Oscaro et consorts : moins dangereux qu’avant, mais plus incontournables…

Jean-Marc Pierret
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Des rumeurs convergentes disent le mastodonte Oscaro aux plus de 250 millions d’euros de CA en difficulté. Si c'est vrai, c'est en tout cas loin d'être préoccupant, tant il garde des ressources pour rester économiquement serein. Mais la fin de la belle époque des pure-players et les craintes économiques qu'elle suscite ont deux conséquences : moins de différentiel de prix à court terme et surtout, le constat qu'ils sont durablement inscrits dans le paysage du commerce de la pièce car nécessaires à son éco-système...
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Il y a deux bonnes nouvelles pour ceux qui n'aiment pas l’émergence et les effets des sites de vente de pièces en ligne sur leur business. La première, nous vous l’avons déjà annoncée : ce canal arrive, avec plus ou moins 600 millions d’euros réalisés par an, à son quasi-maximum en France (voir «Internet : les pièces en ligne ont mangé leur pain blanc…»). Les sites qui continuent de progresser le font soit parce qu’ils passent de la vente pure et simple au “Buy and Fit” (achat en ligne et montage par un pro, qui n’est que le “web-to-store” propre à la pièce de l’entretien-réparation), soit parce qu’ils continuent à ouvrir de nouvelles gammes, soit parce qu’ils se développent sur d’autres marchés nationaux. Mais pour la seule France, la croissance infinie est bel et bien derrière eux...L’autre bonne nouvelle concomitante, c’est que les réparateurs et distributeurs traditionnels qui vouent encore ce canal de vente aux Gémonies vont donc pouvoir commencer à se détendre pour une autre raison liée. Le business-model de la pièce en ligne et ses volumes croissants à faibles marges est déjà à peine rentable dans le cadre d’une croissance continue (voir «Sites de pièces en ligne : ventes agiles, mais rentabilités d’argile…»). Dès lors que le marché ralentit et tend à stagner, la marge initiale devient donc vite dramatiquement insuffisante. Résultat : les prix internet vont devoir augmenter.Une preuve ? De très malins chefs de produits l’ont constaté pour différentes familles de pièces vendues par Oscaro : le site, en leader incontesté, fixe les prix de son marché et affiche toujours haut et fort de mirifiques remises tutoyant les 60 à 70% ; mais cette façade cache depuis quelques semaines de bien différentes réalités. Si quelques pièces incarnent bien la promesse faite, les gammes concernées ont, elles, savamment et subtilement diversifié les remises au gré des références. Résultat : au global, ces lignes de produits ont parfois pris récemment… jusqu’à 10% d’augmentation de prix. A n'en pas douter, tous les autres sites challengers vont lui emboiter le pas, trop contents de l'aubaine...
Oscaro, plus convalescent que malade...
Voilà qui confirme sûrement les rumeurs récentes sur Oscaro. Des rumeurs qui ont parfois paniqué le monde de la distribution de pièces en lui inspirant aussi, deci-delà, une satisfaction mauvaise. Il s’est effectivement beaucoup susurré que le géant allait sinon mal, du moins nettement moins bien. Ne nous inquiétons donc pas trop pour lui : si ces corrections tarifaires se révélaient insuffisantes, il lui suffirait de réduire encore quelque temps sa bruyante communication pour redresser la barre.Il pourrait surtout ajouter un élagage, sans conséquences fonctionnelles pour lui, d'une partie de cette armée d’intérimaires qu’il entretient toujours. Quand on voit que son challenger Mister-auto affichait 90 millions d'euros de CA en 2013 pour 160 salariés, on se doute qu'Oscaro, qui ambitionne plus de 250 millions d'euros en 2014 pour 800 emplois, a donc encore quelques belles économies structurelles sous le pied s'il en était besoin. Sans compter l'arrivée possible d'un fonds d'investissement que Pierre-Noël Luiggi, patron d'Oscaro, cherche activement...
Vers un différentiel-prix enfin acceptable ?
Si donc les sites se mettent à réinjecter de la marge dans leurs comptes comme un navire insuffle de l’air dans ses ballasts pour remonter sa ligne de flottaison, cela signifie aussi que le climat va s’apaiser dans la guerre entre le web et les “tradi”. Car le différentiel entre “prix web” et “prix atelier” de la pièce va se réduire d’autant. Ne dit-on pas qu’avec une moyenne de 40% maxi d'écart tarifaire entre les deux canaux belligérants, la différence de prix publics deviendrait acceptable ?Bien sûr, cela ne calmera pas le ressentiment de ceux qui, parmi les traditionnels, espèrent toujours voir disparaître ces acteurs qu'ils considèrent criminellement coupables d'avoir dévalorisé le prix facial de la pièce et rendu si désagréables les consommateurs qui comparent les prix. Mais ils devront aussi se rendre à l’évidence : le canal internet est bel et bien installé. Presque institutionnalisé. Oscaro ou pas, Mister-auto ou pas, Yakarouler ou pas, allopneus ou pas, d’autres viendraient les remplacer pour garder la part de marché, comme en leur temps les acteurs de la nouvelle distribution ont pris la leur sans jamais l’avoir rendue depuis. Malgré par exemple la disparition de «Plein Pot», pour ne citer de mémoire que cette enseigne fugace du début de l’ère des fast-fitters…
Intriqués dans l'écosystème de la pièce...
Et d’ailleurs à bien y regarder froidement, faut-il seulement souhaiter la disparition de ces sites de vente en ligne ? Car déjà, ils se sont étroitement intriqués avec les acteurs traditionnels qui font quotidiennement la logistique des équipementiers fournisseurs et des clients-réparateurs. Aussi virtuelle que soit leur commercialisation, les “pièces internet” doivent bien être physiquement trouvées dans leur tissu logistique historique. Des pans entiers du business classique et de ses structures seraient maintenant emportés par le naufrage des sites. A commencer par des plateformes qui servent aussi des distributeurs traditionnels et d’indispensables “jobbers” qui, par ailleurs, font le quotidien logistique de l’entretien-réparation traditionnel. Des plateformes qui appartiennent d'ailleurs parfois… à des groupements traditionnels.Il faut donc bon gré mal gré se faire au voisinage des pure-players. Une fois que l’on a accepté le fait que le canal internet est durablement installé et que ses sites, qu’ils soient ou non sympathiques aux pros, resteront et surtout seraient de toute façon remplacés s’ils venaient à défaillir, que conclure ? Qu’à leur façon, les sites internet ont acquis leur légitimité.Une légitimité marché, donc, consacrée par les clients-internautes. Mais aussi une légitimité économique : ils sont aussi des pourvoyeurs d’emplois directs (les 800 salariés d'Oscaro et les 160 de Mister-Auto méritent évidemment de travailler comme les autres). Et indirects : les sites s’alimentent en France, auprès de fournisseurs équipementiers et de relais logistiques français ou, à tout le moins, basés en France. Ils font donc vivre leurs emplois français.Et puis, on sait ce qu’on a, on ne sait pas qui viendrait après eux : les rapaces qui reprendraient immanquablement leurs dépouilles à la barre des tribunaux de Commerce n’auraient peut-être pas la même culture…
Jean-Marc Pierret
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