un redressement. Beaucoup de salariés ont évidemment mal vécu le vilain blizzard comptable qu'a soufflé PHE pour remettre Oscaro en ordre de marche. D'eux-mêmes, beaucoup ont pu rapidement souhaiter «donner une nouvelle orientation à leur carrière» sans que l'on ait réellement eu besoin de les y encourager par cette méthode forte et cynique que croit avoir mise à jour notre confrère.

Des départs peut-être plus volontaires qu'on ne le croit

Car il faut tenir compte de cette autre évidence : l'activité digitale d'Oscaro ne met pas vraiment ses salariés en état de dépendance chronique. Dans l'univers en expansion constante de la vente en ligne, nous sommes loin du syndrome de l'ultime emploi dans un territoire désindustrialisé. C'est dans ce contexte qu'il faut donc prudemment lire ce que relate notre confrère. «En l’espace de quelques mois, près de 120 personnes sur un effectif de 600 seront dirigées vers la sortie. Parfois sans discernement : le service marketing, essentiel pour une entreprise de commerce électronique, est ainsi décimé, s’étonnent les salariés.» (voir aussi encadré ci-dessous).

Car s'il est en effet un secteur où les offres d'emploi comme les potentialités de création d'entreprises sont légion, c'est bien le digital. Un univers où l'on peut certes recruter facilement de nouveaux profils quand on s'appelle Oscaro, mais à l'inverse aussi, trouver facilement de nouveaux jobs ailleurs quand on y travaille. S'il est déçu par son employeur, un salarié du domaine -a fortiori estampillé Oscaro- n'a probablement guère de grand souci à se faire. C'est le cas évidemment pour les développeurs et autres data-scientists. Même chose pour les très recherchés marketeurs expérimentés du secteur. Ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi la saignée a été si forte au sein du département marketing.

Recontextualiser les 120 départs

Ce n'est évidemment pas pour cela qu'il faudrait excuser Oscaro de conduire une telle politique de restructuration. Comme dirait Trump dans un de ses tweets enfantins qui ont déjà forgé sa légende, ce serait là le comportement de «gens pas bien» et de «personnes pas gentilles».

Il n'en reste pas moins que la méthode que croit devoir dénoncer notre confrère doit être recontextualisée. Pour toutes ces raisons évoquées concernant la réelle fluidité du marché de l'emploi digital, il devient assez improbable que PHE ait voulu -ou même ait eu besoin- de tordre la réalité pour conduire une aussi vaste que discrète purge hors droit du travail.

Qu'il y ait eu pléthore de demandes de ruptures conventionnelles -une procédure plus confortable que la démission puisqu'elle ouvre droit aux indemnités chômage- et de nombreuses négociations diverses et variées pour financer ces départs, semble éminemment logique. Mais qu'elles soient le fruit d'un “harcèlement systémique” ayant poussé les demandeurs au seuil du désespoir devient dès lors bien moins certain.

Ne pas vendre la peau d'Oscaro avant de l'avoir ressuscité

Dernière évidence enfin : voir dans ces mouvements de personnel la sourde volonté d'habiller la mariée pour préparer la revente, c'est à la fois anticiper grandement et, en même temps, enfoncer une porte ouverte.

Notre confrère anticipe, parce qu'Oscaro, tout leader soit-il, n'est certainement pas encore une belle affaire. Il faudra du temps. A titre de comparaison, son concurrent allemand KFZTeile24 avait été mis en vente en 2018, alors qu'il affichait une pleine forme avec 175 millions d'euros de CA et une rentabilité de 10%. Les offres faites ont pourtant été jugées insuffisantes par ses actionnaires qui ont préféré relancer son développement. Que dire donc de la valeur d'un Oscaro alors déficitaire qui, lui, perdait 54,2 millions d'euros en 2018, s'ajoutant aux -12,7 millions de 2017. En 2018, son chiffre d'affaires avait reculé de 11,2% en un an, passant de 324,5 millions à 278,4 millions. Son résultat d'exploitation s'enfonçait parallèlement à -40 millions...

Et si notre confrère enfonce une porte ouverte, c'est parce qu'évidemment, tôt ou tard (et peut-être même très bientôt), PHE sera revendu avec ses filiales, dont Oscaro. C'est inscrit dans les gènes même de tout investissement fait par Bain Capital, que ce soit dans PHE ou ailleurs.

Habiller ou “casser” la mariée ? Il faut choisir...

A tout le moins, on n'habille pas une mariée avant de l'envoyer à la casse, comme l'introduction de l'article d'Infodujour le laisse entendre. Si on l'habille, c'est plutôt pour lui trouver un époux-repreneur... Ou peut-être et tout simplement, pour lui trouver une juste place dans un nouvel ensemble.

Car en l'occurrence, le repreneur semble prioritairement vouloir repositionner Oscaro pour le rendre complémentaire à l'activité de vente traditionnelle de pièces de PHE (voir «Découvrez l’Oscaro tout nouveau, tout beau…»). Ce qui n'est pas le plus simple, tant le site a historiquement construit son succès en s'opposant ouvertement au marché “classique” de la pièce, à ses prix comme à ses acteurs, marché qu'incarne le repreneur. Si PHE donc voulait rendre rapidement la mariée belle pour pouvoir la céder, ce ne serait sûrement pas en amendant le business model initial d'Oscaro, qui reste aussi celui de ses concurrents...

Reprocher dès lors cette double intention contradictoire -préparer une revente ou risquer une fermeture- est donc aussi absurde que d'accuser Oscaro de vouloir être -enfin- rentable. En outre, vouloir ramener cette entreprise structurellement déficitaire à l'équilibre, voire au profit, n'est pas une exclusivité du capitalisme américain, aussi abrupte soit-il généralement avec les salariés.

Comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...

 

25% de licenciements pour faute ? Vraiment ?

Parce que le marché de l'emploi digital est tonique, on peut croire que, comme l'a dit Jan Löning, le patron d'Oscaro, à notre confrère infodujour, «trois-quarts des départs [l'ont été] à l’initiative des salariés. Il y a eu beaucoup de fins de contrat et de démissions».

Certes, le même Jan Löning aurait en revanche pu s'abstenir d'expliquer ensuite à notre autre confrère Décision Atelier que «seule une trentaine de licenciements a eu lieu pour des raisons classiques de fautes». Car si ce dernier quart des 120 départs est vraiment fondé sur des motifs fautifs, cela n'aurait cette fois rien de classique, surtout après un changement de propriétaire. Voilà qui pourrait rendre effectivement suspicieux car matérialisant la férocité d'un plan, voir même justifier une enquête a posteriori de l'inspection du travail... Jan Loning a-t-il maladroitement confondu “licenciement pour faute” avec “licenciement pour inadéquation du poste et/ou du collaborateur” ?

Jean-Marc Pierret
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