Salons réels Vs salons virtuels : les leçons de l’utile « Garage Expo Experience »

Jean-Marc Pierret
Image
On l'attendait, dans le monde de l'auto, cette expérience ultime du salon professionnel digital. Alliance Automotive Group l'a faite avec son inédit Garage Expo. C'est un succès, mais propre à un salon conçu, managé et piloté par un groupement maîtrisant parfaitement son écosystème commercial. Ces résultats montrent aussi, en creux, que le digital peut certes compléter, en l'occurrence suppléer, mais pas remplacer les bons vieux salons traditionnellement physiques et conviviaux...
Partager sur

Garage Expo a donc été un succès (voir « Garage Expo AAG : un salon virtuel au business bien réel »). Bien sûr, tous les exposants n'auront pas vécu la même expérience ni tiré les mêmes conclusions de ce novateur salon totalement virtualisé (voir ci dessous l'encadré « De bien logiques déceptions... »). L'image de la marque de chacun, son attractivité promotionnelle, la nature de ses gammes elles-mêmes, l'inventivité de son stand -ou les priorités du groupement de distribution lui-même- sont tout aussi déterminantes dans le salon virtuel que dans un salon réel.

Et peut-être même plus. Car contrairement à un salon physique où l'on erre au hasard des allées au risque constant et assumé de se faire attraper par bien des filets commerciaux dérivants, un salon digital permet de “se poser” directement sur le stand de son choix, puis de le quitter pour “s'envoler” vers un autre dans une solitaire et immédiate téléportation digitale...

Les habituels leaders de salons

Dans ce salon de réparateurs et de distributeurs où le geste et l'outillage techniques sont prégnants, rien d'étonnant en tout cas à ce que Facom, NAPA (la nouvelle MDD fédératrice et unificatrice d'Alliance Automotive Group) et Bosch aient trusté le podium des stands les plus visités. Et en ces temps où l'équipement de garage conditionne plus que jamais la performance de l'atelier, rien de surprenant non plus à voir un Snap'On dominer le podium des meilleures ventes signées durant les 15 jours d'exposition virtuelle. Ou qu'un NAPA décroche le leadership des ventes de pièces sur ce salon AAG : charité commerciale bien ordonnée commence logiquement par soi-même.

Rien enfin de surprenant à voir Bosch décrocher la place enviée du stand le plus visité. Multiproduits, connu jusque dans les plus petits jardins et les plus recluses des cuisines, Bosch demeure aussi, dans l'auto, un major du diagnostic après avoir été encore récemment un très influent acteur de tout l'équipement de garage...

Comparaison n'est pas raison

Comparons maintenant Garage Expo à sa version physique, soit le dernier « Rendez-Vous Groupauto » qui se déroulaient à Villepinte en novembre 2018. Cette édition classique, répartie sur 18 000 m2, fédérait alors 170 exposants pour un visitorat dépassant 4 000 personnes. La ratio était donc alors de 23,5 visiteurs par exposant contre environ 20 pour Garage Expo (2 500 réparateurs pour 131 stands).

Les esprits chagrins noteront aussi que les Rendez-vous durent un week-end quand Garage Expo s'étale sur quinze jours. Ils auront bien sûr raison. Comme il souligneront aussi que le déplacement physique impose l'implication quand il suffit d'un clic de souris pour s'échapper à tout moment d'un stand virtuel. Il est évidemment bien plus visiblement grossier de partir brutalement en courant d'un stand accueillant que de fermer la fenêtre de son navigateur...

Mais gardons-nous surtout de comparer des choses incomparables. La puissance de la convivialité et de l'engagement des visiteurs et des exposants lors d'un salon “physique” est indiscutable. On y va bien sûr pour une ou deux bonnes raisons, mais on accepte aussi d'être curieux des autres opportunités qui se présentent au fil des allées et des espaces traversés. On sort rarement d'un supermarché sans avoir acheté, en tout cas vu, quelque chose d'autre. Bref, on va aussi au Salon pour flâner, rencontrer, découvrir. Et se laisser faire...

Concept complémentaire, mais pas subsidiaire

En revanche, on fréquente généralement un site avec une mentalité de pilote de Stuka : on vise une cible prédéfinie, on fond dessus en quelques clics et on repart aussi vite. Ce salon digital, s'il a donc réussi, ne le doit qu'à deux conditions qui ne sont propres qu'à lui-même. Grâce à l'encadrement des distributeurs d'un côté et à leur capacité à rameuter leurs fidèles clients. Grâce aussi à la docilité d'exposants-fournisseurs qui, convaincus ou pas, satisfaits ou pas, ne peuvent s'affranchir de l'essentiel : le reste de l'année, leur référencement chez le puissant AAG physique classique fait une partie de leur résultat et espèrent-ils toujours, de leur progression.

C'est bien pour tout cela que ceux qui penseront qu'AAG vient d'inventer le futur d'Equip Auto se tromperont. Tout au plus peuvent-ils imaginer cette digitalisation comme le relais ou l'extension d'un salon physique, le prolongement d'une relation commerciale régulière. Mais en aucun cas, comme la naissance d'une solution alternative.

La force de la convivialité reste au réel

Et allez : pour aller au bout de la comparaison (qui n'est donc pas raison), regardons même du côté d'Equip Auto. Ses derniers chiffres vérifiés par l'OJS (Office de justification des statistiques) remontent à 2017. Il rassemblait alors 997 exposants pour 37 434 visiteurs uniques qui généraient une fréquentation totale de 93 447 entrées (cumul des entrées journalières des personnels exposants et des visiteurs au cours des jours officiels d'ouverture de la manifestation).

Toujours en moyenne, il proposait ainsi 37,6 visiteurs purs et durs par stand contre, donc, 1,3 pour Garage expo. Mais à l'opposé, Equip Auto distillait, en moyenne toujours, 93,72 visites par stand quand du coup, Garage Expo digital en a donc proposé 328 pour chacun des 131 exposants. Mais en n'oubliant pas non plus qu'Equip Auto dure trois fois moins longtemps que Garage Expo. Et si l'on retirait les moult exposants asiatiques-prétextes de notre salon parisien qui ne voient guère de monde, cette moyenne remonterait substantiellement...

Et encore ne s'agit-il là que de moyennes. Et surtout ne faut-il pas tout confondre.

Certes, comme dans la vraie vie des foires, salons et expos, les stands qui font le plein vident de la même façon les autres. Mais contrairement à un Equip Auto ou même à un “Rendez-vous” classique, l'exposant de Garage Expo ne pouvait pas même “attraper” le visiteur digital comme on l'interpelle dans son allée traditionnelle ; pas monter le son pour capter l'attention ; pas même envoyer déambuler hôtes et hôtesses rompus à reconnaître et happer le couple de réparateur ; encore moins leur tendre un canapé pour grignoter ou pour s'assoir, leur proposer des goodies, un gobelet de pop-corn, un café ou un gorgeon de rouge...

La notoriété ne s'invente pas dans le virtuel

La notoriété, si utile dans le commerce classique, devient ainsi fondamentale dans la jungle du web et des réseaux sociaux où surnager parmi des milliards de milliards de sites ou de posts demande une forme digitale olympique...

Au moins le salon physique permet-il, lui, le loisir de se laisser tenter. De découvrir, de voir et de toucher, d'une façon ou d'une autre, ces produits et ces marques dont on a, dans le meilleur des cas, juste entendu parler. Même quand on connaît bien sa ville, on découvre toujours quelque chose de nouveau en prenant le temps de déambuler dans ses rues. L'écran d'un ordinateur, ou même un site aussi rassembleur et malin soit-il, ne va pas pouvoir faire passer ses visiteurs devant plus de quelques pages et entrer dans plus de quelques rubriques...

Merci à AAG de l'avoir fait

En faisant ainsi un test grandeur nature, AAG aura eu plusieurs mérites qui lui reviennent pleinement.

Celui bien sûr d'avoir eu le culot de lever plusieurs inconnues que beaucoup voulaient voir explorées. Dont celle-ci : le salon digital BtoB permet-il d'espérer remplacer les coûteux salons nationaux, régionaux, internationaux ? Le mérite aussi d'avoir mis ainsi les exposants en face de plusieurs réalités, dont celle du poids réel de leur attractivité spontanée et de la qualité de leur marketing relationnel. A eux d'en tirer toutes les conclusions, dont au moins celle-là : le digital ne peut pas tout remplacer, ne peut pas pallier toutes les insuffisances de communication.

Le mérite, enfin, de quantifier le niveau de réceptivité du réparateur. Avec une digitalisation pourtant fortement assistée par l'encadrement des distributeurs AAG, fidélisé par son adhésion à l'une des enseignes du groupement, on le constate encore gauche en la matière. Il faudra encore longtemps le paramétrer comme tel.

Car bien sûr et évidemment encore, le réparateur n'est pas encore aussi digitalisé qu'un geek ou qu'un gamer, n'en déplaise à tous ceux qui pensent que les réseaux sociaux pourront bientôt remplacer les équipes physiques, soit parce qu'ils sont résolument et parfois dogmatiquement digital-oriented ; ou, plus tristement, parce qu'ils n'ont de toute façon plus assez d'équipes terrain pour s'en aller serrer des mains et taper sur des épaules. Et puis quoi : ces pratiques deviennent de toute façon obscènes en ces temps pandémiques...

Bravo donc à AAG d'avoir assumé l'expérience et de l'avoir tentée. Et merci à lui d'avoir ainsi un peu mieux séparé les rêves digitaux des réalités physiques. Et d'avoir démontré, sans toutefois démériter, que les bons vieux salons réels ont encore un bel avenir, même au côté des émergents salons virtuels...

Vous aurez compris notre conclusion. Le salon digital peut faire florès à condition d'être circonscrit à un groupement, à un réseau (autre récent exemple : le Point S Forum), avec des réparateurs sous enseigne et des fournisseurs captifs de leurs accords de référencement. Peu de chance que cette réalité soit en revanche copiable-collable à un salon de filière comme Equip Auto...

 

De bien logiques déceptions...

Pour toutes les raisons évoquées dans cet article, il fallait donc s'attendre à de lourdes déceptions parmi les 131 exposants de Garage Expo. Les plus aigres ont d'ailleurs déjà fait ce rageur calcul : 2 500 réparateurs pour 131 stands, cela fait la triste moyenne de moins de 20 contacts utiles pendant 15 jours, soit 1,3 visiteur/jour. « Pire que dans le pire des salons locaux de distributeurs », s'agace un exposant qui a trouvé le temps bien long dans le silence de son hall digital.

A l'opposé, les plus séduits ont déjà divisé 43 000 visites par le même nombre d'exposants pour exhiber le chiffre plus attractif de 328 visites par stand. « Mieux que dans le meilleur des salons régionaux de distributeurs », corrige cet autre qui a le sentiment d'avoir vécu un salon du futur au rapport investissement/résultat imbattable.

Mais les frustrés de cette expérience se sont-ils seulement donné toutes les chances de succès ? Ont-ils peaufiné ou bâclé leurs nécessaires promos ? Bien ou mal jaugé la nécessaire stratégie digitale qu'exige ce nouveau type de salon ? Pas pu ou pas su mobiliser des équipes décimées par le chômage partiel alors même qu'il fallait être présent d'une façon ou d'une autre, en quasi-permanence, du 5 au 20 novembre ?

Ou tout simplement, se donnent-ils seulement et habituellement les moyens, dans le monde BtoB réel, de se faire assez connaître et reconnaître pour que la souris d'un réparateur ou d'un distributeur s'agite quand elle tombe sur son logo ou s'attarde quand elle croise son lien ?

Jean-Marc Pierret
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire