Les pièces d’occasion peinent -logiquement- à s’imposer

Jérémie Morvan
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Une récente enquête de notre confrère 60 Millions de consommateurs révèle une résistance des réparateurs à la pièce d'occasion. Pire : elle relève que certains garages refusent purement et simplement de monter ce type de pièces… Mais est-ce aussi simple ? Et surtout, la résistance des réparateurs est-elle si suspecte et si critiquable ?
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Voir aussi sur le même sujet : «Pièces de réemploi et réparateurs : des réalités trop oubliées».

Ce n'est bien sûr pas la première fois que la presse grand public et consumériste s'attaquent à ce dossier (voir «Pièces de réemploi : France 2 en remet une (vilaine) couche»). Dans son numéro 555 du mois de janvier, notre confrère 60 Millions de consommateurs s’est à son tour penché, à travers une «enquête client mystère» réalisée entre mi-septembre et mi-octobre 2019, sur l’usage des pièces issues de l’économie circulaire (PIEC) -pièces en échange standard ou pièces d’occasion- par les professionnels dans le cadre de l’entretien-réparation des véhicules de leurs clients.

A travers trois scenarii -une Renault Clio III 1,5 DCi de 2012 en quête d’un alternateur, une VW Golf V TDI de 2007 ayant besoin d’un nouveau rétroviseur gauche ainsi qu’une Peugeot 207 1,4 HDI de 2010 nécessitant un nouveau phare droit- les journalistes se sont adressés à plus de 300 professionnels issus de toute la France, concessionnaires, agents ou réparateurs indépendants, afin de vérifier si la loi était respectée dans les faits. Les professionnels ont été sollicités par téléphone, avec trois relances maximum pour obtenir les informations.

Si le marché des pièces d’occasion a de tout temps existé, les PIEC ont acquis leurs lettres de noblesse par le biais de la Loi Royale. Depuis 2017, les professionnels de l’entretien-réparation auto ont ainsi obligation de proposer ce type de pièces à leurs clients automobilistes. Elles ont de ce fait, hors exceptions liées à la sécurité du véhicule (pièces pour les fonctions freinage, liaison au sol, trains roulants), été "poussées" législativement parlant pour être davantage montées sur les véhicules dans le cadre de leur entretien-réparation.

A l’objectif purement écologique poursuivi par la loi vient s’adjoindre une évidente vertu économique. Et le magazine consumériste ne manque pas de souligner qu’à cet égard, la vertu n’est pas mince : alors que SRA soulignait en octobre 2019 que le prix des pièces avait connu une augmentation de 6,3% sur 12 mois lorsque l’inflation n’avait augmenté que de 1%, les PIEC représentent une belle alternative pour les automobilistes en manque de moyens, «de deux à trois fois moins chères que les neuves», précise le média.

Cette seconde enquête de 60 Millions sur le sujet (la première avait été réalisée en avril 2017, soit 4 petits mois après l’entrée en vigueur de la loi), ne manque pas d’interpeller sur le très faible taux de pénétration des PIEC sur le marché de la rechange deux ans après l’entrée en vigueur du décret…

Echange standard : bien dans les mœurs

Pour ce qui concerne la pièce mécanique, en l’espèce l’alternateur de la Clio III, nombreux ont été les professionnels à proposer aux clients mystère une pièce en échange standard : ils ont en effet été 68% dans ce cas. Plus économique (532 € en neuf contre 485 € en échange standard selon 60 Millions de consommateurs), l’offre existe en outre depuis des décennies tant en rechange constructeur qu’en rechange équipementière. Les pièces, dont le process de remanufacturing est normé par les équipementiers de rang 1, sont garanties et inspirent confiance. Le pli a donc été pris par les pros.

Toute autre est la situation pour l’alternateur en occasion : seuls 2% des professionnels sollicités ont en effet spontanément proposé cette alternative. Après relance des journalistes demandant expressément de la pièce d’occasion, la part augmente sensiblement -9%- mais reste toutefois très basse. Cela semble d'autant plus dommage en ces périodes où le client est toujours plus regardant sur le prix que l’alternateur d’occasion est encore bien plus abordable que sa version en échange standard : 161 € en moyenne, souligne le magazine.

Noté également par l'enquête : 21% des pros contactés ont purement et simplement refusé de poser une pièce de réemploi, échange standard inclus…

Carrosserie : pièces d’occasion à la peine

Concernant les deux pièces "de robe" pour la Peugeot 207 et la Golf V, c’est une toute autre histoire. La proportion de professionnels proposant spontanément une pièce de réemploi est en effet particulièrement faible : 9% pour le phare droit de la Peugeot et 8% pour le rétroviseur gauche de la VW… Soit moins d’un professionnel sur dix !

Certes, après relance des clients mystère demandant expressément à ce que la pièce montée sur leur véhicule soit une pièce issue de l’économie circulaire, les résultats s’améliorent, passant à 26% dans les deux cas. Soit, en ajoutant les propositions spontanées, un tiers des cas. En creux, cela signifie que deux tiers des pros refusent de monter des PIEC…

Le magazine relève dans ces deux scenarii que les carrossiers sont plus enclins à proposer spontanément une PIEC pour leurs clients que des ateliers mécaniques. Ce qui n'est guère surprenant, vu les recommandations des assureurs et la pression des experts, même quand le jeu n'en vaut pas nécessairement la chandelle. A ce titre, 60 Millions de consommateurs adresse une dernière pique aux réparateurs sans enseigne sollicités au travers de son enquête, visiblement les moins prompts à porter la pièce d'occasion.

«Les résultats ne sont pas bons», résume donc le magazine.

Un marché structurellement marginal

Voilà pour les constats de l'enquête. Mais le magazine consumériste a-t-il vraiment cherché à comprendre pourquoi la pièce de réemploi n’est pas plus systématiquement proposée aux consommateurs ?

La principale raison invoquée par les professionnels reste la difficulté à trouver la bonne pièce. Car la pièce d'occasion est victime d'une évidence trop souvent oubliée : les plus recherchées sont généralement les plus souvent détruites dans d'autres chocs.

C'est pourtant mathématique et c'est aussi la raison pour laquelle peu de professionnels connaissant ce marché le voit un jour dépasser 2,5% à 3,5% du volume total des pièces remplacées. Mais cela, les consommateurs, hypnotisés par la promesse d'une pièce moins chère, n'en sont pas pas plus conscients que les journalistes grand public. Quant aux réparateurs, ils ne savent peut-être pas non plus l'expliquer.

Par ailleurs, les délais de livraison, de par l’éloignement entre la pièce dénichée et le lieu de réparation, peuvent dans bien des cas être incompatibles avec la réactivité demandée par le client automobiliste. Sans compter que le bilan carbone d'une pièce d'occasion devant traverser toute la France risque bien d'effacer l'apparent gain écologique d'une seconde vie. Mais cela, c'était aussi sûrement trop attendre d'un législateur qui ne s'est guère posé d'autres question que l'impact électoral qu'il espérait de la promesse d'une pièce moins chère...

La méfiance des professionnels

Ensuite, il ne faut pas oublier non plus que le professionnel dispose dans la loi d’une marge de manœuvre par rapport à la proposition systématique de pièces de réemploi aux clients, ce que rappelle quand même 60 Millions de consommateurs. Ils peuvent ainsi s’en dispenser «lorsque les interventions sont réalisées à titre gratuit, dans le cadre d’une garantie contractuelle ou d’un rappel». Ils conservent aussi une certaine latitude «s’ils estiment qu’il y a un risque pour l’environnement, la santé publique et pour la sécurité routière».

Mais c'est peut-être bien dans ce dernier point que réside un autre frein majeur à la démocratisation des pièces de réemploi dans les ateliers : la méfiance des réparateurs vis-à-vis de la pièce d’occasion semble aussi provenir de précédentes déconvenues avec des pièces de ce type. «Les réparateurs évoquent leur mauvaise expérience avec des centres qui n’avaient pas un niveau de qualité suffisant», explique ainsi Laurent Assis-Arantes, président d’Opisto, dans cette enquête.

Et là encore, on oublie qu'une pièce de carrosserie d'occasion doit être poncée, décapée, parfois redressée, ce qui efface souvent une belle partie de la promesse théorique d'un prix attractif par rapport au neuf. Sans oublier qu'en cas de défaillance d'une pièce d'occasion, c'est le réparateur qui sera cherché, en vertu de son obligation de résultat légale...

Certes, les réseaux tels Caréco et Indra, des acteurs de la PIEC comme Back2Car (Alliance Automotive Group) ou Opisto œuvrent pourtant depuis plusieurs années pour professionnaliser la filière et permettre une traçabilité et une qualité de la pièce en constante progression. Mais chat échaudé craint l’eau froide…

Jérémie Morvan
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