Va-t-on avoir -enfin- les vrais chiffres du parc auto français?

Jean-Marc Pierret
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En annonçant que le parc français compte 39,3 millions de VP en circulation et non pas 33, AAA Data vient certes d'enfoncer une porte déjà entr'ouverte. Reste que son travail de fond pour parvenir à chiffrer précisément cette évidence ouvre, lui, des perspectives de compréhension inédites...
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Depuis de longues années, La France de l'après-vente automobile vit avec des chiffres de parc pour le moins incertains. Ils déterminent pourtant bien des stratégies qui, pour ceux qui ont aussi les moyens de les enrichir avec d'autres datas, conditionnent même des implantations très pointues d'ateliers de réparation, des projections de ventes et de stocks, des positionnements-prix, etc., etc.

Erreur partagée = vérité commune

Pour mémoire, selon le CCFA (Comité des Constructeurs Français d'Automobiles), le parc français se composait en 2018 de :

  • 32,70 millions de VP, soit 82,8 % du parc ;
  • 6,171 millions de VU (inférieurs à 5 tonnes) ;
  • 0,631 million de VI, bus et cars (supérieurs à 5 tonnes).

Soit 32,7 millions de voitures particulières roulantes dont l'âge moyen était alors proclamé à plus ou moins 9 ans.

Même si la plupart des observateurs savaient ces chiffres pour le moins approximatifs, tout le monde avait fini par s'en accommoder. Il en va des chiffres officiels comme des sociétés d'études qui réussissent à imposer leurs données en standards absolus : qu'importent en effet les éventuelles erreurs si tout le monde les considèrent comme référentielles et les utilisent...

La "révélation" de AAA Data

Mais comme dit la pub, «ça, c'était avant». Avant que AAA Data, l'entreprise spécialisée dans le traitement des données d'immatriculations en France, ne chausse de nouvelles lunettes. Il vient de proclamer un peu pompeusement que, «après 2 ans d’analyse, AAA Data, l’expert de la donnée augmentée, est en mesure de fournir les chiffres exacts des véhicules roulants en France». Il accouche c'est vrai d'une tout autre réalité : il y a en fait non pas 33 millions de VP sur les routes françaises, mais... 39,3 millions ! Et ils n'ont pas 9 ans, mais 10,6 ans d'âge.

Eric Girot, DG de AAG, avait deux ans d'avance Eric Girot, DG de AAG, avait deux ans d'avance.

La révélation serait impressionnante si elle n'était déjà largement connue. Dans un article de 2016 (voir «Le parc automobile français est plus vieux qu’il ne le dit !»), AAA Data aurait pu découvrir ce que nous disait alors Eric Girot, le DG d'Alliance Automotive Group.

Pour découvrir ces chiffres déjà hérétiques au vu du dogme officiel, il n'avait eu nul besoin d'ordinateur quantique, d'intelligence artificielle ultime, d'alchimie secrète ou d'âme vendue au diable. Une simple étude de marché, réalisée dans le cadre du déploiement du groupe de distribution sur le marché de la pièce d'occasion, lui avait permis de constater qu'il y avait alors, en fait, 38,65 millions de VP roulants âgés en moyenne de 10 à 10,5 ans.

La comptabilisation de véhicules statistiquement oubliés

Il suffisait juste de comprendre que la statistique couramment admise en matière de parc était en fait calculée... sur les seuls véhicules de moins de 15 ans roulant en France. «15 ans, cela limite la base du calcul aux seuls véhicules datant de 2001 ou moins», soulignait alors E. Girot. Soit 16 % de véhicules statistiquement écartés.

Une simple addition lui avait alors suffi pour le constater. Ces 16 % de véhicules oubliés transformaient les 32,4 millions de VP alors officiels en 38,65 millions réellement roulants en 2016. Une rapide règle de trois avait ensuite permis de corriger le chiffre officiel de 8,8 ans d’âge en une fourchette de 10 à 10,5 ans. CQFD…

Vous l'aurez compris : si nous égratignons ainsi AAA Data, c'est surtout pour sa communication qui a paresseusement choisi de claironner une évidence habillée en divine révélation. Mais nous serions injustes si nous ne soulignions pas aussi l'importance du travail de refondation des statistiques du parc qu'il vient d'achever.

Changement de paradigme
Julien Billon, DG de AAA Data. Julien Billon, DG de AAA Data.

Car en deux ans de traitement du fichier des cartes grises, il a notamment pu circonscrire, soigner et guérir enfin une vieille plaie ouverte du parc : ces 13 autres millions de véhicules-fantômes dont on ne savait pas s'ils étaient encore sur les routes françaises ou pas, oubliés au fond d'un garage, d'une grange, d'un ravin ou digérés depuis longtemps par une casse ayant omis de remonter l'avis de destruction.

Étranger à ces réalités, le fichier des cartes grises, lui, continuait à comptabiliser sans vergogne quelque 52 millions de voitures. Ainsi, «selon ces données administratives brutes, les véhicules immatriculés avant 1997 pèseraient encore 20 % du parc, détaille Julien Billon, DG de AAA Data ; mais en réalité, cette proportion tombe à 4 % une fois identifiés les véhicules effectivement en circulation», souligne-t-il.

Et quand on regarde par exemple les plus de 15 ans (du 1,38 million de VP roulants en 2004 jusqu'aux 9 102 restants de 1980), on arrive tout de même à 22,3 % des 39,3 millions de VP recensés sur nos routes par AAA Data...

Et ça, c'est un réel changement de paradigme. Parce que la connaissance précise des véhicules circulants, a fortiori ceux qui sont les plus anciens, est devenue hautement stratégique.

Identifier clairement les vrais potentiels

Tout particulièrement en ces temps nouveaux où, pour faire simple, les constructeurs veulent conquérir l'entretien-réparation des véhicules âgés pour assoir leur CA pièces et conforter leurs réseaux. Où les acteurs multimarques font, eux, le chemin inverse en lorgnant sur l'entretien-réparation des véhicules récents (liés aux flottes notamment), pour ne pas voir leurs parts de marché se réduire...

Ce travail de vérité des chiffres va également se ressentir localement, puisque les acteurs de l'entretien-réparation, mais aussi du VO, vont pouvoir enfin connaître la nature exacte du parc cantonal et départemental. C'est ainsi que le communiqué de AAA Data souligne que le Nord est le département le plus dense en automobile (1,4 million de voitures) ou que les Hauts-de-Seine détiennent la plus grosse part de véhicules d'entreprises (32 %), devant Paris (26 %), quand la France entière n'en compte que 7,3 % en moyenne selon AAA Data.

Ou encore, que «certains départements ruraux comptent jusqu’à 8 % de véhicules datant d’avant 1997 (Ariège, Creuse, Dordogne, Lot)», poursuit J. Billon, soit cette fois le double de la moyenne nationale de 3,81 %. Il y aurait sûrement moins de gilets jaunes si le gouvernement l’avait su plus tôt…

Le téléphone de AAA Data va beaucoup sonner...

La révolution qu'inspire le comptage réputé parfait de AAA Data peut évidemment aller plus loin. La réintégration de l'identification des véhicules très anciens va permettre aussi de mieux étudier la segmentation des ventes de pièces telles celles inspirées par le Do It. Pour les acteurs de la vente en ligne par exemple, toucher grâce à AAA Data des ménages à faible pouvoir d'achat et aux véhicules anciens finement identifiés peut être très utile.

«L’intérêt d’un comptage précis et détaillé est évident pour les services logistiques de pièces, qui peuvent adapter les stocks à la nature exacte du parc local», ajoute-t-il. Quant aux services marketing des constructeurs, des équipementiers comme des têtes de réseaux, les voilà sur le point de revisiter tous leurs chiffres à l'aune d'un parc presque 18 % plus gros que celui sur lequel eux et les sociétés d'études travaillaient jusqu'alors.

On peut par exemple se poser quelques bêtes questions au vu de ces nouveaux chiffres. Y a-t-il bien 38 millions d'entrées-atelier par an ? Y a-t-il vraiment 1,2 entrée-atelier par an et par véhicule en France ? Et pourquoi diable y a-t-il, pour les 8 dernières années du nouveau parc “made in AAA Data”, plus de voitures en circulation que de voitures immatriculées ces mêmes années (voir encadré) ? Soyons-en sûrs : le téléphone de AAA Data va beaucoup sonner.

En attendant, l'entreprise va-t-elle faire le même tri dans les parcs VUL, VU, VI et Autocar & bus ? «Nous y pensons, reconnaît J. Billon. Le même travail peut aussi avoir beaucoup de sens pour les motos. Mais nous avons l'habitude de ne communiquer que lorsque nous sommes prêts».

 

Plus de véhicules en parc que de voitures immatriculées les mêmes années ?

Il restait un grand mystère à comprendre dans ces nouveaux chiffres. En comparant les parcs annuels aux immatriculations il y a, chaque année entre 2012 et 2019, plus de VP en parc… que de VN immatriculés :

Entre 2012 et 2019, on trouve ainsi quelque 656 659 VP en plus dans le parc que n'en a immatriculé le marché français pendant la même période. Jusqu'à 145 545 de plus en 2017 (mais curieusement, de seulement +1 115 en 2014). A Partir de 2011, le solde devient plus logiquement négatif. Il s'accroît logiquement année ancienne après année ancienne, jusqu'à ce que les sorties de parc commencent à dépasser le million à partir de 2002 et les 2 millions dès 1996-1995.

Rien de surprenant à voir le parc récent plus dense que les immatriculations, nous explique AAA Data. L'entreprise nous rappelle que le parc se nourrit d'autres flux que les seuls VN immatriculés. C'est le cas des retours de sorties administratives «concernant les procédures expertises (rapports 1 et 2), mais aussi les VHU reconstruits, les immobilisations et oppositions (suite à infraction, huissier, trésor public…)». Dont acte, même s'il nous semble que ces retours de sorties administratives doivent rester relativement marginales en volumes.

Mais AAA Data nous rappelle aussi que la France est «un pays d’importation de VO 0km ou VO récents (cf. les mandataires qui sourcent en Belgique, Italie, Espagne etc.)». Autant de sources complémentaires qui expliqueraient à elles seules le reste du différentiel entre immatriculations et parc qui nous titille tant. Le tout, sans oublier bien sûr les "vrais" VO respectablement kilométrés qui s'en vont (les pays de l'Est se sont spécialisés dans nos vieux diesel), plus ou moins compensés par ceux qui entrent en France. A savoir tout de même qu'au milieux de tous ces flux, AAA Data garantit l'identification des années de 1ère mise en circulation et rend tous ces VO migrants à leurs années natives respectives.

A préciser : notre tableau ci-dessus «est factuellement faux», nous explique AAA Data, car «plusieurs années se sont écoulées avec des entrées nouvelles et des sorties». Certes, ces flux sont dynamiques alors que notre soustraction est statique. Mais même indicatif, nous le publions quand même. L'exercice montre au moins à quel point le parc s'enrichit de ces flux...

Reste que toutes ces explications ne nous empêcheront pas de penser que nos amis constructeurs doivent aussi jouer un rôle dans ces “sur-chiffres”. En s'échangeant par exemple entre pays des véhicules tactiquement immatriculés ici ou là.

Mais après tout, d'un strict point de vue après-vente, qu'importe le flacon, pourvu que les acteurs de l'entretien-réparation aient l'ivresse d'un parc roulant plus vaste -et plus précis- qu'ils ne le pensaient...

Jean-Marc Pierret
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