Oscaro bel et bien racheté par Bain Capital/PHE : constats, regrets… et perspectives

Jean-Marc Pierret
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Voilà, c'est fini... L'interminable suspense du destin d'Oscaro vient de prendre fin après de longs mois de rumeurs contradictoires, d'interactions financières complexes et de médias aux aguets. Exsangue, le leader de la pièce en ligne a finalement cédé son contrôle à Bain Capital, via la société PHE (Parts Holding Europe) qui devient le nouveau nom qu'Autodis Group prend pour l'occasion. Une nouvelle époque s'ouvre pour Oscaro qui clôt ainsi “l'ère Pierre-Noël Luiggi”, son président-fondateur...
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Après le récent communiqué de Parts Holding Europe (PHE), le doute était déjà devenu ténu. Un nouveau communiqué vient de tomber ce 13 novembre à 19 heures qui a balayé les dernières incertitudes : Oscaro est repris par la société PHE apparue le 9 novembre dernier. Un événement dans l'événement : PHE est le nouveau nom d'Autodis Group, société qui englobe toute l'activité européenne de la pièce pour Bain Capital.

C'est donc fait. Bain Capital, qui domine cette cascade d'entreprises, s'est adjugé la propriété du pure-player pour en détenir aujourd'hui 82,5 %. Malgré les dénégations officielles d'Oscaro qui le promettaient pour encore longtemps à la tête de son entreprise, Pierre-Noël Luiggi a dû quitter la direction opérationnelle. Il demeure tout de même actionnaire à hauteur des 17,5 % restants. Sans doute une caution symbolique au canal historique d'Oscaro pour ne pas trop “corser” la transition. Il continuera à siéger au conseil de l'entreprise qu'il a créée.

Autodis Group a mis Oscaro dans le sens de la piste

Dans la grandissante famille “pièces” de Bain Capital(*), Oscaro et Autodis sont donc dorénavant frère et sœur. Contrairement à ce que laissait entendre le groupe ces dernières semaines, certes du bout des lèvres, sa montée initiale au capital d'Oscaro pour 4,95 % n'était donc pas seulement conservatoire. Ou à tout le moins, l'occasion aura-t-elle joliment fait le larron.

Car elle ne tient plus vraiment, la thèse de la simple contrepartie minoritaire prise pour juste sécuriser une dette qu'Oscaro ne pouvait rembourser à ses fournisseurs Doyen et ACR Group, filiales d'Autodis. Ce premier rapprochement, sur fond de conversion de dettes immédiatement exigibles en obligations à plus long cours, a certainement permis à Bain Capital de mettre les dernières négociations dans le sens de sa piste...

L'ironie de l'histoire

Soyons honnêtes : cette spectaculaire prise de contrôle d'Oscaro par Bain Capital n'est pas non plus une réelle surprise. Elle était l'un des futurs possibles que nous évoquions d'ailleurs fin septembre dans notre article «Autodis Group/Oscaro (suite) : ce qu’il faut en retenir…». A quelques détails près, le scenario s'est donc réalisé. Plus vite que supposé par bien des observateurs, traduisant en creux l'urgence de la situation financière d'Oscaro. Et surtout, en dépit des derniers efforts de Pierre-Noël Luiggi pour se trouver d'autres repreneurs alternatifs.

L'ironie de l'histoire est certainement douloureuse au fondateur. C'est donc un groupe emblématique de la “vieille économie piéçarde” qui gobe le flamboyant N°1 des pure-players. Justement cet Oscaro qui, depuis sa création en 2005 et autant par ses prix, par ses succès que par sa morgue, inspire et incarne la colère et les ressentiments que vouent beaucoup de distributeurs traditionnels à la vente en ligne. Tout particulièrement ceux qui avaient pris l'habitude, à l'ère pré-digitale, d'arrondir leurs résultats grâce aux lucratives ventes à particuliers depuis leurs comptoirs. Les mêmes qui ont enragé de les perdre massivement au profit d'Oscaro, puis des concurrents qu'il a suscités...

Oscaro, facile à “revendre” aux distributeurs

Une question est déjà sur beaucoup de lèvres. Dans cette atmosphère de vieilles rancunes recuites, Oscaro sera-t-il facilement placé en orbite dans la galaxie de PHE, et surtout autour des troupes d'Autodistribution ? Sans risquer de nuire à l'harmonie que Stéphane Antiglio, le président du groupe, a su durablement instaurer entre la centrale d'Arcueil et ses distributeurs ?

On peut le croire. Le parfum de revanche servira évidemment de premier onguent. Parallèlement, grâce à la reprise orchestrée depuis la holding PHE et au travers de sa filiale digitale DAPH (Digital Auto Parts Holding) -et non pas directement via Autodis ou pire, par Autodistribution-, la relative mais visible séparation capitalistique entre BtoB (PHE/Autodis) et BtoC (DAPH/Oscaro) limitera autant que possible les frictions de proche voisinage. Autre gage : si Autodis Group devient PHE, c'est aussi pour éviter toute confusion sémantique entre l'ex-Autodis Group et Autodis/Autodistribution.

En outre, nous sommes déjà loin de l'époque des grandes tensions. Comme celle de ce février 2011, quand la Feda avait dû précipitamment exclure Oscaro de ses rangs, au risque sinon de se voir elle-même virée par ses adhérents distributeurs “classiques”...

Autre temps, mais mêmes mœurs...

Car si le pure-player n'a depuis rien changé à ses rodomontades comme à ses prix massacrés, la distribution dite du circuit long a en revanche eu le temps de comprendre que la vente en ligne ne lui est pas plus mortelle que ne l'a été la “Nouvelle Distribution” des années 80. A l'époque, son cortège effrayant de centrales d'achats, de centres autos et de réparateurs rapides bousculait pourtant bien plus violemment tout l'écosystème de la rechange et de la réparation, canal indépendant comme constructeur.

Presque 40 ans plus tard, ce business-model a non seulement montré depuis longtemps ses limites, mais s'est même fondu aujourd'hui dans le portefeuille clients  -section dépannages-, de la distribution traditionnelle. A son tour et en 15 ans, la pièce en ligne, qui a aussi cessé de croître en volumes comme en chiffres d'affaires, est donc maintenant en passe d'entrer elle aussi sagement dans le rang.

Autodistribution n'aura donc guère de difficulté à expliquer la chose à ses distributeurs. Sur ce ton-là par exemple : “tant qu'à subir la concurrence effrontée des pure-players, mieux vaut évidemment que le plus turbulent d'entre eux intègre notre tribu”. Sous bonne garde, il sera effectivement plus facile à rééduquer. A ce titre et comme autre symbole immédiat du changement d'époque, Oscaro sera immédiatement privé de ces sorties médiatiques que Pierre-Noël Luiggi affectionnait tant, sur le mode du Zorro sauvant le pouvoir d'achat d'automobilistes rançonnés par des distributeurs et réparateurs voleurs...

Vers des prix plus acceptables ?

Sans compter que les autres Mister-Auto, Yakarouler et consorts seront certainement prompts à remonter leurs prix et leurs marges dès que “l'Oscaro nouveau” laissera légèrement s'envoler les siens. Car ils s'en plaignent assez et depuis longtemps, ces concurrents digitaux, d'être obligés de sacrifier leurs investissements et leurs profits par obligation de s'aligner sur la braderie permanente édictée par le leader.

Ils doivent donc déjà espérer l'occasion qui s'annonce : les nouveaux patrons du pure-player auront effectivement un double intérêt à remonter vite les tarifs de leur nouvelle vitrine digitale. D'abord pour envoyer un signal fort à leurs troupes traditionnelles qui salueront l'amorce effective d'une réduction de l'écart de prix entre pièce digitale et pièce physique. Ensuite et plus pragmatiquement, pour vite amortir les dizaines de millions d'euros dépensés pour l'acquisition comme pour la remise à flot d'Oscaro. Mais aussi pour mieux garantir un rapide retour sur l'investissement en rendant l'entreprise -enfin- structurellement rentable...

Oscaro, d'abord victime de lui-même

En attendant, l'histoire retiendra donc qu'Oscaro et surtout son emblématique patron Pierre-Noël Luiggi n'aura pas su rester indépendant, tout leader mondial de la pièce en ligne qu'il ne cessait de se prétendre. Bain Capital/PHE en aura pris les commandes non pas du fait d'un retournement de marché. Ni même à l'occasion d'une quelconque trahison bancaire ou actionnariale.

S'il a pu le faire -et certainement pour bien moins que la centaine de millions qu'Oscaro aurait voulu au moins valoir- c'est parce que les conditions ont été réunies par l'incompréhensible refus de son patron-fondateur de troquer, le temps nécessaire, son poste de leader conquérant contre celui de gestionnaire avisé. Car trop longtemps sûrement, trop dogmatiquement même peut-être, l'orgueilleux paquebot Oscaro aura grevé sa ligne de flottaison par un surpoids d'état-major surpayé, de communications tous azimuts, de sponsorings hypertrophiés et de fournisseurs maltraités.

À trop se rêver Licorne, à trop souvent grimper à sa proue pour écarter les bras et s'y déclamer maître absolu de son monde, Pierre-Noël Luiggi aura surtout trop longtemps oublié de descendre vérifier ses cales. De prendre au sérieux les récifs judiciaires et financiers qui, inexorablement, déchiraient sa coque. D'écouter -et surtout d'entendre- tous ceux qui le suppliaient de stopper les machines, ou au moins d'en réduire la vitesse, pour mieux réécrire le cap. Jusqu'à s'échouer maintenant, démâté et désarmé, dans une désolante mer des sarcasmes où nombre de ses concurrents et ex-salariés n'oublieront évidemment pas de tenter de le noyer une seconde fois...

Gâchis, certes ; mais respect...

On retiendra surtout de tout cela un immense sentiment de gâchis. Mais en quelques points aussi, d'injustice. Car Pierre-Noël Luiggi mérite le respect. Et avant tout, de la part de ceux qui attendaient et prédisaient depuis longtemps son naufrage.

Car la fin de l'histoire n'occulte pas tout. Les nombreux consommateurs non remboursés et fournisseurs non payés  n'effacent pas les succès passés. Il faut aussi saluer l'artisan d'une fantastique réussite. Il restera ainsi et surtout ce génial pionnier qui a défriché un marché dont il a seul défini les règles, les codes et les outils, avec une pertinence visionnaire reconnue de tous. C'est bien lui qui a écrit l'ADN et gouverné le déploiement d'Oscaro jusqu'à ce que ce nom devienne le quasi-synonyme d'un nouveau canal de vente que plus personne ne conteste et que beaucoup ont copié.

PHE (ex-Autodis Group) vogue vers les 2 milliards d'euros en Europe

Chapeau bas également aux repreneurs. Le dispendieux Oscaro aura été repris par le “centimier” PHE/Autodis Group, comme aime à se définir Stéphane Antiglio, le président du groupe repreneur. Pour Bain Capital qui aurait pu vouloir revendre Autodis Group depuis déjà deux ans, l'attente doit, pour l'instant, faire encore partie du plaisir... Car depuis aujourd'hui, grâce aux 320 millions de chiffre d'affaires d'un Oscaro presque trop facilement acquis, le groupe de distribution a sorti la grand voile qui le pousse vers 1,8 à 2 milliards d'euros de chiffres d'affaires en 2018, au pire en 2019.

Cette taille annoncée le propulse virtuellement de la 5ème à la 2ème place du hit-parade européen des grands concentrateurs de la pièce. Certes, encore loin derrière les 5,2 milliards de LKQ Europe. Mais devant le 1,8 milliard de GPC/AAG, qui perdra, s'il continue à attendre, le leadership du groupe français le plus européanisé.

Reste bien sûr à savoir ce que le groupe de distribution fera des actuels fournisseurs et des quelque 800 salariés du pure-player, ces victimes collatérales de l'événement. Ou ce que décideront les autres acteurs de la vente en ligne, maintenant qu'ils peuvent constater qu'Autodis Group, leur fournisseur actuel, vient de devenir leur principal concurrent. Il y aura en l'occurrence sûrement quelques dizaines de millions d'euros de perte au feu, au profit probable d'autres distributeurs européens de pièces.

La logi(sti)que morale de l'histoire

Mais ce risque, certainement mesuré, a déjà son contrepoids inscrit dans les gènes du repreneur : le rapatriement des volumes traités en direct entre équipementiers et Oscaro ; et plus généralement, les gains faits sur la logistique. PHE/Autodis Group dispose d'un remarquable outil intégré (voir «Logistéo-Réau, ou la nouvelle référence logistique»), d'ores et déjà extensible et parfaitement adapté à l'intégration d'Oscaro. La mutualisation allègera massivement la supply chain de l'entreprise rachetée dont, sous son ancienne version, elle a toujours dû et voulu s'encombrer.

C'est là l'autre morale de l'histoire. Oscaro va devenir rentable une fois digéré par le monde qu'il avait défié. Et parce que l'entreprise ne va plus manquer de ce qui aurait dû faire son succès : s'appuyer sur les flux existants au lieu de s'acharner à vouloir les contourner ou les dupliquer.

Dans ce contexte de retournement de situation, quelques équipementiers doivent être en train de fébrilement vérifier leurs conditions commerciales consenties à Oscaro pour préparer leur prochaine rencontre avec le service achats de PHE/Autodis Group. Mais aussi, de se détendre en voyant le risque d'un dépôt de bilan s'éloigner et leurs encours, ainsi sécurisés. Quelques unes des plateformes fournisseurs d'Oscaro, elles, doivent en revanche s'affoler...

Enfin des réparateurs pour Oscaro ?

Mais au moins l'Oscaro «by Bain Capital» vient-il probablement de trouver les réparateurs-monteurs qu'il boude obstinément depuis sa création. Ils pourront se recruter -et même se récupérer- parmi les milliers de clients réparateurs animés par les distributeurs Autodistribution, qu'ils soient sous leurs enseignes ou pas. Ces ateliers allaient tout particulièrement manquer à l'efficacité de sa toute récente entrée dans la vente de pneus en ligne : les pneus ne se changent pas dans un jardin ou un parking. Cette question-là aussi est réglée.

Et pour le reste, comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...

 

(*) En plus donc de PHE et d'Oscaro, Bain Capital est aussi un acteur majeur de la distribution de pneus en Europe. Le fonds d’investissement est ainsi propriétaire de European FinTyre Distribution Limited (EFTD), l’un des plus gros distributeurs pan-européens de pneumatiques. Et EFTD a repris récemment le grossiste allemand Reifen Krieg Group. Cette activité en pneus affiche le confortable chiffre d'affaires total de 1,1 Md € de CA, à ajouter donc aux maintenant près de 2 milliards d'euros réalisés par Autodis Group/Oscaro (voir aussi «Pourquoi Oscaro se lance dans le pneu»)...

Jean-Marc Pierret
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