Les troublants mystères statistiques du contrôle technique

Jean-Marc Pierret
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Des taux de conformité du parc étonnamment hauts, des taux de défaillances incroyablement bas et ce, dans des départements pourtant peu réputés en matière de pouvoir d'achat et d'entretien de parc roulant. Les statistiques officielles du contrôle technique français recèlent quelques aberrations qui, aussi surprenantes et évidentes soient-elles, ne semblent pas susciter de réaction des pouvoirs publics ou des têtes de réseaux de contrôle technique...
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Les deux tableaux ci-dessus et ci-dessous suffisent à un premier voyage initiatique dans les paradis départementaux où le climat est propice aux parcs mal entretenus. Pour le comprendre, suivez le code couleur : en rouge, les chiffres qui suscitent l'étonnement ; en vert, ceux qui semblent plus près de la réalité socio-économique.

N'importe qui peut d'ailleurs s'essayer à l'exercice, puisque ces chiffres sortent des très officielles statistiques de l'Utac-OTC de 2019 qui recense, chaque année, les taux de défaillances majeures et maintenant critiques par départements. Un coup de tableur Excel suffit pour comparer chaque chiffre à la moyenne nationale.

En prenant quelques départements symptomatiques, force est de le constater : il y a quelques endroits, dans notre belle République, où il fait bon passer son contrôle technique et ce, qu'il s'agisse de voitures particulières ou de véhicules utilitaires légers.

Corse et Seine-Saint-Denis, paradis automobiles

Bienvenue en Corse par exemple, où visiblement, le parc VP (véhicules de particuliers) est merveilleusement suivi du Nord au Sud de l'île de Beauté. Non seulement le taux de conformité est 5 points supérieur à la moyenne nationale, mais le taux de défaillances critiques y est 50% inférieur au reste de la France. Et en matière de VUL (véhicules utilitaires légers), mieux vaut cette fois grimper en Haute-Corse. La conformité y est 6 points supérieure à la moyenne et le taux de défaillances critiques, inférieur de 57% !

Partons maintenant en Seine-Saint-Denis, où le taux de pauvreté atteint 26,9% quand il n'est “que” de 14,3% pour la France métropolitaine. Dans ce département réputé économiquement et socialement sinistré, le peu d'argent disponible passe visiblement dans l'automobile. Là-bas, le taux de conformité atteint 87,74% quand il plafonne à 81,44% à Paris et à 83,43% dans les Hauts-de-Seine, autre département où la vétusté du parc roulant ne nous semblait pourtant pas criante.

Dans le “9-3” en effet, on bichonne sacrément son auto et on ne badine pas avec l'obligation réglementaire. Le taux de défaillances VP toutes catégories est 42,17% sous la moyenne nationale, et celui concernant les défaillances critiques frôle les -49% ! Et que dire des VUL de ce département : il y sont conformes à 88,11% (presque 10 points de mieux que la moyenne nationale) et les défaillances critiques s'effondrent à -52,11%...

Mais qui fera la police ?

Pour que comparaison soit raison, nous sommes aussi passés par Mayotte, la Guadeloupe et la Guyane dont les parcs roulants sont notoirement défaillants. Cette fois, les logiquement faibles taux de conformité semblent bien plus en phase avec les pourcentages de défaillances constatés. Mayotte jouit toutefois d'une surprenante particularité locale : alors que le taux de conformité du parc est le plus bas de France (61,33% en VP et 56,86% en VUL), le taux de défaillances critiques semble assez miraculeusement faible en VP (-11,36%) comme en VUL (+2,11% seulement).

Et encore ne s'agit-il là que de moyennes départementales. L'Utac-OTC bénéficiant, centre de contrôle par centre de contrôle, des remontées quotidiennes, il devrait lui être assez facile d'identifier en temps réel ces ilots de sécurité routière où il fait bon rouler puisque le parc doit y être quasi-parfait. Si les statistiques sont aussi évidentes au niveau départemental, elles doivent être encore plus criantes pour chaque centre de contrôle concerné...

Notre question, vous l'aurez comprise : veut-on seulement soulever le problème et donc le traiter ? Ces aberrations statistiques se voyant, depuis longtemps d'ailleurs, comme un VO de 20 ans d'âge au milieu d'un pimpant parc VN, comment diable sont-elles encore possibles ? Et surtout, sans que ni les pouvoirs publics, ni les réseaux de contrôle qui accueillent sous leurs bannières tout de même 5 000 des 6 000 centres français, ne semblent s'en émouvoir.

Il est donc temps que les uns comme les autres se penchent sur les raisons probablement évidentes de ces étranges disparités régionales. Tôt ou tard sinon, comme cela s'est produit en Belgique, tout le secteur devra faire une douloureuse et pénalisante révolution pour quelques excès locaux seulement.

Il y a bien sûr une autre explication possible : la non-fiabilité des statistiques de l'Utac-OTC. Mais nous avons la faiblesse de penser que, dans ce cas-là, le problème aurait déjà été réglé...

Nous reviendrons bien sûr sur ce surprenant dossier. Et comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...

Cliquez sur le tableau pour l'agrandir.
Jean-Marc Pierret
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