Scenarii après-Covid-19: vers un retour en grâce des voix industrielles automobiles? (1ère partie)

Jean-Marc Pierret
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Pour garder le moral pendant que la vague virale ballotte en tous sens l'économie, l'industrie automobile et les entreprises de services, on peut déjà commencer à se demander comment peut s'organiser une sortie de crise forte des constats qu'elle nous aura forcé de prendre en compte. Cette première partie réfléchit à la façon dont les constructeurs, en tête de la chaîne alimentaire de tout le secteur, pourraient convertir en opportunités les risques monstrueux qui frappent à leur porte...
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L'abîme dans lequel le confinement plonge les marchés VN et VO pour de longs mois est inédit par sa rapidité et sa profondeur (voir «La grande boucherie a commencé»). En moins d'un mois selon un récent calcul de l'association européenne des constructeurs (ACEA), 1 110 107 emplois automobiles sont déjà affectés par les fermetures d'usines à la suite de la crise du Covid-19. Et ce chiffre ne concerne que les personnes directement employées par les constructeurs VP et VI. «L'impact sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement automobile (Ndlr : équipementiers compris) est encore plus critique», s'alarme l'association.

Et ce n'est qu'un début, mais qui n'empêche pas de tenter de se projeter. «La vraie question, c'est désormais : “quelle sortie de crise pour l'industrie automobile ?”», confiait récemment Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem de l'Automobile.

Redémarrer la production automobile au plus vite ?

Pour lui, le redémarrage s'annonce inévitablement lent et incertain : «D'une part, les particuliers ne vont pas se précipiter en concession pour acheter une nouvelle voiture. D'autre part, les entreprises seront fragilisées et leur priorité ne sera surtout pas de changer de voitures. Donc tous les canaux seront à l'arrêt», expliquait-il à l'AFP.

Jacques Aschenbroich, président de Valeo, considère qu'il est urgent de remettre les usines automobiles dans le sens de la production. «Il faut absolument, sans aucun compromis sur la santé de nos collaborateurs, qu'on se prépare au redémarrage de nos usines [...] probablement dans la deuxième moitié du mois d'avril». Souhaitable certes, mais encore faudra-t-il réussir à en convaincre des salariés qui, non seulement cultivent une rancune croissante envers leurs cadres protégés par le télétravail, mais aussi des craintes légitimes quant à la sécurité sanitaire de leurs postes de travail.

Témoin, les tensions de ces derniers jours rencontrées chez Oscaro, chez l'équipementier AML Systems, mais aussi chez PSA souhaitant lui aussi relancer ses productions au plus vite. «La reprise d'activité ne pourra s'envisager qu'après le pic de l'épidémie dans notre pays», estimait lundi Olivier Lefebvre, délégué central de FO, centrale principale chez le constructeur. Il soulignait en passant l'incompréhension des salariés quant à cette volonté de se remettre au plus vite à assembler des voitures «qui ne sont pas vendues».

Il est bien sûr un peu tôt pour savoir quand, comment et à quel rythme nos industries, automobiles et autres, se remettront en route. L'exemple chinois sera sûrement porteur de certains enseignements. Mais son contexte politique et économique n'est sûrement pas assez transparent et de toute façon, difficilement transposable pour l'instant.

Restons-en aux conjectures sourcées aux passés de l'automobile. Parfois, connaître l'histoire n'évite pas nécessairement qu'elle se reproduise. Et parfois, il est même nécessaire qu'elle bégaie.

S'appuyer sur les démonstrations de la crise

Déjà, les constructeurs commencent à se manifester au niveau européen sur le terrain des coûteuses normes environnementales qui les pénalisaient déjà avant-crise sanitaire. Car la situation actuelle va leur permettre de remettre leurs dossiers sur le haut de la pile.

Ils ne manqueront pas d'agiter ce constat fait actuellement dans toutes les capitales gelées par le confinement : certes, le taux de CO2 baisse ; certes encore, les premiers jours de confinement ont engendré une diminution de la pollution au dioxyde d’azote (NOx) de -30% dans l’agglomération parisienne, a souligné AirParif dans un post.

Mais en revanche, les particules fines qui ont tant assombri l'image des moteurs thermiques en général et du diesel en particulier s'acharnent, elles, à être présentes dans l'atmosphère. Et parfois même jusqu'à déclencher des alertes-pollution alors que les voitures ont quasiment toutes déserté l'asphalte, partout dans les pays européens pourtant confinés...

Visiblement et enfin, démonstration est faite que ce sont bien les vents d'Est qui continuent de rabattre sur nous les particules de toutes natures et non pas seulement celles de ces gaz d'échappement qui ont obscurci, jusqu'à l'obscurantisme écolo-bobo, beaucoup trop d'esprits durant ces dernières années.

Patrice et surtout Fabrice Godefroy (tout à son rôle d'expert mobilité et environnement pour 40 millions d'Automobilistes), tous deux dirigeants d'IDLP et grands spécialistes du diesel, ne ratent jamais une occasion de traquer ces vents continentaux et leurs effets. Ils n'ont évidemment pas résisté à ce constat du 28 mars dernier, alors que les routes étaient quasiment désertes :

Pire (ou mieux selon les convictions) : «On retiendra qu'un jour de confinement, on était en pic de pollution aux PM 2.5. Ces particules fines sont encore plus dangereuses que les particules “dites grossières” ou PM10», soulignait alors Nicolas Meilhan, conseiller scientifique au sein de France Stratégie. Et ça vient d'être encore le cas à Paris le 2 avril, nous a fait savoir Fabrice Godefroy qui ne se prive logiquement pas d'une occasion supplémentaire de souligner la complexité de ce dossier trop souvent résumé à la seule existence automobile...

En Italie aussi, pourtant en avance d'une semaine de confinement sur nous, Marc Aguettaz, directeur de GiPA Italie, faisait d'ailleurs le même constat dans notre article «les enseignements italiens» : la pollution aux particules fines restait élevée dans les métropoles transalpines pourtant nettoyées de leurs automobiles.

Remettre en cause les exigences environnementales et, sur le métier... les primes à la casse ?

Comme nous tous, les constructeurs se seraient sûrement et évidemment passés de cette expérimentation grandeur nature. Mais contre mauvaise fortune... bons chœurs. Ils vont inévitablement pouvoir hausser le ton et faire mieux entendre leur voix. N'en doutons pas : ils sauront s'appuyer sur cette quasi “démonstration par la crise” d'une relative marginalité polluante des autos pour repartir à l'assaut d'une Europe trop vertement orientée anti-véhicules.

En sortie de crise, exsangues comme ils le sont déjà, ils seront évidemment prompts à expliquer qu'il faut au moins un moratoire aux gigantesques investissements exigés pour dépolluer, plus que de raison selon eux, leurs productions automobiles. Ils sauront aussi probablement s'appuyer sur le thème émergent de la souveraineté, arguant que “full-électrifier” à marche forcée le parc revient à livrer l'industrie automobile européenne aux griffes du premier producteur mondial de batteries qu'est la Chine. D'autant que les champions de la motorisation thermique propre sont européens, constructeurs et équipementiers compris.

Et ils sauront sûrement tous plaider pour un retour des primes à la casse, à une massive échelle européenne, au motif d'éviter cette autre casse, sociale cette fois, dans les millions d'emplois européens intimement liés à leur industrie. Le tout, en rajeunissant le parc par des productions moins polluantes, principalement hybrides-rechargeables probablement, tant il est vrai que le débouchés fétiche du VN reste dans ces grandes conurbations où les trajets sont courts, donc adaptés à l'hybridation, surtout si elle est rechargeable...

Du jus de crâne infondé ? Le lendemain de la rédaction de cet article, le CNPA a d'ailleurs confirmer la mise en branle de ces deux questions (voir «Le CNPA plaide pour un plan de relance responsable»). Dans le cadre de son plan de relance R3, il n'exclut pas de demander une nouvelle prime à la conversion pour aider notamment les distributeurs VN/VO à destocker les véhicules qui dorment actuellement dans leurs stocks. Et il annonçait que l'ACEA a l'intention de demander la suspension des pénalités liées à la norme de limitation des émissions de CO2, fixées à 95 g/km.

Quand on vous dit que l'histoire automobile va avoir besoin de bégayer...

Le Diesel, option réhabilitable?

Les constructeurs et les équipementiers en profiteront-ils pour tenter en passant une réhabilitation d'un diesel qui, de façon inaudible ces dernières années, a pourtant achevé son sevrage en particules et en NOx comme l'a prouvé Bosch en fin d'année dernière dans une alors bien trop vertes indifférence générale (voir «Le diesel reste une solution de demain…»)?

Car toutes passions et autres passionarias remises à leur place par l'urgence économique et sociale dans laquelle nous allons longtemps rester, tout syndrome VW enfin occulté -même si sa tragique culpabilité pour le monde automobile n'a guère été sanctionnée dans ses résultats-, le diesel reste de toute évidence un excellent candidat qui semble avoir bien bossé son sujet écologique. À lui seul, il peut aussi réinscrire à la baisse les émission automobiles de CO2 qui se sont envolées à l'occasion du “tout essence”. Car il consomme toujours 20% de carburant en moins, donc émet 20% d'oxyde de carbone en moins.

En ces temps où il va encore une fois falloir réinventer l'industrie automobile, cette réhabilitation inespérée du diesel, certains constructeurs et équipementiers ne doivent même plus l'exclure...

Prochain article : que peut espérer ou craindre l'après-vente automobile de l'après-Covid-19 ?

Jean-Marc Pierret
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